En excédent

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Je me croyais morte. Sur ce lit, sur ces lettres, ces mots disparus. Tout était noir, de plomb, lourd, étouffant, caverneux. C'était laid, ce n'était que ça. Il n'y a vraiment que les optimistes invétérés qui peuvent tomber si bas.

Étonnamment, mes doigts avaient encore la force d'écrire. Mes bras de ficeler un sac, mes jambes de marcher. Je ne pensais même pas cela possible.

Un, deux, trois, quatre, cinq, sept, huit, neuf.

« Bonjour,

Acceptez-vous que je change ma vie en venant côtoyer la vôtre ? »

Deux, trois, quatre, vides.

Cinq, six, sept, huit, neuf, refus.

Un oui.

« La semaine prochaine. »

« D'accord. »

 Le début a bouclé la fin. Arrivée dans une ville inconnue, entourée d'inconnus, un inconnu arrivant me chercher en quelque sorte, me serrant la main en hésitant à me faire la bise avant de décider de la faire, avant de partir dans la voiture la plus invraisemblable qui soit, avant de retrouver la paire d'inconnus qui n'en seront plus bientôt, qui produiront à l'échelle d'une vie une révolution copernicienne qui ne sera pas mesurable avant des siècles – je n'en ai pas de doute. C'était à la fois prévisible et grand. De grandes espérances comblées, de grandes espérances remplies.

  • Sept ?
  • Huit.

Le septième venu :

  • Dix ?
  • Dix !

Merci d'avoir accepté, d'avoir excédé la limite.

*

 Je n'ai même pas réfléchi avant de courir en criant son nom au milieu de la gare, plusieurs fois parce qu'il ne m'entendait pas, parce qu'il ne le voulait pas peut-être, peut-être parce que la fumée a eu raison de sa veine auditive. Et maintenant quoi ? Ce n'est pas comme si on s'était particulièrement attaché, comme s'il y avait eu l'établissement d'un lien spécial au cours de ces dix jours. Ce qui était prévu a été accompli, il y a eu un peu plus parce que le contraire aurait été inhumain, mais rien de ce qui n'était planifié n'a été dépassé.

Demander qu'ils passent me voir s'ils décidaient de réduire leur espérance de vie en allant s'intoxiquer aux vapeurs de la ville était plus. Je savais que l'autre recevrait le message. Lui, je ne savais pas. Ce n'était pas nécessaire de lui dire, l'autre était celui qui agirait en cas de nécessité, qui prendrait le gouvernail. C'est visiblement comme cela qu'ils fonctionnent. Mais c'était à lui que je m'étais attachée. Peut-être parce que c'est le premier avec qui le lien a été établi, par message, par rencontre, par contact. Peut-être parce que j'ai vu en lui quelque chose que je voulais voir mais qui n'existait pas dans la réalité. Peut-être parce que j'ai senti en lui la tristesse semblable, le taedium vitae, que les loups savent flairer chez leurs semblables. Mon corps avait agi sans le recours de l'esprit, et quand je lui ai dit, les mots sont sortis hachés, étranges, avec le souvenir, ils n'ont peut-être pas été clairs. Il a répondu simplement « Oui. » et pas son habituel D'accord, je m'en suis aperçue après.

Un oui, c'est énigmatique. Un oui, ça peut vouloir dire qu'il a accepté la proposition. Un oui, c'est se débarrasser, c'est chasser la mouche aiguë du revers de la main.

Je ne savais pas s'il fallait regretter. Je ne suis pas sûre de ce qu'ils attendaient, de ce qui rentrait dans le cahier des charges et de ce qui était accepté. On me dit souvent que j'ai l'air froid, fermé, mauvais et méchant. Peut-être que tous ces silences, tous ces moments de calme, de silence vertigineux et d'impassibilité ont été mal interprété. Je me suis rendue compte que je n'avais jamais trouvé de moment pour formuler, pour donner ce qui a été reçu sincèrement hors quelques hochements de tête. J'ai jeté la pierre pour montrer sans mots la gratitude.

Oui, je regrette. J'aurais mieux fait de me tenir, de contenir la tornade. Une fois que les mots sont posés, on ne peut plus y échapper.

Et un puis un soir, un message. « J'ai enfin trouvé le snidre. C'est affreux non ? ».

Son message m'a fait hurler de rire. Il a tout fait voler en éclats, avec une image aussi psychédélique qu'une phrase tordante. Pourquoi il a envoyé cela ? Peut-être qu'il l'a senti aussi. Peut-être qu'il ne faut pas regretter après tout. J'ai peut-être bien fait d'abandonner mon arc en criant, de courir et de décocher cette flèche manu militari.

Ou peut-être s'agit-il seulement d'une petite couche de neige qui donne l'illusion d'une hauteur qui n'est rien de plus que ce qui est demandé. C'est toujours quelque chose.

Le 27 août 2019

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