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Ainsi, Lindsay descendit du train et arpenta le quai gris de cette gare monstrueuse, tout en souhaitant ardemment que Marie soit là pour l’accueillir. Elle marchait vite avec sa lourde valise qui lui meurtrissait la main.
J’ai déjà dit qu’elle était trop maigre ? On pouvait faire le tour de son poignet avec la pince index-pouce… Limite anorexique !
Elle regardait timidement partout, cherchant son amie parmi la foule des anonymes aux visages fermés et tristes : la Frankaoui est un pays éminemment dépressogène. Le quai gris, les murs gris, l’odeur rance du ballast. Une sensation de désespoir l’envahit. Décidément, Paname n’avait rien de romantique. Au contraire. En quittant le quai, elle entendit appeler :
— Lindsay ! Lindsay !
Marie arrivait en courant, tout essoufflée, agitant le bras. Elle avait ses beaux cheveux châtains dénoués. C’est comme si elle était devenue plus belle. Lindsay se jeta dans ses bras, cela lui fit du bien.
— Fais gaffe à ta valise ! C’est Paname quand même. Ça grouille de racailles ! fit Marie.
— Oh !
Lindsay s’empressa de reprendre sa lourde valise.
— Viens ma belle, métro ! On ne traîne pas.
— Comment est l’appartement ?
— Petit… Mais… Bon, c’est propre et dans nos moyens.
— Mais quoi ?
— Le quartier… Tu sais, on ne peut pas être trop difficile. Le seizième c’est pas pour nous.
— Le quartier ?
— Enfin, t’inquiète… On m’a assuré… C’est juste… un peu triste et vieux…
— C’est dangereux ?
— Mais non ! Bon, il y a un bâtiment délabré en face… Un vieil hôtel abandonné…
— Ah…
La déception montait lentement et l’appréhension. Décidément, cela s’annonçait mal. Qu’allait-elle trouver ? Pourrait-elle le supporter et y vivre ? Elle eut envie de pleurer, mais sera les dents.
Le métro emporta les deux amies et les espoirs de Lindsay.
Enfin, elles grimpèrent les marches à la sortie du métro et pour la première fois, Lindsay vit le ciel de la capitale : plombé, terne, une lumière indigente, des façades tristes, ruisselantes d’humidité et de crasse, des trottoirs piégés de crottes et de trottinettes, des voitures partout… Lindsay eut un vertige, Marie la retint.
J’ai déjà dit qu’elle était trop maigre ? Non parce que là elle fait carrément une hypo…
— Tu n’as rien mangé ? demanda Marie, inquiète.
— Non… Je ne peux rien avaler !
— Ma pauvre… Viens, on va acheter un truc… Tu veux un bon kébab ?
— Tu veux que je vomisse ?
— Un gâteau ?
— Un bout de pain…
— Viens… Un bon gâteau ! Il faut que tu te remplumes… Tu es…
— Je sais !
— Tu n’as plus de formes…
— Je sais !
— Non mais c’est inquiétant…
— Assez !
Marie choisit des pâtisseries et mangea l’essentiel tandis que Lindsay picorait. Il fallut repartir, Marie se chargea de la valise.
— C’est encore loin ? demanda Lindsay.
— Hé ma belle tu veux des cibiches ? De la beuh ! De la bonne beuh ! fit un homme basané.
Lindsay fit un bond, comme électrisée.
— Dégage, connard ! fit Marie.
— Mais qu’est-ce que c’est ? fit Lindsay interloquée.
— C’est rien… T’inquiète. Mets ton sac devant, quand même, garde la main dessus.
— Marie, j’ai peur !
— On s’habitue… tu verras.
— Mon Dieu !
— Bah, je t’avais prévenue. Mais tu sais qu’on est pas loin du salon… Pour aller au boulot c’est idéal… Évite quand même cette rue… Tu la vois ? Là-bas ! Ça rallonge, mais il n’y a que des camés…
— Des camés ?
— Le crack… Ça fait des ravages.
— Le crack ?
— Tu vas répéter tout ce que je dis ?
— Heu… non… mais…
— On est à Paname, ma grande. C’est fini la province et l’esprit « agricole » !
— J’ai envie de rentrer !
— Tu déconnes ?
— Je me sens très mal !
Marie s’immobilisa :
— Tu vas pas me lâcher ? Parce que seule, j’ai pas de quoi payer le loyer !
— Non… bien sûr… Mais…
— Allez, courage… Tu verras, ça va être le pied. On y est presque. Tu sais, finalement, la rue est sympa, plutôt calme. C’est là.
La rue du Trousse-Gousset se présentait, petite rue étroite, des hautes façades presque noires de crasse et de vieillesse, presque pas de ciel, aucun horizon, des voitures délabrées, des camionnettes rouillées.
En face d’elles, un groupe d’hommes patibulaires, mais presque, barrait le passage.
— Oh mais… T’es bonne toi ! fit un type nerveux, cheveux en bataille, un sourire énervant, blondinet, le regard impertinent.
— Ouais, bonnes meufs, fit un géant impressionnant, dévoilant une dentition carnassière.
— Les filles vous allez où ?
— Laissez-nous passer ! fit Marie, soudain tendue, sur la défensive, posant la valise.
Lindsay crispa ses mains sur son petit sac à main. Elle était terrorisée.
— Mais quoi, on peut parler non ?
— Non ! Laissez-nous !
— Oh la la ! T’es pas marrante toi. Ta copine, la blondinette est de ton avis ?
— Laissez-nous ! fit Lindsay, d’une voix mal assurée.
On entendit un sifflet strident retentir au loin. Les hommes se figèrent.
— Putain Lorenzo, grouille ! Tu fais quoi ? fit un troisième homme, d’un abord sympathique.
— Il a perdu la main ! fit le blondinet.
— Il branle trop, ricana le géant.
— C’est fini, oui ! Vos gueules ! éructa, un quatrième homme, caché par les autres, Lorenzo.
Lindsay croisa son regard vif, mobile. Pendant une fraction de seconde, elle eut l’impression désagréable qu’il sondait son âme. Elle ressentit une sensation étrange et s’aperçut que tout en la regardant, il était manifestement en train de forcer la serrure d’une porte, ses mains s’agitant nerveusement avec des gestes fins et précis.
— C’est une putain de serrure Zlaby ! fit-il. On m’a pas dit que c’était une Zlaby !
— Si je te l’ai dit ! Mais t’écoute rien, fit l’homme débonnaire.
— Non, tu l’as pas dit !
Nouveau coup de sifflet.
— Putain, on va finir en ‘zon ! fit le petit nerveux. Hé les filles mettez-vous là… Comme ça… Oui, c’est bien là… Jo, aide-moi, putain, mais qu’il est con !
— Mais lâche-moi, toi, s’indigna Marie, révoltée d’être bousculée par le géant.
— Vous êtes des voleurs ? demanda Lindsay…
— Des voleurs, des voleurs… Tout de suite, les insultes, fit l’homme cool. Mais non, je suis le nouveau propriétaire de ce bel hôtel.
Lindsay leva les yeux sur le bâtiment délabré et lugubre. Une enseigne décrépite indiquait : hôtel du Nord.
— Et pourquoi forcer la serrure, alors ? Tu nous prends pour des connes ? s’indigna Marie.
— C’est compliqué, fit l’homme, tout sourire… Vous habitez dans le quartier ?
— Ne réponds pas, Lindsay ! dit Marie.
Un scooter pila :
— Les mecs, les mecs ! Ça craint ! fit le motard.
— Putain, Lorenzo ! On est mal, là ! On est mal !
— Mais c’est du Zlaby, bordel ! fit Lorenzo, agacé.
— Jo défonce la porte ! s’énerva le blond.
— Jo, laisse cette porte ! fit le sympa.
— Jo tout péter ! fit le géant, prêt à foncer.
Lindsay venait de faire la connaissance de Lorenzo. Elle ne pouvait détacher son regard de lui. Il semblait étonnamment, calme, concentré sur sa tâche et son objectif. Par moment il fermait les yeux pour se concentrer davantage, laissant ses mains travailler. Les mains savent faire toutes seules.
À un moment, il ouvrit les yeux et son regard plongea dans les yeux de Lindsay qui devinrent bleus profond.
— Je m’arrache ! Trop chaud pour moi ! fit le type au scooter qui démarra en trombe.
La tension était à son comble.
Vous voulez vraiment savoir la suite ?
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