Jeudi 28 novembre
Julie
J'éteins l'aspirateur et écoute plus attentivement, mais oui, je n'ai pas rêvé. Quelqu'un a sonné. Je tente de me redonner un peu d'allure, en replaçant correctement ma pince dans les cheveux, retenant mes mèches en bataille ce matin. Je déverrouille la porte et me retrouve devant Charlotte, les bras chargés de croissants. D'abord surprise, je finis par lui sourire et l'invite à entrer. Il fait un froid polaire aujourd'hui et elle semble gelée.
— Il y avait du monde à la boulangerie, j'ai dû attendre sur le trottoir. J'espère que tu as faim.
— Tu en as pris pour un régiment, ma parole, dis-je en riant de son extravagance, y compris pour les croissants.
— Il nous faut des calories pour passer l'hiver. Tu m'offres un café ?
D'un geste, je l'invite à me suivre jusque dans la cuisine. Le ménage attendra.
— On s'est promis de se dire lorsque... enfin si quelque chose ne nous convenait plus.
Surprise par la rapidité de ses propos, même si je pensais bien que la conversation un peu avortée lors de la soirée reviendrait sur le tapis.
— Oui. Tu veux... un changement ? demandé-je craintive.
Même si je peine à comprendre les réactions de Manu et que son silence depuis plus de deux semaines maintenant me blesse, j'avoue que je ne suis pas prête pour la rupture, si c'est ce qu'elle est venue m'annoncer.
— Je crois que nous avons besoin d'aide.
À quoi pense-t-elle. Je l'encourage d'un mouvement de tête.
— J'ai pris la liberté d'appeler mon psy.
— Tu as bien fait.
— Il accepte de nous rencontrer.
Devant mon manque de réaction, elle complète :
— Tous les trois.
— Quoi ? explosé-je.
— J'ai besoin d'un avis neutre, d'un endroit sans témoin et que l'on se retrouve tous les trois pour se dire les choses.
— Qu'en pense Manu ?
— Il est un peu perdu. Il veut des réponses. Il ne gère pas du tout le fait que tu désires un autre homme que lui.
J'ouvre la bouche, mais Charlotte m'en empêche.
— C'est votre histoire, je refuse de prendre parti. J'ai besoin de retrouver mon mari et que l'on m'explique mes réactions.
— Je vois pas trop ce que je viendrai faire à votre séance.
— Tu es le nœud d'un problème. On peut évidemment parler de toi sans que tu sois présente, mais...
— C'est plus simple si je suis là. Je comprends.
Et que je puisse me défendre aussi en l'occurrence et peut-être qu'un professionnel remettra enfin un peu d'ordre dans tout ça. J'avoue que je ne sais plus ce qui est bien, mal, ce que je veux ou ne veux plus. Manu me manque, c'est inéluctable, mais pas sa manière de me traiter ou d'être depuis deux semaines. J'aimerais retrouver ses bras sans vraiment me poser de questions. Sauf que nous avons passé l'âge de fermer les yeux sur les problèmes.
— Il a un créneau demain, je sais que c'est précipité, mais entre tes horaires, ceux de Manu, les semaines où tu as les enfants, les possibilités sont restreintes. Tu peux l'appeler si tu préfères déplacer.
Heureusement que je n'ai rien de prévu. Je retiens ma remarque. Je sais que ça part d'une bonne intention et elle a raison, autant avancer le plus vite possible. Cela ne sert à rien de faire traîner les choses.
Charlotte sort de sa poche une carte de visite, et m'indique le chemin à suivre.
— Tu veux y aller par tes propres moyens ou partager notre voiture ?
— Non, je vous rejoindrai là-bas.
Charlotte
Je suis heureuse que Julie ait accepté si facilement. Je suis presque triomphante le soir en l'annonçant à Manu. Mais ce dernier se referme et si son sourire éclairait son visage en arrivant, là il semble sans expression.
— C'est pas ce que tu voulais ? Tu as changé d'avis ?
Il hausse les épaules tout en secouant la tête.
— Ben alors ? Pourquoi tu fais cette tête ?
— Elle veut rompre, marmonne-t-il.
— Elle te l'a dit ? paniqué-je. Vous vous êtes parlés ?
— Non, mais c'est le lieu idéal.
— Ah ? Tu trouves ?
Pour moi, une rupture fait voler des assiettes dans une cuisine, ou déchire les draps dans une chambre à coucher. Je ne me vois pas vraiment assise sur le canapé de mon psy et dire que tout est fini. Non, il se trompe.
— Elle va peut-être pas formuler les paroles de cette manière, mais elle va s'éloigner. Elle voudra profiter d'un médiateur qui nous aide tous à gérer, et surtout toi. Elle voudra te protéger, Charlotte.
— Moi ? Mais... pourquoi ?
— Si elle a accepté de me voir, c'est avant tout pour toi.
— Mais tu m'as dit que vous vous aimiez, bredouillé-je totalement perdue.
Il grimace, ouvre le frigo pour trouver une idée pour le repas, le referme brusquement et saisit les œufs dans le buffet. Il propose une omelette et les enfants applaudissent.
Son entrain n'est plus le même et soudain la séance du lendemain me panique. Et si tout s'arrêtait ? Et si elle quittait nos vies ? Arriverions-nous à gérer le quotidien avec son fantôme entre nous ?
Un bisou se pose sur ma joue et je plonge dans le regard tendre de mon mari :
— N'y pense plus. On a toujours dit : nous deux... contre tous. On est fort, Chacha, on s'en sortira. Avec ou sans elle.
Il semble convaincu, je le suis moins.
Ce soir nous faisons l'amour, mais la fougue nous manque. Les gémissements n'emplissent pas les oreillers comme d'habitude et le lit tremble à peine. Je crains que la suite ne soit que le reflet de ce qui vient de se passer entre nous. Et je peine à trouver le sommeil.
Manu me tient dans ses bras, perdu lui aussi dans ses pensées. Il attend que je m'endorme pour se retourner, c'est notre habitude, mais ce soir, la petite jouissance que j'ai ressentie ne suffit pas à m'anéantir pour que je retrouve les bras de Morphée. Cela me promet une nuit agitée.
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