Le lycée Archène, avec ses murs de briques anciennes et ses fenêtres à vitraux, ressemblait plus à une forteresse qu’à un lieu d’apprentissage. Perché au sommet d’une colline, il dominait la ville en contrebas, offrant une vue imprenable sur les toits rouillés et les rues sinueuses qui s’entrecroisaient comme les veines d’un corps ancien. Le bâtiment, autrefois un monastère, avait conservé une atmosphère de solennité qui pesait sur les épaules des élèves dès qu’ils franchissaient les portes.

Dans les couloirs, le bruit des conversations s’entrechoquait contre les murs épais, et les groupes d’élèves se pressaient autour des casiers, échangeant rires et bavardages. Corentin se glissait au milieu de cette agitation avec la discrétion d’une ombre, son sac en bandoulière bien accroché sur son épaule. Mira et Kenny le rejoignirent près de son casier, comme à leur habitude.

— Encore une journée, et on est en week-end ! s’enthousiasma Mira, sautillant presque sur place.

Kenny hocha la tête, le visage légèrement tiré par la fatigue. Ses cheveux bouclés semblaient plus désordonnés que d’habitude, et il porta une main à sa nuque en grimaçant.

— Si seulement... On a encore le cours de physique avec monsieur Lanchard, soupira-t-il. Sérieusement, comment cet homme peut rendre un sujet déjà ennuyeux encore pire ?

— Il a ce don particulier, je suppose, plaisanta Corentin, un sourire en coin.

Ils se frayèrent un chemin vers leur salle de classe, au deuxième étage. Les escaliers grinçaient sous leurs pieds, témoins du passage de milliers d’élèves avant eux. Corentin aimait ces escaliers, car ils lui rappelaient que, malgré le temps qui passait, certaines choses restaient immuables. Il avait toujours trouvé un certain réconfort dans les vieilles pierres et l’odeur de la poussière qui s’élevait dans l’air à chaque pas.

En entrant dans la classe, ils retrouvèrent leur place habituelle, près des fenêtres. La lumière du matin pénétrait en flots timides à travers les vitraux, projetant des motifs colorés sur les bureaux et les visages des élèves. Corentin se laissa tomber sur sa chaise, posant son sac à ses pieds.

Monsieur Lanchard entra quelques minutes plus tard, ses lunettes glissant au bout de son nez et un épais cahier de notes sous le bras. Il était grand, maigre, et avait l’allure d’un corbeau aux habits sombres. Son regard perça l’assemblée d’élèves avec une intensité calculée, comme s’il cherchait déjà à identifier ceux qui pourraient causer des problèmes.

— Bien, reprenons là où nous nous étions arrêtés la semaine dernière, annonça-t-il d’une voix rauque en tapotant son cahier.

Le cours de physique commença, mais Corentin peinait à se concentrer. Il s’adossa au dossier de sa chaise, écoutant d’une oreille distraite les explications de monsieur Lanchard sur les forces de gravitation. Son regard se perdit à travers la fenêtre, où il pouvait voir la ville en contrebas, les toits serrés les uns contre les autres, et au loin, les contours flous des montagnes. Cette vue le calmait toujours, lui rappelant qu’il y avait un monde au-delà des murs du lycée, un monde vaste et complexe qu’il avait encore à explorer.

À côté de lui, Mira était en pleine concentration, ses yeux rivés sur son cahier. Elle griffonnait des notes à toute allure, ponctuant chaque phrase de petits dessins de phénix et de feuilles enflammées. Elle avait toujours été fascinée par l’idée de vol, par la liberté que cela représentait. Corentin ne comprenait pas pourquoi elle était autant obsédée par ces créatures de feu, mais il admirait sa passion silencieusement.

Kenny, en revanche, était à moitié endormi. La tête appuyée contre sa main, il luttait pour garder les yeux ouverts. Corentin lui donna un léger coup de coude, un sourire amusé aux lèvres.

— Hé, tu vas rater l’explication du siècle sur les orbites, chuchota-t-il.

— Si ça se trouve, je suis en train d’orbiter autour du sommeil, répliqua Kenny avec un sourire fatigué.

Leur petite blague fit écho en eux comme un instant de complicité, une bulle de tranquillité au milieu de l’ennui du cours. Corentin jeta un coup d’œil à Mira, qui souriait en coin sans relever la tête de ses notes.

La cloche retentit enfin, libérant les élèves de l’emprise de la physique. Les chaises raclèrent le sol, et les conversations reprirent de plus belle. Mira se leva d’un bond, étirant ses bras au-dessus de sa tête.

— Enfin ! Allez, on a une pause de vingt minutes, on va dehors ? proposa-t-elle.

Ils sortirent de la salle et se dirigèrent vers la cour, un espace ensoleillé entouré d’arbres. Les feuilles des platanes, teintées de jaune et de rouge, tombaient en tourbillons légers, portées par le vent d’automne. Les élèves se dispersèrent en petits groupes, discutant, riant ou consultant leurs téléphones.

Kenny s’appuya contre un tronc d’arbre, profitant de la brise fraîche sur son visage.

— Sérieusement, j’ai hâte qu’on finisse cette journée. Le club de photo, c’est sympa, mais je rêve de passer une soirée à rien faire, souffla-t-il.

Mira croisa les bras, une expression malicieuse sur le visage.

— Oh, mais tu sais que la sortie au parc est toujours prévue, n’est-ce pas ? Vous êtes prêts pour des clichés épiques ?

Corentin resta silencieux un instant, mais il se força à sourire. Il devait continuer à jouer le jeu, même si quelque chose en lui le poussait à rester vigilant. Le monde autour de lui semblait si ordinaire, si paisible. Mais il savait, au fond, que cette paix était fragile. Une simple photo, une seule erreur, et tout pourrait changer.

Pour l’instant, cependant, il se contenta de profiter de l’instant. La routine avait quelque chose de rassurant, même si elle cachait toujours des mystères en arrière-plan.