Le Ring

7 minutes de lecture

20H47. Dénouement imminent.


Le « ring » en ébullition.


Les caméras tournent et l'Amérique impatiente est une nouvelle fois au rendez vous, les plus grosses chaines TV du pays diffusent l'événement.

Il règne toujours une atmosphère électrique avant les duels. La minuscule salle est comble.

Autour des grillages entourant la table ou tout va se passer, s'agitent une cinquantaine de prisonniers surexcités a l'idée de penser au spectacle qui les attends. Ça sent la sueur, la pisse et la bestialité, un cocktail nauséabond. Les gens gueulent, agitant quelques Dollars dans leurs mains, le poing serré droit vers le ciel, au rythme saccadé des voix graves poussant des cris a faire trembler la salle.


Bud Koncheski, l'œil pervers et avisé, se réjouit en regardant au dessous de lui la foule fanatisée aveuglée par les puissants néons jaunes suspendus au plafond. Koncheski est le directeur de prison le plus controversé, le plus immoral et bien évidemment le plus riche des Etats-Unis. Autour de lui dans la loge, au beau milieu de l'épaisse fumée émanant des Cubains aux bords des lèvres, se tiennent toute sorte de pontes venus assister a la victoire de leur investissement de la soirée : Ed Duncan.


Les néons jaunes s'éteignent pour laisser place a une minuscule ampoule juste au dessus de la table au centre de la pièce, c'est le signal, le spectacle va commencer. La foule s'empare d'une folie frénétique, c'est l'heure.

La porte donnant accès a la cage s'ouvre et laisse place aux deux protagonistes menottés et escortés par deux gardes, la salle est sur le point d'imploser. Les deux prisonniers se tiennent face a face, debout, en se regardant droit dans les yeux. Place au speaker, qui entre a son tour en costard bien taillé, attisant une foule déjà enflammée, criant dans son micro en or massif, acteur d'une sordide mise en scène découlant vers la mort.

A sa gauche en train de baver des injures dégoulinant sur son menton tel un chien enragé, Ed Duncan, puissant colosse d'1m96, Néo Nazi de profession et de culte, en atteste l'aigle tatoué sur les deux tempes de son crane rasé.

Ed a été condamné a la peine de mort après avoir été reconnu coupable d'un sextuple homicide volontaire, ayant provoqué un incendie dans une immeuble dans le quartier noir de South Central a Los Angeles, le genre de fils de pute ayant une espérance de vie limitée dans les prisons Américaines.

Pourtant, Ed est la, et les gens scandent son nom.

Il en est déjà a sa 5eme victoire et jouis d'un espèce du statut quasi mystique d'ordure ultra malsaine immortelle, les gens aiment a dire que même Satan en personne n'ose lui ouvrir ses portes, ce qui est un avantage en l'occurrence, a ce moment précis.

Ed est devenu en quelque sorte le Poulin, le petit protégé du directeur Koncheski, Ed est devenu par pur hasard la poule aux œufs d'or de Koncheski, elle est la sa vraie chance, et c'est sûrement pour ça que son cœur bat encore aujourd'hui, par pur hasard. Pas étonnant donc que tous les paris enregistrés par Koncheski se dirigent ce soir sur la victoire de Duncan. Peut être l'engouement entraîné par le mythe, peut être par suspicion de corruption, mais tout cela importe peu.


A droite, dans le coin sombre se tient Robert O'brian, ancien militaire d'une cinquantaine d'année.


O'brian a l'air de porter moins d'engouement a l'événement que son adversaire. Il se contente de fixer le bout de ses chaussures.

Aucune réaction quant a l'annonce de son nom dans le micro, même pas un regard lancé a la foule, toujours le bout de ses chaussures.

La foule lui rend la pareille.

O'brian n'est la que depuis 2ans, il est invisible, d'une discrétion sans failles, de sa vie jusqu'au son de sa voix, tout demeure chez lui mystère, son visage dur et marqué ne revient a personne, la seule chose qu'on sait, c'est qu'il a été reconnu coupable du meurtre de sa femme.

Apres n'avoir jamais cessé de clamer son innocence, il s'est retrouvé la, a se faire ronger par l'acidité des remords et de l'injustice, avant de pouvoir enfin déambuler dans le couloir de la mort.

Ses yeux sont éteints, ni haineux, ni tristes, juste éteints. O'brian est certainement déjà mort et le faire participer a ce jeu est certainement de son point de vue un service que Koncheski lui rend, un moyen d'abréger ses souffrances.



« Relève la tète, fils de pute ! » Lance Ed.


Le public est réceptif a la phrase et la scande a son tour, les insultes pleuvent:


« Regarde la mort en face, couille molle ! » poursuit Ed.


Les grillages tremblent, les crachats viennent percuter le visage d'O'brian.

Le speaker ordonne aux deux hommes de s’asseoir a la table, face a face, l'ambiance a son apogée, puis demande le silence, en vain.

Il insiste, les grillages bougent toujours autant, l'endroit parait totalement abandonné aux animaux et leur instinct, ce qu'ils veulent a présent, c'est du sang et du fric, tous autant qu'ils sont, du bas de la salle jusqu'en haut de la chaîne alimentaire se tenant dans la loge.


L'un des deux gardes tire deux coups de feux au plafond et le calme revient, progressivement.


Les deux hommes sont dans la lumière.


Au centre de la table se tient un revolver Smith & Wesson, barillet a 5 coups.


La règle est simple, une seule balle et pas de tours de barillet, la roulette Koncheski, aussi douteuse que l'arme de destruction massive Irakienne, un téléspectateur tiré au sort choisis ou placer l'unique et seule balle dans le barillet, et se vois empli de la fierté jouissive de passer a la télévision... et d’être complice d'un crime qui se verras impuni...


Le silence flotte maintenant dans la pièce.


Duncan, privilégié par sa dernière victoire, s’octroie le droit de choisir. Pile.

O'brien quand a lui a le droit et le devoir de ne pas voir la pièce, mais peu lui importe. La pièce tombe sur pile.

Ed désigne O'brien pour commencer.

Comme dans un remake de mauvais gout inspiré de la ligne vert, et d'une voix teintée de cynisme émanant des cordes vocales du diable en personne, le speaker acquiesce un sourire, et finit par lancer :


« Avez-vous quelque chose a dire avant que la sentence soit exécutée ? ».


Duncan éclate de rire.


Les deux hommes se regardent.


« Vous m'avez emmené ici pour voir de quelle couleur est la cervelle de se trou du cul, pas pour que je fasse un discours. »


Le public se remet a gueuler, comme pour approuver ce qu'il vient d'entendre.

Le speaker jette son regard sur O'brian, comme pour l'inciter a déverser une réplique a la Hollywoodienne a la caméra.

Robert balance un bref regard a l'assemblée avant de lancer les débats :


« finissons-en. »


La production envoie une musique de suspens et la tension atteint son comble, jusque dans toutes les chaumières des quatre coins du pays.


Plus un mot, plus un bruit, le lourd silence évocateur, écrasant la salle entière.


O'brien fixe le pistolet comme pour y voir a travers, le regard perdu dans ce spectacle aussi cruel que de mauvais gout.

Rien ne se passe.

Au bout d'une minute, Duncan commençe a s'impatienter et insulte son adversaire. Le public, une fois n'est pas coutume, le suit, et la salle retrouve son vacarme habituel. Peu en importe a O'brien, qui n'entend que vaguement les cris et menaces, il est ailleurs, dans sa bulle imperméable, celle ou il croise parfois le regard de sa femme disparue.

Ses pensées vont a elle, son visage pur et tous les souvenirs qu'il lui évoquent, et le monde lui parait maintenant si doux, il commence a sourire, transporté par la netteté de ses songes au beau milieu du flou de la réalité, il se sent un instant heureux, ailleurs.


Duncan frappe du poing contre la table, faisant sursauter O'brien, le réveil a sonné.

Il lève la tête.

Devant lui se tient un pitbull enragé, en atteste la bave dégoulinant sur les joues poreuses de ce dernier.

Il voit devant lui se qu'est devenu son quotidien, il voit devant lui l'inhumanité, il voit et ressent, il ressent le dégoût.

Il s'empare alors d'un sentiment de haine très fort, son visage se ferme d'une manière inquiétante. Il fixe Duncan droit dans les yeux, comme pour le fusiller sur la place publique et, dans un élan de rage, attrape le pistolet, le colle sur sa tempe et, sans pousser le moindre cris, il appuie sur la détente :


CRICK !

CRICK !

CRICK !

CRICK !


Quatre fois.


Silence de cathédrale. Il balance le pistolet sur la table.


L'assemblée toute entière est abasourdie.


Il venait de se passer un truc incroyable, une première dans la discipline, un mec avait eu les couilles de tirer plusieurs fois d'affilée, jusqu'à l'avant dernière balle, condamnant l'adversaire a la mort.

Plus aucuns mots ne sortent de la bouche de Duncan.

Il n'y avait pas de règles établies pour ce genre de situations et le public, ce qu'il veut, c'est de la cervelle en compote, alors il va falloir lui en donner.

Konchesky lui aussi est dans une position ingrate, tous ses paris viennent de s'envoler devant ses yeux, si Duncan vient a mourir, il aura des comptes a rendre, s'il reste en vie, toute les corruptions occasionnées par l'événement ne pourront plus être camouflées, les gens sont cons dans la limite du raisonnable comme il aimait a le dire.

Duncan tourne la tête et la lève vers l'immense baie vitrée ou se trouve Konchesky, comme pour lui demander ce qu'il doit faire.

Konchesky, embarrassé mais pris d'un sang froid remarquable, hoche la tête et signe par ce geste l'arrêt de mort de Duncan.


Duncan baisse les yeux, s'en même prendre le temps de réfléchir a quoi que ce soit et en deux secondes braque le revolver contre sa tempe :

 

PAN !!

Annotations

Vous aimez lire StockolmSyndrome ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0