Chapitre 7

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Je quitte la fac rapidement. Je dois prendre le premier train pour rejoindre mes parents chez eux. Ils habitent à Vancouver. J’ai 8 heures de train alors le chemin va être long. Je pourrais aussi y aller en voiture, mais je n’ai pas envie de conduire, j’ai calculé, ça me reviendrait plus cher d’y aller en voiture.

J’arrive à la gare et attends le train en faisant le tour des magasins. Je me suis achetée un cahier de mots fléchés et une bouteille de soda. Dans mon sac, j’ai un sandwich pour le repas.

Une fois assise à ma place dans le train, j’envoie un message à mes parents pour les prévenir. Ma mère me téléphone.

- Allô Maman ?

- Oui, Julie ! Tu seras là vers quelle heure ?

- Vers une heure du matin…

- Ok, je viendrais te chercher à la gare.

- T’es pas obligée, tu sais.

- Si tu crois que je vais te laisser en plein milieu de la nuit seule à Vancouver, tu te fourres les doigts dans l’oeil, ma jolie.

- Ok. À tout à l’heure alors.

- Bisous Julie.

Elle raccroche et je repose mon téléphone. Je n’ai jamais aimé rendre visite à mes parents. Déjà parce qu’ils habitent loin de Portland et en plus, mon père me fait toujours manger énormément. Ma chambre à Vancouver est la même que celle que j’avais adolescente, avec ma décoration de quand j’avais 16 ans. Mes parents habitent en pleine campagne, entre un champ de blé et des vaches. Je dois me réveiller aux aurores à cause du coq de la ferme qui gueule à 6 heures du matin. Et pour couronner le tout, j’y reste environ deux semaines, où j’aide mes parents dans leur ferme, entre la bouse de vache et le lait de chèvre.

Il est 1 heures 30 quand on arrive dans la campagne de Vancouver. Les routes sont étroites, il n’y a pas de lampadaires et une biche traverse la route tous les 200 mètres. Ma mère écoute sa playlist des années 70 en chantant à pleins poumons. Je me demande comment on peut être aussi réveillé en plein milieu de la nuit. Quand on se gare devant la maison, ma mère éteint la musique et porte ma valise jusqu’à ma chambre.

Pour revenir sur la décoration, mon lit en fer arbore une couette aux motifs floraux, le papier peint orange s’effrite et mes posters de Jennifer Lopez sont encore sur les murs.

J’essaye de profiter de ma nuit, consciente que dans 5 heures je devrais me lever, mais je n’arrive pas à dormir. J’entends les criquets et les renards. Je vais perdre patience en une nuit.

Cocoricooooo !

Je me lève et regarde mon téléphone. 6 heures du matin. Je fais comme si je n’avais pas vu que j’avais aucune barre de réseau et me redresse. Je suis encore fatiguée, mais je n’ai pas le temps de traîner au lit. Je descends en pyjama dans la salle à manger, où mon père mange sur la table en bois des tartines de confitures avec du lait qui vient sûrement de nos vaches.

- Bonjour Julie, j’ai fait cuire les œufs des poules, tu en veux ? demande gaiement ma mère.

- Mais bien sûr qu’elle en veut. Tiens, goûte aussi le lait et la confiture, c’est de l’artisanal !

Allez, ça commence.

J’aurai mieux fait de rester à Portland.

- Bah dis donc, t’es pas contente de nous voir ? questionne Maman.

- Je suis juste fatiguée.

- Ouais, bah prépare toi à une journée de dur labeur à la ferme. Aujourd’hui, je te laisse choisir entre les animaux, le fromage et les champs, dit Papa en pointant son couteau vers moi.

- Je prends les animaux, ajoute ma mère.

- Et moi le fromage, répond mon père. Julie, il te reste les champs.

Génial. Je repars dans ma chambre pour enfiler une chemise bûcheron, un jean et m’attacher les cheveux. Je regarde mon téléphone. Une barre de réseau. J’en profite pour répondre à Marius qui me demande où je suis.

- Julie, le blé va pas se ramasser tout seul !

Toute mon adolescence, ça été comme ça. Les jours où je n’allais pas à l’école, je devais aider mes parents à la ferme. Dès mes 6 ans, j’ai commencé à cueillir le blé, ramasser les œufs, traire les vaches et les chèvres… C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai quitté Vancouver à 18 ans. Malheureusement, je dois leur rendre visite une fois par an, durant la période de Noël.

Je descends et me rends dans le champ qui se trouve à quelques mètres de la maison. L’épouvantail installé par mon père il y a maintenant 10 ans est toujours là. Je me penche et cueille le blé, puis le maïs. Ensuite, je dois arroser les cultures de légumes.

À midi, c’est le repas typique de mes parents quand je viens. On mange de la raclette. Ma mère est française, et elle adorait ça, petite. Sauf que ce n’est pas la raclette traditionnelle, baguette-fromage-charcuterie-pommes de terres. Non non non. C’est la raclette à la Louise Finn (ma mère). De la baguette de la boulangerie du bourg d’à côté (apparemment, elle est meilleure que celle de la boulangerie de Vancouver la plus près), du fromage de chèvre ou de brebis fait par mon père, les pommes de terre que l’on cultive, les autres légumes (carottes, brocolis, courgettes) et enfin, la viande que mon père chasse dans la forêt. Je n’ai rien contre manger du local, c’est vrai que tout, à part la baguette, c’est mes parents qui les ont produits, mais quand même, depuis quand il y a des carottes dans la raclette ?

- Ben alors, tu manges pas, Julie ?

- J’ai pas faim.

- Mange, cet après-midi, tu vas m’aider à reconstruire la grange des vaches.

- Ah non, j’ai jamais été très bricolage, tu le sais, Papa.

- Alors tu vas ramasser la bouse de vache.

J’enfonce mes ongles dans ma chair pour éviter de craquer. Pourquoi font-ils ça ? Je viens les voir eux, pas les animaux. Je ne vois pas pourquoi je dois m’occuper de leur ferme. Ok, un coup de main de temps en temps, ça passe, mais là, deux semaines à faire la même chose chaque jour !

- Je ne peux pas plutôt passer du temps avec vous ?

- A faire quoi, hein ? rigole Maman. C’est quoi cette idée, Julie ?

- Bah disons que je ne suis pas ici pour être exploitée.

- Exploitée, tout de suite les grands mots ! s’exclame Papa. Dit aussi que c’est de l’esclavage, tant que t’y es ! Allez, mange ou tu retournes aux champs.

Je souffle et repars dehors. Je m’assois sur les blés – je m’en fous de ce que diront mes parents – et réfléchis. Comment je pourrais leur dire gentiment que je dois partir ? Je ne peux pas parler de travail, je ne suis pas encore dans la vie active. Je peux peut-être parler d’une conférence à laquelle j’ai envie d’assister…

- Hey, Papa, Maman, je suis désolée, mais il faut que je retourne à Portland.

- C’est une blague, tu viens à peine d’arriver !

- Bah, il y a une conférence à laquelle j’ai envie de participer demain.

- Ah oui, mais tu sais, les conférences sont retransmises sur YouTube. Tu pourras la regarder après, ajoute Maman.

Elle se stoppe et me regarde.

- Au fait, tu es toujours avec Nolan ?

- Non, ça va bientôt faire un an qu’on s’est séparé.

- Pourquoi ça ?

- Il m’a trompé.

Ma mère me regarde et se retient de rire.

- Tu n’es même pas capable de retenir un garçon, eh ben ! Tu me déçois tellement, Julie. À la base, tu devais reprendre notre ferme, mais tu as décidé de devenir maquilleuse professionnelle, là, tu me sors que tu veux partir et en plus, tu n’es pas capable de garder ton petit ami ! Si c’est pas être ratée, ça. Comment j’ai fait avec ton père ? J’ai dû me battre avec d’autres filles, et j’ai gagné. Toi, t’es juste une bonne à rien. Je l’ai toujours dit.

Je commence à pleurer. Pourquoi ma mère est si horrible avec moi ? Je l’ai déçue en voulant vivre mon rêve. Et en plus, elle dit que je suis ratée. La tristesse me gagne et je pars dans ma chambre. Je téléphone à Cassandra, mais elle ne répond pas. Je téléphone à Marius et il décroche à la première sonnerie.

- Salut Julie, ça va ?

- Écoute, j’ai pas beaucoup de temps avant de n’avoir plus de réseau. Est-ce que tu peux venir me chercher en voiture à la gare de Vancouver. Je t’expliquerai tout.

- Vancouver ? Mais, Julie, ça fait loin.

- S’il te plait.

- Hum… Je serai là d’ici 5 heures. Et j’attendrais des explications, Julie.

- Promis.

Je quitte discrètement la maison de mes parents, mais c’est peine perdue.

- Julie ! Je peux savoir où tu vas ? dit mon père avec un ton autoritaire.

- Au marché de Vancouver.

- Rentre avant 19 heures.

- Bien sûr.

Mais oui, c’est ça.

Je me dépêche de partir de la maison et je cours pour rejoindre la ville. Au marché, il y a du pâté, du fromage et des légumes. J’achète une baguette de pain ainsi que deux pains au chocolat à la boulangerie et me poste devant la gare de Vancouver.

Une heure plus tard, la voiture de Marius se gare.

- Julie !

Je m’installe côté passager et lui tends un pain au chocolat.

- Alors ? Ton explication, Julie. Pourquoi tu m’as fait venir ici ?

Il me semble énervé. Il est plus froid que d’habitude.

- Je suis désolée, tu m’en veux…

- Non.

- Mais tu as l’air énervé…

- Inquiet. Je viens de parcourir 510 kilomètres sans savoir pourquoi tu m’as dit de venir te chercher. Je me suis inquiété, surtout que tu m’as dit être chez tes parents. Alors, qu’est-ce qu’il se passe, Julie ?

Il ne me regarde pas. Il fixe la route, les mains crispées sur le volant.

- Je suis désolée. À chaque fois que je vais chez mes parents, qui sont fermiers, je dois les aider, du matin au soir. Je suis épuisée quand je retourne à Portland et…

- Tu m’as fait venir pour ne pas avoir à t’occuper des vaches ? Tu ne sais pas dire à tes parents que tu en as marre ?

- Désolée… Ma mère m’a traité de bonne à rien, de ratée…

- Et t’avais besoin que je vienne te chercher. Tu ne sais pas rentrer par toi-même.

Je commence à pleurer. Je me rends compte à quel point c’était stupide de l’appeler juste pour ça.

- Mais qu’est-ce que je t’ai fait, Marius ?

- Je crois que t’as pas bien compris, Julie. Tu me dis de venir te chercher à Vancouver, je me suis imaginé que ce serait beaucoup plus grave que juste en avoir marre de jouer les fermières ! Est-ce que tu te rends compte que j’ai fermé la librairie juste parce que Madame en avait marre de rester bloquée entre un champ et des bouses ?

- Je… je suis désolée. Je ne m’en étais pas rendue compte. C’est stupide… Je suis idiote…

Au feu tricolore, il me regarde. Je lis dans son regard de l’inquiétude.

- Mais non… Je comprends, sur le moment, tu n’as pas réfléchi. Mais tu n’es pas idiote.

Il me sourit timidement et me tend un mouchoir.

- Allez, on rentre.

Marius me dépose devant chez moi, où je m’excuse pour la énième fois. J’ai appelé mes parents pour leur dire. Je crois que je les ai encore plus déçus. Cassandra me rappelle pour me demander ce qu’il se passait, je lui ai menti en disant que c’était juste pour prendre de ses nouvelles, et que j’étais de retour dans la région.

Je travaille tranquillement dans mon salon quand la sonnette retentit. Je me lève pour aller ouvrir et découvre Nolan.

- Encore toi ? Mais qu’est-ce que tu me veux, à la fin ?

- J’ai… une lettre à te donner.

- Encore ?

Je soupire.

- Oui, encore. Je n’arrive plus à te parler de ce genre de choses en face, Julie.

- Tu devrais, pourtant. À un moment donné il faut accepter d’affronter la réalité.

- Peut-être, mais je ne suis pas encore prêt.

Il me tend une enveloppe blanche avec écrit Julie Finn en rouge, d’une écriture peu soignée. Il s’en va vite et me laisse seule sur mon palier. Je rentre dans l’appart et glisse la lettre entre le panier de fruits et une planche à découper.

Je me mets devant un film, commande une pizza sur Uber Eats et profite de ma soirée toute seule. Je regarde un film romantique, avec le lycéen bad boy que toutes les filles veulent mais qui préfère la seule qui se fout de lui. Ils sortent ensemble en secret parce que sinon tout le monde serait jaloux, mais au final tout le monde s’en fout et voilà, happy end. Je vais à la cuisine me chercher une pomme et je me souviens de la lettre de Nolan. Je la sonde un instant, me demandant si je dois réellement la lire. Après tout, si c’est important, il devrait me le dire en face, non ? Je finis par l’attraper et ouvrir l’enveloppe. Je déplie le papier utilisé par Nolan et me mets à la lire à voix haute, comme si je m’adressais à quelqu’un dans la pièce qui serait moi, et que j’étais quelqu’un d’autre – dans ce cas-là, Nolan – qui parlerait.

Chère Julie,

Écoute, j’ai décidé de tenter ma chance avec Tessa. Elle me drague, m’embrasse puis me repousse et elle a voulu coucher avec moi. On va certainement jouer au chat et à la souris comme ça avant d’officialiser notre relation, mais voilà. Je t’aime encore, mais après tout, je ne suis pas sûr des sentiments de Tessa. Tant que je me contente de l’embrasser, de coucher avec elle et de flirter, ce ne sera pas un problème si je t’aime encore, je pense. De toute façon, tu t’en fous de moi, vu que Marius est là. Quand Tessa voudra officialiser sa relation avec moi, je dirai non. Elle et moi vivons des histoires ensemble, certes, mais elles sont sans lendemain,parce que tu resteras pour toujours la femme de ma vie.

Nolan Oyama

Je lève les yeux au ciel. Il couche avec une autre et ose me dire qu’il m’aime. Ce mec est vraiment con. J’ai envie de le tuer. Je plains Tessa, à qui il fait des faux espoirs. Je suis sûre qu’elle est persuadée de l’avoir, alors qu’au final, il est toujours sur moi.

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