Chapitre 14

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Un pas vers les ténèbres

Noria se réveilla de nouveau dans l’infirmerie. Encore une fois, son tatouage possédait une épine supplémentaire. Garder les ronces en forme de sphère pour réchauffer Ozia l’avait poussé à consommer encore trop de magie et sa vie s’en retrouvait raccourci. Il ne manquait que trois épines avant que le tatouage soit complet, autant dire qu’il ne lui restait que quelques mois à vivre tout au plus, et deux ou trois utilisations de sa magie.

En se réveillant, Ozia attendait dans une chaise à ses côtés. Noria remonta la couverture pour cacher sa poitrine et le tatouage, honteuse. Elle détourna le regard d’Ozia, les joues rouges, alors que celle-ci l’observait sans broncher. Un silence gênant régnait dans la pièce.

– Pourquoi t’as fait ça ? demanda Ozia.

Noria la dévisagea de ses pupilles émeraude.

– Fait quoi ?

– À ton avis ? Me sauver la vie !

Noria haussa les épaules.

– Tu m’as aidé aussi, alors pourquoi n’en aurais-je pas fait autant ?

Ozia plissa les yeux. Elle croisa les bras, s’appuyant sur le dossier de sa chaise. Perplexe, elle continuait de dévisager Noria d’un air sombre.

– Bon d’accord, soupira Noria. Il y avait de ça, mais aussi parce que les explications de ce Titanomanciens me paraissaient louche. De plus, je ne vois pas comment toi et Vormon pouvaient être des traitres alors que vous avez cherché à sauver toute une ville !

Ozia resta sans rien dire, laissant les motivations de Noria flotter au-dessus d’elles.

– Mais tu as une épine qui a encore poussé, signala Ozia.

Noria laissa tomber le drap. Elle toucha le tatouage du bout des doigts. À cause de son action, elle continuait de perdre des années de vies. Bientôt, elle aurait tout juste le temps de trouver ce grimoire pour déjouer cette satanée malédiction, et encore, elle pourrait en mourir en cours de route.

– Je sais. Mais je ne regrette pas, dit-elle en fixant Ozia.

Son regard de braise montrait toute sa détermination. Surprise par sa résolution, Ozia ferma les yeux et tourna la tête. Impossible pour elle de se montrer vulnérable, elle préférait se renfermer sur elle-même. Après avoir rouvert les paupières, la Titanomage se leva et s’adossa contre le mur.

– Tout va bien ? demanda Noria.

Elle ne savait pas dans quel état pouvait se trouver Ozia après la perte de son ami. Elle n’avait pas assisté à leur séparation déchirante, mais elle pouvait ressentir toute sa tristesse. Elle ne prit pas la peine de répondre. Son regard vide fixait sur le reste de la ville.

Noria se leva, malgré les muscles encore endoloris. Une douleur, comme une pointe perforante, lui tiraillait le cœur. Elle grimaça, mais supporta la souffrance pour se rhabiller. Il était hors de question qu’elle vacille maintenant, si près du but. La ville d’Iznarum était à portée de main.

Une fois prête, Noria jeta un dernier coup d’œil à Ozia, toujours immobile, puis posa la main sur la poignée de la porte.

– Je viens avec toi.

Noria se retourna. Elle se demanda si elle avait bien entendu. Mais pour quelle raison Ozia l’accompagnerait dans une mission qui paraissait suicidaire.

– Hein ? s’étonna Noria. Mais pourquoi ?

Ozia passa devant elle sans répondre et ouvrit la porte.

– Je te dois bien ça.

Elle quitta la pièce avant même que Noria puisse lui parler.

– Mais on est déjà quitte, murmura-t-elle, seule. Je ne comprends rien à cette femme.

Le battant bascula de nouveau, faisant sursauter Noria. Hirelda surgit dans la pièce à la hâte, les bras recouverts de bandages. Elle enlaça Noria aussi fort qu’elle pouvait, si heureuse de la voir toujours en vie. Noria lui rendit son étreinte, tout en faisant attention de ne pas toucher ses blessures. Elle lui tapota le dos pour la consoler, elle qui devait être folle d’inquiétude pour sa santé.

Hirelda la relâcha et la fixa intensément.

– Tu vas bien ?

– Oui, ça va. Ne t’en fais pas.

– Menteuse !

Hirelda tira sur sa chemise et scruta le tatouage par-dessus le corset. Noria la repoussa, les joues rouges.

– Hé ! Je ne te permets pas !

– Tu vois ! Il y a encore une épine !

Noria fit la moue et haussa les épaules. Que pouvait-elle y faire ? Impossible de rester sans rien faire alors qu’Ozia était si mal en point, mais voir Hirelda dans un tel état lui fendait le cœur. Elle semblait si triste de s’imaginer la perdre.

– Je suis désolée, murmura Noria gênée.

Intérieurement, elle se promit de ne plus user de sa magie. Son amie s’inquiétait beaucoup trop et elle risquait de mourir avant même de trouver un moyen de se défaire de sa malédiction.

Hirelda s’approcha d’elle et passa les mains dans ses cheveux. Le cœur battant la chamade, Noria laissa ses paumes glisser sur ses joues. La chaleur de ses mains lui fit tellement de bien. Cette impression d’avoir la personne la plus importante à ses yeux toujours là pour la soutenir. Ce soutien indéfectible qui perdurait avec les années, malgré les épreuves qu’elles affrontaient au quotidien.

– Nous allons trouver ce grimoire, jura Hirelda. Je ne te laisserais pas tomber, alors fais attention à toi.

Noria lui sourit et opina du chef. Ce brin d’espoir regonfla son moral, et la douleur qu’elle ressentait dans la poitrine avait laissé sa place à une chaleur réconfortante. Hirelda déposa un baiser sur son front avant de l’enlacer à nouveau. Elles restèrent l’une contre l’autre, profitant de ce moment ensemble. Noria posa son menton dans son cou, heureuse d’avoir une amie comme elle à ses côtés, jamais elle n’aurait imaginé survivre à toutes ces épreuves sans elle.

Elles se regardèrent, les yeux dans les yeux. Leurs pupilles bleus se fixèrent avec passion et leurs visages se rapprochèrent avec lenteur. Noria ne comprenait pas ce qu’il se passait. Hirelda entrouvrit ses lèvres, comme si elles allaient se poser sur les siennes. Même si son cœur basculait pour Allen, elle n’arrivait pas à la repousser. S’apprêtait-elle vraiment à l’embrasser ? Maintenant ? Alors qu’elle savait que Noria ne voulait en aucune façon démarrer une relation. Et était-elle amoureuse ? Beaucoup trop de questions se bousculaient dans sa tête, mais à cet instant précis, elle ne pouvait plus reculer alors que son cœur tambourinait dans sa poitrine.

La porte s’ouvrit à la volée, faisant sursauter les deux femmes. Noria recula brusquement en voyant Allen entrer dans la chambre. Rouge de honte de les avoir perturbés, il se gratta la tête en détournant le regard.

– Désolé, je ne vous dérange pas, au moins ?

Hirelda soupira.

– Oh non, pas du tout… ironisa-t-elle.

Noria le rejoignit et lui montra que tout allait bien. Allen la prise dans ses bras à son tour, tellement soulagée de la voir en vie. Comme Hirelda, il lui demanda si sa malédiction continuait de prendre le pas sur sa vie. Elle aurait préféré omettre l’avancement des épines, mais elle joua la carte de la sincérité. Elle lui expliqua qu’il ne lui restait que deux trois pointes avant que le tatouage ne soit complet et signe la fin de sa vie.

Contre toute attente, Allen l’enlaça avec ardeur. Lui d’habitude si réservé, il lui promit de tout faire pour l’aider, et ça sans bégayer. Noria, perdue, ne savait pas quoi répondre alors que ses prunelles émeraudes l’observait avec intensité. Elle posa une main sur son visage angélique, heureuse de voir son ami près à tout pour elle.

Hirelda s’éclipsa sans un bruit. Noria et Allen restèrent silencieux, face à face. Noria ne savait plus où donner de la tête. Son cœur n’arrêtait pas de battre la chamade. Allen prit sa main et déposa un baiser sur le dos. Il jura encore une fois de la protéger. Elle le gratifia d’un large sourire, sans avoir la moindre idée de qu’elle pouvait répondre.

Tout le monde était au petit soin pour elle. C’était si touchant qu’elle en rougit. Sans d’autres idées pour la remercier, elle se mit sur la pointe des pieds et embrassa Allen sur la joue. Main dans la main, ils restèrent l’un contre l’autre.

– Prête pour la suite ? demanda-t-il.

Elle opina du chef.

– Oui ! Allons-y. J’aimerais en terminer rapidement avec tout ça.

Ils retrouvèrent ses compagnons dehors, devant l’infirmerie. Ils attendaient alors que le soleil se trouvait déjà haut dans le ciel. Ozia faisait bien partie de l’aventure, sa faux installée dans son dos. Hirelda et Kain discutaient du chemin à prendre, jusqu’à ce que les deux derniers Titanomanciens débarquent.

Ozia croisa les bras, adossée contre le mur du bâtiment.

– On y va alors ? demanda-t-elle.

Kain montra à Noria le sac qu’il portait en bandoulière à l’aide d’un harnais de cuir.

– J’ai récupéré les masques à essence, les cordes, de l’eau et de la nourriture. On va sûrement en avoir besoin.

Noria fronça les sourcils.

– Je croyais que tu n’allais pas plus loin avec nous ?

Kain haussa les épaules.

– Je vous emmène en dehors des tunnels et je vous laisse.

Noria ne le trouvait pas convaincant. Il donnait l’impression d’apprécier suffisamment le groupe pour continuer à les aider.

– Bon, on y va ? proposa Kain. Le contremaitre nous a donné un plan du tunnel pour nous remercier de l’avoir débarrassé de la Chimère.

Noria leva les yeux au ciel. Il ne pouvait pas faire ça avant ? En tout cas, avec ça en leur possession, franchir les montagnes serait plus facile que prévu.

– Il faudra rester sur nos gardes, expliqua Ozia. N’oubliez pas que des Skaars trainent dans les mines.

– On va se les faire ! répondit Hirelda en tapant du poing dans sa paume. Aïe !

Les blessures d’Hirelda n’étaient pas encore correctement cicatrisées. Ozia lui avait fait boire un de ses élixirs pour accélérer la guérison, mais cela restait plus long que de la magie. Il lui fallait du temps pour que ses bras se débarrassent des lacérations de Darphaël.

– Calme tes ardeurs, signala Ozia, tu n’es pas encore guérie.

– Oh, ça va ! Je vais bien.

– On y va alors ? demanda Noria. J’aimerais en finir rapidement, avoua-t-elle.

Ses amis acquiescèrent et ils se mirent en marche vers le tunnel où se trouvait la Chimère. Pour éviter tout problème, ils enfilèrent les masques à essence dès l’entrée. Mieux valait prévenir que guérir.

Ils s’engouffrèrent dans les entrailles de la montagne en prenant le soin de récupérer des torches à essence. Leurs lumières orange chassèrent les ténèbres, tandis qu’ils prenaient le chemin de leur dernier combat. Sur le plan, le contremaitre leur avait tracé une ligne à suivre pour éviter les cavités abandonnées à cause de leur manque de solidité.

Tout le monde était à l’affut du moindre bruit. Le silence de mort qui régnait leur permettait de détecter les pas des Skaars. Pour l’instant, seuls les leurres bravaient le calme des grottes, alors que la température descendait à mesure qu’ils s’enfonçaient dans les ténèbres.

Sur le qui-vive, Noria suivait Ozia qui prenait la tête du groupe. Kain la dirigeait avec le plan, pendant qu’Allen fermait la marche. Hirelda et Noria, qui ne pouvaient plus utiliser leur pouvoir sans se blesser, restaient protégées par les autres. Ozia se disputait régulièrement avec Kain qui ne savait pas lire un plan. Il essayait de tout mettre sur le dos du contremaitre, mais la jeune femme ne le laissait pas faire, lui faisant comprendre qu’il n’était juste pas doué.

Pour le moment, aucune trace des Skaars. Noria se demandait si la mort de la Chimère ne les avait pas poussés à fuir. Pourtant, ces créatures restaient toujours dans les parages. Avec tout le boucan que faisait Ozia et Kain, impossible de passer inaperçu. Hirelda soupirait, las de leur gaminerie, alors qu’ils marchaient depuis ce qu’il semblait des heures.

Devant un embranchement, chacun d’eux voulait prendre une direction.

– Je te dis qu’il faut prendre à droite ! s’exclama Kain.

– Tu n’arrêtes pas de te tromper de chemin depuis le début, railla Ozia. Alors, donne-moi ce fichu plan !

Kain s’éloigna avec le morceau de papier.

– Pas question ! Je sais encore lire une carte !

Ozia arqua un sourcil.

– Ah oui ? Alors pourquoi on a dû faire demi-tour tout à l’heure ?

Noria restait spectatrice de cette dispute sans oser intervenir, surtout qu’Ozia avait raison. La dernière fois, sa décision les avait menés à un cul-de-sac, mais le problème, c’est que ce n’était pas de sa faute.

– Je ne suis pas responsable de l’éboulement ! cria-t-il en faisant de grands gestes.

Noria détourna les yeux lorsqu’il chercha de l’aide auprès d’elle. Hirelda se pinça le haut du nez, tapotant du pied. Elle n’en pouvait plus et Noria sentait qu’elle allait exploser dans peu de temps.

– Ça va aller ? demanda Noria en posant la main sur son épaule.

Puis la dispute continua de plus belle entre les deux Titanomanciens. Hirelda se redressa et scruta son amie avec des yeux rouge de colère.

– Non, c’est bon ! J’en ai marre !

Elle s’élança à leur rencontre et récupéra le parchemin. Kain tenta de lui reprendre, mais elle l’esquiva plusieurs fois avant de s’éloigner en courant. Kain la pourchassa, comme un enfant qu’on priverait de son jouet. Ozia s’adossa contre un mur et croisa les bras. Noria pouffa.

C’était certes des gamins, mais cette situation dénouait l’angoisse de se promener dans les entrailles de la montagne, alors que des Skaars s’y promenaient, à la recherche d’une proie à dévorer. Une perspective peu réjouissante qui poussa Noria à les héler.

– Vous ne pouvez pas vous mettre d’accord ? demanda-t-elle. Je n’ai pas spécialement envie de dormir ici.

Un silence s’ensuivit la demande de Noria. Personne n’y avait pensé, mais s’ils ne sortaient pas rapidement des mines, la fatigue allait les rattraper bien plus vite que prévu. Et dormir dans un endroit aussi froid, humide et dangereux n’attirait pas les foules. Sur ces mots, Hirelda Kain et Ozia se concertèrent sans s’en prendre les uns aux autres.

Finalement, ils choisirent de pénétrer dans le corridor de droite. Il descendait, remontait, tournait, c’était un véritable labyrinthe. Après quelques minutes, ils arrivèrent dans une immense cavité. D’après les plans, il s’agissait de l’endroit où ils avaient trouvé une veine d’argent.

Kain les conduisit dans la dernière galerie qui menait à l’extérieur. Toujours aucune trace des Skaars. Pourtant, Noria se sentait observée dans cette grotte. La seule hypothèse qui lui venait à l’esprit, c’était que leur combat avait prouvé qu’ils étaient une menace de taille pour eux. Raison pour laquelle ils n’osaient pas s’attaquer au groupe. Grâce à ça, ils virent enfin le bout du tunnel d’où la lumière du jour filtrait. Ils accélérèrent le pas jusqu’à se retrouver dehors, dans une forêt.

Des arbres à perte de vue, mais un étrange malaise s’emparait de Noria. Ils se rassemblèrent, scrutant les environs avec attention. La première chose de remarquable était l’absence totale de bruit. Pas un oiseau, pas de faune. Il y régnait un calme inhabituel, inquiétant.

– On est loin d’Iznarum ? demanda Hirelda.

– Aucune idée, avoua Noria.

– On devrait prendre un point de repère, signala Kain. Genre, la caverne est…

Il se retourna et ne termina pas sa phrase.

– Euh… Les amis ?

Noria fronça les sourcils et pivota vers lui. Paralysé, il restait les yeux grands ouverts et tendit la main droit devant.

– Elle est où la montagne ?

Noria fit volt face, ne comprenant pas où il voulait en venir. Derrière eux, les monts avaient disparu, laissant place à une forêt sans fin. Hirelda courut en avant pour chercher où elle se trouvait.

– C’est quoi ce délire ? cria-t-elle.

Elle s’éloigna toujours plus loin. Inquiète, Noria lui emboita le pas.

– Ne va pas trop loin ! intima-t-elle.

Puis quand Hirelda passa derrière un arbre, elle n’en sortit pas. Noria avait beau suivre ses pas, elle ne la retrouva pas et personne ne répondit à ses appels. Affolée, elle fit volte-face vers ses amis pour leur demander de l’aide.

Mais il n’y avait plus personne.

Noria les héla les uns après les autres, mais ses cris se perdirent dans l’immensité de la forêt. Elle se retrouva seule, sans aucun moyen de savoir où aller.

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