Chapitre 6

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Après avoir quitté la crêperie, le petit groupe se sépara devant la place centrale, chacun retournant vers son quartier. Kenny partit le premier, saluant ses amis d’un signe de la main avant de s’engouffrer dans une rue latérale. Mira le suivit, prenant la direction opposée, laissant Corentin et Lara seuls au carrefour illuminé.

— On habite pas très loin l’un de l’autre, tu veux qu’on fasse un bout de chemin ensemble ? proposa Lara avec un sourire amical.

Corentin hésita une seconde, mais il se forçait à rester naturel.

— Pourquoi pas, répondit-il en glissant les mains dans ses poches.

Ils commencèrent à marcher côte à côte le long de l’avenue principale, leurs pas résonnant doucement sur le pavé. Les réverbères projetaient des halos de lumière dorée, et les vitrines des boutiques fermées laissaient filtrer des lueurs tamisées. La ville, calme et presque endormie à cette heure, avait quelque chose de rassurant. Corentin se sentait presque apaisé, jusqu’à ce que Lara brise le silence.

— Tu es ici depuis toujours, n’est-ce pas ? demanda-t-elle d’un ton léger.

Il tourna légèrement la tête vers elle, ses yeux violets attrapant la lueur d’un lampadaire.

— Oui, plus ou moins, répondit-il prudemment. Pourquoi ?

Lara haussa les épaules, les mains enfoncées dans les poches de son manteau.

— Oh, c’est juste que je ne te voyais pas souvent avant le lycée. Tu as changé d’école ou quelque chose comme ça ?

Il sentit une vague de tension monter en lui. Il se rappela de garder son expression détendue, souriant même légèrement.

— Oui, mes parents m’avaient inscrit dans un établissement privé avant. Mais j’ai rejoint Archène en quatrième, expliqua-t-il, tentant de rendre son mensonge aussi crédible que possible.

Lara hocha la tête, mais il remarqua un léger plissement de ses yeux, comme si elle réfléchissait à quelque chose.

— Je vois. C’est marrant, je me disais justement que tu n’étais pas comme les autres... enfin, je veux dire, tu sembles... différent, parfois.

Corentin faillit s’arrêter de marcher. Cette remarque, même dite d’un ton apparemment innocent, le fit tressaillir. Il se força à rire, bien que son cœur battait un peu plus vite.

— Différent comment ?

Lara parut se rendre compte de son indiscrétion, et son sourire s’effaça un instant. Elle passa une main dans ses cheveux, visiblement embarrassée.

— Oh, je suis désolée, je crois que je parle trop... Je suis juste trop curieuse, c’est tout. Parfois, je pose des questions bizarres sans même m’en rendre compte. Oublie ce que j’ai dit.

Elle rit nerveusement, et Corentin se contenta de hocher la tête, souriant pour la rassurer.

— Pas de souci. Je comprends, répondit-il, comme s’il n’avait rien remarqué d’étrange.

Ils continuèrent de marcher en silence un moment, et la tension qui avait flotté un instant entre eux se dissipa peu à peu. Les rues devinrent plus étroites et résidentielles, et les bruits de la ville s’éloignèrent, laissant place au murmure des arbres secoués par le vent.

— On est presque arrivés, dit Lara en désignant une rue parallèle. J’habite juste là-bas. Mais toi, c’est encore un peu plus loin, non ?

— Oui, juste au bout de cette rue, confirma Corentin en désignant sa propre rue du menton.

Lara s’arrêta, souriant à nouveau avec la même chaleur habituelle.

— Super. Merci pour la compagnie, en tout cas. On se voit lundi, d’accord ?

Corentin lui rendit son sourire, essayant de paraître aussi naturel que possible, bien que l’échange de tout à l’heure résonnait encore dans son esprit.

— Oui, à lundi, Lara.

Elle lui fit un petit signe de la main avant de s’éloigner vers sa propre maison. Corentin resta un instant immobile, la regardant disparaître dans la pénombre avant de se tourner et de continuer son chemin. Il fit quelques pas, sa respiration se stabilisant à nouveau. Ce n’était rien, se répétait-il. Juste une conversation. Il ne devait pas s’inquiéter.

Il pénétra dans sa rue, une allée bordée de haies et de maisons aux façades de briques. Tout semblait paisible, presque figé dans une sorte de tranquillité familière. Arrivé devant sa porte, il sortit ses clés, glissant un regard furtif autour de lui avant d’entrer.

La chaleur de la maison l’accueillit immédiatement. Les murs tapissés de photos encadraient l’entrée, des clichés soigneusement sélectionnés par ses parents pour donner l’impression d’une vie de famille ordinaire. Corentin ôta ses chaussures, rangeant son sac dans le couloir. Il entendit des voix venir du salon.

— Corentin, tu es rentré ? demanda une voix douce.

Il s’avança et trouva sa mère, assise sur le canapé, un livre à la main. Son père, debout près de la fenêtre, jetait un coup d’œil distrait au dehors.

— Oui, je suis là, répondit-il en esquissant un sourire. La sortie photo s’est bien passée.

Sa mère, une femme aux traits délicats et aux cheveux châtains tirés en arrière, lui rendit son sourire.

— Tant mieux. Tu veux manger quelque chose ? Il reste du sang... enfin, je veux dire, du jus de fruits frais.

Corentin secoua la tête, s’installant à côté d’elle.

— Non, ça ira. J’ai déjà mangé une crêpe avec les autres, mentit-il sans sourciller.

Son père, silencieux jusqu’alors, se tourna vers lui, son regard scrutateur.

— N’oublie pas d’être prudent, Corentin. Tu sais à quel point c’est important.

Corentin hocha la tête.

— Je sais. Ne vous inquiétez pas.

Le silence retomba dans le salon, seulement troublé par le tic-tac régulier de l’horloge. Corentin regarda sa famille, ses deux parents qui faisaient de leur mieux pour maintenir l’illusion d’une vie normale. Il se força à sourire, comme toujours. C’était la règle du jeu. Et il était prêt à continuer à jouer.

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