Après avoir arpenté le parc pendant plusieurs heures, prenant des photos de chaque recoin, les quatre amis se retrouvèrent près de la sortie. Le soleil, bien que voilé par les nuages, commençait à descendre, projetant une lueur douce et dorée sur les feuilles tombées. Mira s’étira, satisfaite de leur récolte de clichés.

— C’était génial ! Je crois qu’on a assez de photos pour remplir tout un album, dit-elle en souriant.

Kenny, visiblement plus détendu maintenant qu’ils quittaient le parc, hocha la tête.

— Ouais, c’était sympa. Enfin, ça l’est toujours quand on est tous ensemble.

Lara, qui les avait rejoints pour les dernières photos, rangea son appareil dans son sac en bandoulière. Elle leur lança un regard malicieux.

— Alors, pour vous remercier de cette super journée, ça vous dit qu’on aille manger une crêpe en ville ? C’est moi qui invite !

Mira et Kenny se regardèrent avec enthousiasme.

— Oh, c’est trop sympa, Lara ! Merci, répondit Mira.

— Ouais, j’adore les crêpes ! ajouta Kenny, le sourire aux lèvres.

Corentin, quant à lui, garda un instant le silence, luttant contre l’instinct qui lui soufflait de trouver une excuse pour refuser. Manger en groupe, surtout quelque chose d’aussi banal que des crêpes, c’était une de ces situations où il devait faire semblant d’être « normal ». Mais refuser paraîtrait suspect, et il n’avait pas l’intention d’attirer l’attention. Il prit une inspiration discrète avant de se forcer à sourire.

— D’accord, allons-y, dit-il, comme si de rien n’était.

La petite troupe quitta le parc et se dirigea vers le centre-ville, où les rues pavées se rétrécissaient, bordées de boutiques colorées et de petits cafés. L’odeur sucrée des crêpes et des pâtisseries flottait dans l’air, mélangeant vanille, sucre et caramel. Ils arrivèrent devant une crêperie au charme d’antan, avec sa devanture en bois et ses guirlandes lumineuses suspendues au-dessus de l’entrée.

— Par ici ! lança Lara en poussant la porte.

À l’intérieur, l’atmosphère était chaleureuse, et les tables en bois étaient décorées de nappes à carreaux. Le petit groupe s’installa dans un coin, près de la fenêtre, d’où ils pouvaient voir les passants se presser sous la lueur des lampadaires.

Lara fit signe au serveur et commanda des crêpes pour tout le monde, chacune garnie de chocolat, de banane ou de caramel au beurre salé. Corentin sentit une pointe d’angoisse monter en lui alors que l’odeur sucrée emplissait la pièce. Il devait rester calme, naturel. Il avait fait cela des dizaines de fois, et personne ne l’avait jamais remarqué. Il se répéta ces mots, se forçant à adopter une expression détendue.

Quand les crêpes arrivèrent, fumantes et généreusement garnies, Mira et Kenny ne perdirent pas une seconde avant de se jeter dessus. Corentin les imita, piquant sa fourchette dans la pâte moelleuse et portant un morceau à sa bouche. La texture lui sembla étrange, presque écœurante, mais il masqua son dégoût en souriant comme les autres.

— C’est vraiment bon, murmura-t-il, espérant paraître convaincant.

Mira et Kenny ne remarquèrent rien, trop occupés à dévorer leurs propres crêpes. Lara, satisfaite de voir ses amis heureux, leur adressa un sourire radieux.

— Je suis contente que ça vous plaise. C’est l’une de mes crêperies préférées !

Corentin continua à prendre de petits morceaux, les mâchant lentement, luttant contre l’envie de tout recracher. Il sentait l’acidité monter dans sa gorge, une réaction de son corps contre cette nourriture qu’il n’était pas censé consommer. Pourtant, il garda son calme, se forçant à avaler sans montrer la moindre trace d’inconfort. Il attendit que tous soient suffisamment occupés dans leurs conversations avant de se lever.

— Je reviens, dit-il en pointant la porte des toilettes au fond de la salle.

Personne ne prêta attention à lui, et il se dirigea vers la porte, la poussant doucement. Une fois à l’intérieur, il la verrouilla derrière lui, s’adossant un instant contre le mur carrelé. La pièce exiguë résonnait du bruit des gouttes d’eau s’écrasant dans le lavabo, et la lumière faiblarde projetait des ombres étranges.

Il se pencha au-dessus de la cuvette, expulsant le contenu de son estomac sans un bruit. C’était toujours la même sensation, comme s’il se purifiait de quelque chose qui ne devait pas être en lui. Il ferma les yeux, attendant que l’écoeurement passe, puis se redressa en essuyant sa bouche avec le revers de sa main.

« Ça va aller », se dit-il en se regardant dans le miroir. Son reflet lui rendit un regard calme, maîtrisé, mais il pouvait sentir l’épuisement sous la surface. C’était une routine, un acte nécessaire pour maintenir l’illusion. Il ne pouvait se permettre de relâcher sa vigilance.

Il se passa de l’eau sur le visage avant de quitter la salle de bains, s’efforçant de reprendre une expression détendue. Quand il revint à table, ses amis l’accueillirent avec des sourires, et il les rejoignit comme si de rien n’était.

— Alors, qu’est-ce que vous avez prévu de faire après ? demanda-t-il en s’asseyant.

Mira, toujours aussi pleine d’énergie, proposa d’aller voir un film, mais Kenny préférait l’idée de rentrer se poser tranquillement chez lui. Lara souriait, heureuse de voir que la journée s’était bien passée.

Corentin, lui, se détendit un peu. Tout s’était bien passé. Pour eux, il était comme tout le monde, et c’était tout ce qui comptait.