Chapitre 25
La maison de Mira semblait suspendue dans un calme presque irréel, comme si elle tentait d’offrir un refuge à ses occupants face au chaos extérieur. Pourtant, ce calme n’était qu’une illusion. Corentin le sentait dans l’air, dans les ombres qui semblaient danser au rythme des guirlandes lumineuses accrochées au-dessus du buffet. Chaque objet dans la pièce, qu’il s’agisse des figurines en céramique ou des livres soigneusement alignés sur les étagères, semblait murmurer une histoire, un fragment d’une vie normale qu’il peinait à comprendre.
Assis dans le fauteuil en velours vert bouteille, Corentin fixait un point invisible devant lui. La lumière tamisée adoucissait les contours des meubles, mais son esprit refusait de s’apaiser. Kenny ronflait doucement sur le canapé, une main pendant mollement sur le bord, tandis que Mira, emmitouflée dans une couverture en laine, dormait dans son fauteuil rouge. Sa respiration était régulière, mais ses traits restaient crispés, comme si même dans ses rêves, elle ne parvenait pas à échapper à l’angoisse de la journée.
Corentin se passa une main sur le visage, essayant de calmer le flot de pensées qui tourbillonnaient dans son esprit. "Nathaniel t’a remarqué." Ces mots tournaient en boucle dans sa tête, s’entrelacent avec les accusations de Mira sur les vampires, son regard empli de haine qu’elle ne savait pas encore diriger contre lui. Il repensa à Livia, à son regard hésitant, presque désolé, lorsqu’elle avait prononcé ces mots.
"Je ne peux pas tout te dire, mais tu dois te préparer." Se préparer à quoi ? Il n’avait aucune réponse, seulement un mélange d’appréhension et de curiosité qui le rongeait de l’intérieur.
Il soupira et se leva doucement, faisant attention à ne pas réveiller ses amis. Ses pieds nus frôlèrent le tapis moelleux, et il s’approcha de l’étagère pleine de livres et de bibelots. L’odeur légèrement poussiéreuse des pages anciennes se mêlait à celle, plus subtile, des bougies éteintes. Ses doigts parcoururent les tranches des ouvrages, des titres sur la nature, des recueils de poésie, et même quelques romans de science-fiction. Mais ce n’étaient pas les livres qui attiraient son attention.
Il s’arrêta devant une vitrine en verre où plusieurs photos encadrées étaient soigneusement exposées. L’une d’elles attira particulièrement son regard. Mira, plus jeune, souriait largement, sa main tenant celle d’une fille plus âgée qu’il supposa être sa sœur. Elles étaient debout devant un lac, entourées d’une végétation dense. L’image aurait dû évoquer une scène paisible, un souvenir heureux, mais quelque chose n’allait pas.
Dans l’arrière-plan, à peine visible entre les arbres, se tenait une silhouette floue. Elle n’était pas assez nette pour qu’il puisse distinguer des traits, mais elle était indéniablement humaine. Immobile. Observant.
Un frisson glacé parcourut Corentin, et il sentit son estomac se nouer. Il se pencha légèrement, plissant les yeux pour mieux voir, mais l’image restait trop vague. Était-ce une simple coïncidence, ou cela avait-il un lien avec tout ce qu’ils vivaient actuellement ? Pourquoi cette silhouette lui semblait-elle étrangement familière ? Il ne pouvait s’empêcher de penser à Nathaniel, à ce regard insistant qu’il avait senti plus tôt dans le gymnase.
"C’est ridicule," pensa-t-il en reposant la photo avec précaution. Mais le malaise persistait, une sensation sourde et oppressante qui refusait de le quitter.
Il retourna lentement vers son fauteuil, mais un mouvement à la périphérie de sa vision l’arrêta. Par-delà les rideaux lourds qui masquaient la fenêtre, il lui sembla percevoir une ombre fugace. Une silhouette. Immobile, mais présente. Son souffle se coupa, et il sentit une montée d’adrénaline qui accéléra le rythme de son cœur. Il hésita un instant, puis, comme attiré par une force invisible, s’approcha de la fenêtre.
Avec précaution, il écarta légèrement les rideaux. La rue semblait déserte. Les lampadaires projetaient des halos tremblants sur le bitume humide, et les branches des arbres dansaient au rythme du vent, créant des ombres mouvantes sur le trottoir. Tout paraissait normal. Trop normal.
Mais alors qu’il allait relâcher le tissu, son regard fut attiré par une figure humaine, debout sous un lampadaire. À moitié dissimulée par l’ombre d’un arbre, la silhouette semblait le fixer directement, malgré la distance. Un frisson parcourut Corentin. Il plissa les yeux, essayant de discerner davantage de détails, et son sang se glaça lorsqu’il reconnut Nathaniel.
Nathaniel, immobile, vêtu de noir, le regardait. Son visage était à peine éclairé par la lumière tremblante, mais son sourire était bien visible. Un sourire fin, presque amusé. Puis, avec une lenteur délibérée, il leva légèrement la main, comme pour le saluer. Et avant que Corentin ne puisse réagir, il se lécha les lèvres d’un geste fluide, presque mécanique.
Corentin sentit une sueur froide perler sur sa nuque. Nathaniel fit un pas en arrière, disparaissant dans l’ombre, comme s’il n’avait jamais été là.
Corentin referma brusquement les rideaux, son souffle court. Il se laissa tomber dans le fauteuil, ses mains crispées sur les accoudoirs. Ses pensées s’emballaient. Pourquoi Nathaniel était-il ici ? Et comment avait-il trouvé cette maison ? Était-il simplement venu l’observer, ou cela cachait-il une menace plus sérieuse ?
Il jeta un coup d’œil vers Mira et Kenny. Mira remua légèrement dans son sommeil, mais ses traits restaient détendus. Kenny, quant à lui, continuait de ronfler doucement. Corentin inspira profondément, essayant de calmer les battements frénétiques de son cœur. Devait-il les réveiller ? Leur dire ce qu’il avait vu ? Mais que pourrait-il leur dire sans éveiller de nouvelles suspicions ?
"Nathaniel t’a remarqué." Ces mots résonnaient encore et encore dans son esprit. Une partie de lui voulait croire que ce n’était qu’un malentendu, une coïncidence. Mais l’autre partie savait que Nathaniel ne faisait rien par hasard.
Il se passa une main sur le visage, se forçant à garder les yeux ouverts. Il savait qu’il ne dormirait pas cette nuit. Pas avec cette ombre qui semblait rôder au-delà des rideaux. Et il sentait, au plus profond de lui, que ce n’était que le début.
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