e me réveille avec cette impression habituelle, celle d’avoir rêvé sans jamais pouvoir mettre la main dessus. Comme un mot coincé au bord des lèvres. Un souffle oublié.
Mais ce matin, il y a autre chose. Un poids. Quelque chose de froid contre ma paume.
J’ouvre les yeux.
Dans ma main, il y a une clé. Petite, en métal usé, avec des gravures presque effacées. Elle n’a rien à faire là. Je ne me rappelle pas l’avoir prise, ni vue, ni même possédée.
Je me redresse dans le lit, le cœur battant. Ça ne peut pas venir de nulle part, si ? Et pourtant, une sensation étrange remonte à la surface. Comme si je l’avais déjà tenue. Comme si elle avait une histoire, et que je la connaissais, mais qu’elle refusait de se révéler.
Je la serre un peu plus fort.
La matinée passe dans une espèce de brouillard. Mon café a un goût amer, plus que d’habitude. Et cette clé… Elle pèse dans ma poche, comme si elle attendait quelque chose. Comme si elle m’appelait.
Je retourne dans ma chambre, cherchant des indices. Est-ce que je l’ai apportée ici sans m’en rendre compte ? Est-ce que j’ai rêvé d’elle ?
Et là, je les vois. Les griffures sur le bois de ma table de nuit. Elles ne devraient pas être là. Trois marques nettes, parallèles, comme si quelque chose — ou quelqu’un — avait tenté de s’échapper.
Mon souffle se bloque.
La journée continue, mais le malaise ne me quitte pas. Cette clé… je ne peux pas m’empêcher de la tourner entre mes doigts, encore et encore. Elle ne correspond à rien ici. Aucun tiroir, aucune porte. Pourtant, chaque fois que je la regarde, une image floue m’effleure : une porte, massive, ancienne, entourée d’un lierre noirci.
Je n’arrive pas à dire si c’est une mémoire ou un rêve.
Je prends mon manteau et je sors.
Mes pas me guident sans que je réfléchisse vraiment. Les rues me semblent plus sombres, plus étroites. Comme si la ville elle-même avait changé pendant la nuit.
Puis je la vois.
La porte.
Elle est là, exactement comme dans ma tête : le bois épais, les gravures qui s’entrelacent, le lierre grimpant comme des veines. Je déglutis, mes doigts tremblants autour de la clé.
Je devrais partir. Faire demi-tour. Mais quelque chose m’en empêche.
J’approche. La serrure semble attendre, presque vivante. Quand j’insère la clé, un frisson me parcourt. Elle tourne sans résistance.
Un clic.
J’hésite une seconde avant de pousser. L’obscurité derrière la porte est dense, presque liquide. Une odeur douce-amère flotte dans l’air, comme celle d’un souvenir oublié depuis trop longtemps.
Et là, je le vois.
Un objet posé sur une table en bois : un miroir rond, encadré d’argent, avec des gravures similaires à celles de la clé. Mais ce n’est pas mon reflet qui apparaît.
C’est moi. Mais pas moi.
Un autre moi, debout dans une pièce différente, les yeux fixant les miens avec une intensité glaciale.
Puis il parle.
« Tu pensais vraiment pouvoir oublier ? »
Je recule, le cœur battant à tout rompre, mais la porte se referme derrière moi dans un bruit sourd.
J’aurais dû poser cette clé. J’aurais dû rester dans mon lit.
Mais maintenant, je suis là. Et la question me hante encore :
Qu’est-ce que j’ai oublié ?