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Je ne sais pas comment j’arrive à être présent. Heureusement que la psy, Viviane, m’a pris en charge dès l’hôpital. J’ai l’impression d’avoir passé l’été avec elle. Elle a bousculé ses vacances pour moi. Sans elle, je me serais effondré, sans espoir de remonter. Je n’avais qu’une envie…

Tant de choses sont survenues depuis l’année dernière. Tu m’as métamorphosé, mais je ne suis pas sûr d'être si différent de mon personnage passé : un moins que rien. Je dois conserver et continuer tes créations en moi. Tu le faisais, m’as-tu dit, pour mettre en valeur ton adoration. Tu es tout pour moi. J’adore enfiler les vêtements vifs que tu avais choisis pour moi. Tu te souviens de ma terreur quand tu m’as offert ce sweat rouge ? « Tout le monde va me voir ! » ai-je gémi. Tu m’as pris par la main et tu m’as entrainé. Tu étais à côté de moi, paraissant indifférent à ma gêne et à ma honte. Seule la pression de ta main me rassurait, augmentant avec ma détresse, jusqu’à ce que je lâche. Quand tu m’as murmuré : « Je suis fier d’être au côté de celui que tout le monde regarde », dans cette foule éparse et indifférente, je n'ai su comment te remercier pour cette petite marche franchie, ce mur écroulé.

Tu as démonté chaque écaille de ma carapace, me protégeant avant de me montrer son inanité. Tu ignorais mes combats intérieurs, ma confiance absolue de cette violence. Ce n’est pas vrai, puisque tu me félicitais pour chacune de mes victoires !

Continuer, alors que mes défenses repoussent si vite, est difficile sans ta chaleur. Je me force, je deviens plus visible. Mes longs cheveux sont tombés, j’ai maintenant la même coiffure que toi. C’est drôle, car cela accentuait ton charme, alors que c’est ma finesse, ma fragilité qui apparaissent. Ma mère a pleuré en me voyant revenir, tellement j’étais beau, m’a-t-elle dit. J’ai également adopté les deux boucles dans l’hélix à gauche, tout comme toi. J’ai ajouté un minuscule anneau d’or dans le lobe droit pour que tu sois toujours avec moi. J’aime ces contrastes avec mon visage trop enfantin. Je me force à être à ta hauteur.

J’ai aussi pris ton parfum. J’ai mis du temps à m’en apercevoir. Au début, je trouvais juste que tu sentais bon, sans penser à un parfum. Un garçon qui se parfume ! Quelle bizarrerie inimaginable ! C’était en t’attendant à la sortie des vestiaires que j’ai vraiment humé cette odeur, si fraiche sous celle de la douche, douce, virile, un peu envoutante. Le soir, elle se mélangeait harmonieusement à tes effluves. J’ai fouillé ta trousse de toilette. J’ai découvert le flacon d’un rouge sombre et je me suis enivrée de ce concentré de mon adoration. J’en ai passé deux gouttes dans mon cou. Quand tu m’as enveloppé de tes baisers, je t’ai senti ralentir en te retrouvant. Tu t’es écarté, tu m’as regardé les yeux emplis de joie, puis tu es reparti avec plus de fougue.

— Nous sommes si semblables ! as-tu commenté sobrement ensuite.

J’ai eu du mal à le trouver, puisqu’il ne se vend que dans les magasins de cette marque. La plus petite fiole m’a coûté une fortune, mais le respirer en permanence est un partage d’une douce consolation.

Je suis épuisé de me battre. Je comprends maintenant l’expression de combat désespéré, car si j’arrête, je te perds.

J’ai ta bague au doigt. Elle aussi, je ne l’ai repérée que quand nous nous sommes rencontrés. Elle est énorme et elle représente je ne sais quoi. Tu venais de me la donner, le soir où… J’aimais sentir sa froideur et sa dureté dans les caresses, me laissant une ligne solaire sur la peau. Tu le savais, car parfois, elle était seule à courir sur moi. C’est pour conserver ces sensations que je l’ai refusée. Avec un immense sourire, tu as pris ma main gauche, tu l’as enfilée solennellement à mon annulaire. Elle devenait donc notre lien éternel. Trop large pour mon doigt effilé, elle glissait, m’obligeant à garder la main fermée.

Tes parents ont fait un scandale à l’hôpital, car elle avait disparu. Un bijou de famille de grande valeur ! J’ai compris quand maman m’a accompagné chez le bijoutier pour l’ajuster. Elle est très ancienne, en or massif ! J’ai entendu le prix énorme de ce travail. Ils me l’ont réofferte avec tant de joie et de tristesse. Je m’en veux de leur infliger ma peine.

Quand les flics m’ont fait reconnaître les mecs, ils m’ont aussi interrogé sur la bague. Je n’ai rien dit. C’était encore le même policier, celui qui m’avait arraché une description. Il avait dans le regard une haine pour ces gars et une compassion pour moi. J’ai vu que notre affaire le touchait profondément. En partant, j’ai essayé de lui dire un mot de gratitude. J’étais gêné, j’ai tourné les talons sans vraiment l’avoir remercié.

Je n’ai pas compris mon indifférence pour ces quatre pauvres types, lamentables et pitoyables. Je ne ressens aucune colère. Viviane m’interroge beaucoup sur ce point.

Notre affaire a été traitée très discrètement par les journaux. Une association de défense a essayé d’en faire un exemple, mais j’ai été incapable de suivre. De toute façon, tout le monde s’en fout.

Continue à me donner ta force.

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