Mercredi 26 juin / 3

6 minutes de lecture

Julie

Je viens de déposer les enfants chez ma sœur et je rebrousse chemin, répétant mentalement les gestes à faire pour terminer mon repas et la préparation de cette soirée. Un petit tête-à-tête pour mon anniversaire, je trouve que c’est un joli cadeau. Tim aurait pu y penser, comme il le faisait il y a encore quelques années. Jamais il n’avait prévu lui-même le repas, mais réserver le restaurant et s’organiser avec sa mère pour mettre les enfants au lit, ça oui, il m’en avait déjà fait la surprise.

Je suis un peu triste qu’il ne m’ait pas souhaité mon anniversaire au réveil, ni même pendant la journée, mais j’imagine facilement le bouquet de roses entre ses mains et une mine triomphante sur le visage, me montrant qu’il n’avait pas oublié.

Mais c’est vrai que ces jours, il semble préoccupé. Lorsque je lui pose carrément la question, il botte en touche, prétextant le boulot. Vivement les vacances. Trois semaines loin de notre quotidien, cela fera du bien à tout le monde.

J’ai préparé une salade en entrée avec des croutons au paprika et de fines lamelles de magrets de canard, suivi d’un foie gras poêlé garni de petits légumes, d’une finie tranche de pain d’épice et d’une compotée de figues placée comme une petite quenelle. Et bien évidemment notre dessert favori, un fondant au chocolat avec une petite boule de glace au porto.

Tim ne m’a pas dit à quelle heure il sera à la maison, mais j’ai prévu le repas pour vingt heures. Il y a peu de risque pour qu’il ne soit pas encore à la maison. J’ai même mis une bouteille de champagne au frais pour l’apéritif et une bouteille de rosé pour le repas.

Me concernant, j’ai aussi fait des efforts. Après la douche habituelle, je me suis maquillée avec soin et parfumée aux endroits stratégiques. J’ai ensuite revêtu la petite robe qu’il préfère sans oublier mes nouveaux sous-vêtements, un joli collier qui décore mon décolleté, des anneaux aux oreilles, le bracelet offert lors de notre dernier anniversaire de mariage et de petits escarpins aux talons hauts.

La maison est rangée, la cuisine impeccable, il n’y a que le repas qui attend d’être dégusté. Quelques bougies au centre de la table, une belle nappe blanche décorée de strass discrets et de quelques pétales de roses rouges qui apportent une petite touche de couleur. Tout est parfait.

Un peu après vingt heures, je reçois un coup de fil de Tim.

— Excuse-moi, Lili… mais un dossier important. Je bosse encore.

— Tu es au bureau ? m’étonné-je déçue.

— Oui. Ne m’attendez pas !

— Mais…

— Je t’envoie un message dès que je rentre, comme d’habitude. Bon appétit !

Ce n’est pas possible ! Il ne peut pas me faire ça ! Pas aujourd’hui !

Je tombe comme une masse sur le canapé en regardant le téléphone, abasourdie.

Je reste inerte plusieurs minutes, quand soudain la sonnette de la porte retentit. Je me lève et colle un sourire de circonstance sur mon visage. C’est sans doute un ami, ou mes parents qui viennent m’embrasser. Quoique ma mère m’a appelé ce matin pour me dire qu’elle ne pourrait pas passer aujourd’hui, qu’elle courrait après les médecins pour papa. Je me suis immédiatement inquiétée mais elle m’avait rassurée… C’était sa nouvelle lubie. Essayer de nouvelles thérapies.

Je saisis la poignée, tire la porte et me retrouve en face de Manu. J’en ai le souffle coupé. Entre surprise et admiration. Dans l’embrassure, avec la luminosité changeante, ses cheveux en bataille, sa tenue décontracté… Je le trouve beau, tout simplement. Plus que lors de notre accrochage, alors qu’il était vêtu avec classe, plus aussi lorsqu’il était venu à la librairie et que nous nous étions embrassés. Un je-ne-sais-quoi le rend tout simplement… irrésistible, ce soir. Et j’ai un peu du mal à voir l’alerte qui s’allume dans mon esprit.

Son regard parcourt l’entier de ma silhouette, s’attardant par endroit, le regard étincelant. Il semble aussi surpris. Pas de me voir, mais sans doute qu’il ne s’attendait pas à ce que je sois apprêtée de cette manière en pleine semaine.

Je m’écarte du passage et l’invite silencieusement à entrer. Je remarque son hésitation mais il s’approche et dépose une bise sur ma joue.

— Bonsoir Manu. L’apéro c’est demain, tu es un peu en avance, plaisanté-je.

— Je sais… Tu… tu es très belle Julie. Ta tenue est… magnifique.

Son attention ne quitte pas une seconde mon corps, passant de mes jambes à mon décolleté, mais mon visage aussi est caressé par ses yeux.

— Je ne vous dérange pas plus longtemps. Je suis juste venu déposer le dossier que j’ai promis à Tim avant qu’il quitte le bureau. Tu les lui donneras ?

— Tu sors du bureau ? m’étonné-je.

Je retiens mon souffle le temps qu’il me réponde. Tim vient de me dire qu’il travaillait encore. Où serait-il, s’il n’était pas au bureau ?

— Non. Je suis rentré, j’ai mangé puis… j’ai terminé les croquis. Il en a besoin pour sa présentation demain matin.

Mon esprit fusionne les informations reçues… Tim serait parti, puis retourné au bureau après le départ de Manu ? Pour quoi faire ?

— Tu peux les mettre sur la console derrière toi. Il met toujours ses clés de voiture dans la coupelle, dis-je sans émotion.

— Ça va Julie ? Tu es toute pâle ?

Je… Je ne peux pas partager mes doutes. Même pas à Manu. Je déglutis, tente un sourire pour le rassurer mais je me force et il doit le voir. Son expression ne change pas. Il semble inquiet, lorsque soudain, il respire fortement et dit :

— Si je peux me permettre, Julie… ça sentait très bon, mais là…

— Merde ! Mon foie gras ! dis-je en courant dans la cuisine. Ferme la porte et entre Manu…

Je me précipite juste à temps sur la poêle, que j’éjecte sans ménagement de la plaque, puis admire les dégâts. Heureusement, tout n’est pas perdu. Seuls quelques sucs ont grillé.

— Waouh… bougies et nappe blanche. C’est votre anniversaire de mariage ? me demande Manu depuis le salon.

— Non. Nous nous sommes mariés en septembre.

— C’est drôlement calme. Les enfants ne sont pas là ? demande-t-il en s’approchant du fourneau.

— Ils sont chez ma sœur.

Je l’entends humer les différentes odeurs et je lui raconte le menu qui semble lui plaire. Je soulève la casserole de purée, en récolte une petite quantité dans une cuillère et la lui tend :

— Tu veux bien goûter et me dire s’il manque un assaisonnement, s’il te plaît.

Manu ouvre docilement la bouche et déguste sans un mot, sans un sourire, pas même une grimace. Il reste incroyablement muet, les yeux fixés à mes prunelles. J’ai simplement l’impression qu’il s’approche encore plus de moi.

Je me perds dans la contemplation de son visage, de ses traits fins et virils à la fois, sur sa barbe naissante, son nez droit, ses sourcils foncés, ses yeux et finalement ses lèvres. Je ne parviens plus à soutenir cette émotion et je préfère fermer les paupières en murmurant :

— Si tu n’avais pas déjà mangé et si tu n’étais pas attendu par une merveilleuse jeune femme que j’adore, je te préparerais une assiette et te proposerais de partager mon repas.

— Et Tim ? siffle-t-il entre ses dents. Il est sous la douche ?

Je secoue négativement la tête.

— Il n’est pas encore à la maison. Tu veux goûter le dessert ?

Nous nous rapprochons millimètre par millimètre, respirons le parfum de l’autre de manière un peu saccadée. J’ai du mal à soutenir son regard et pourtant je ne le quitte pas une seconde. Je remarque sa bouche se pincer avant de demander :

— C’est quoi ?

— Un fondant au chocolat avec une boule de glace au porto… ou moi, au choix.

— Julie ! soupire-t-il.

Qu’est-ce qui m’a pris de lui dire ça ? Même si j’en ai très envie, là tout de suite, je ne peux pas… je ne veux pas… Pas comme ça…

Et pourtant nos bouches se collant l’une l’autre, nos langues dansant en chœur, nos corps s’approchant, se touchant, se lovant, nus…

Je réprime un frisson. J’en rêve… toute éveillée, je me mets à fantasmer sur une scène qui ne peut avoir lieu.

Mais pour mon anniversaire… Il pourrait juste m’embrasser. Partager un nouveau baiser. Ce ne serait qu’un de plus. Juste un petit baiser de rien du tout, me montrant que je suis désirable, que je n’ai pas fait tous ses efforts pour rien. Je m’avance, tends le cou, l’invite silencieusement à ce petit plaisir que je souhaite revivre… encore rien qu’une fois.

— Embrasse-moi.

— Je… Je ne pourrai pas m’arrêter Julie.

— Juste un baiser. Promis, je ne te retiendrai pas.

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