Tu es un peu comme ce tableau. Rien n'est représenté, il n'y a que du blanc sur du blanc, et pourtant on discerne quelque chose, ce truc.

C'est comme si tu refusais de te dire, comme si tu refusais qu'on te comprenne. Alors des tas de gens viennent pour te voir et toi toujours muet, tu dis rien et tu les regardes passer.

Y en a qui disent que c'est du génie. Que c'est voulu, que c'est une déconstruction de l'oeuvre. Et ils utilisent des tas de mots compliqués et des courants dont le nom sonne intelligent, des sujets qu'ils connaissent sur le bout des lèvres au point de pouvoir se branler en y pensant, des choses qui ne sont pas toi pour dire qu'en fait, c'est toi. Puis toi t'es là et tu les regardes passer.

D'autres disent que tu te fous de la gueule du monde. Que t'es rien, que t'es qu'une immense blague et que si on comprend rien, c'est parce qu'il y a rien. Et ils s'énervent en disant que l'art véritable se perd, que tout se dégrade et qu'accorder tant de valeur à du vide c'est vraiment le signe du néant, qui peine à masquer sa médiocrité. Mais t'es toujours là, à les regarder passer.

D'aucuns diront que t'es revenu au principe même, que tu es allé au-delà par l'acte. Et certains diront qu'au fond si t'es si intéressant, c'est parce qu'on se bat pour t'interpréter.

Eh bien tu vois, t'es un peu comme ça pour moi. Je me bats pour t'interpréter, et j'arrive toujours pas à déterminer si t'es un génie qui sort de nulle part, ou un petit rebelle qui s'élève contre quelque chose ; si tu vaux toute cette attention, ou si tu reflètes ce que je voudrais voir à la pâleur de ta surface blanche.

Le 7 mars 2020