Chapitre 26
Le salon de Mira était plongé dans un calme presque irréel, comme si la maison elle-même tentait d’offrir un refuge à ses occupants face au chaos extérieur. Pourtant, ce calme n’était qu’une illusion. Corentin le sentait dans l’air, dans les ombres qui semblaient danser au rythme des guirlandes lumineuses accrochées au-dessus du buffet. Chaque objet dans la pièce, qu’il s’agisse des figurines en céramique ou des livres soigneusement alignés sur les étagères, semblait murmurer une histoire, un fragment d’une vie normale qu’il peinait à comprendre.
Assis dans le fauteuil en velours vert bouteille, Corentin fixait un point invisible devant lui. La lumière tamisée adoucissait les contours des meubles, mais son esprit refusait de s’apaiser. Kenny ronflait doucement sur le canapé, une main pendante frôlant presque le sol, tandis que Mira dormait dans son fauteuil rouge. Sa respiration était régulière, mais ses traits restaient crispés, comme si même dans ses rêves, elle ne parvenait pas à échapper à l’angoisse de la journée.
Corentin se passa une main sur le visage, fermant les yeux un instant. L’espace d’une seconde, il sentit presque le parfum de lavande qui avait émané de Nathaniel lorsqu’il l’avait vu. Cela le ramena brutalement à la réalité. Était-ce possible qu’il soit encore dehors, à le surveiller ?
Un bruit sourd, venant du plafond, brisa le silence oppressant.
Corentin se redressa, tendant l’oreille. Le bruit avait été faible, mais distinct. Un craquement, comme celui d’un plancher que l’on piétine doucement. Il jeta un regard vers Mira et Kenny, toujours profondément endormis. Devait-il les réveiller ? Leur dire qu’il y avait quelque chose ? Mais quoi ? Il n’en était même pas sûr lui-même.
Le craquement se répéta, cette fois plus proche. Son estomac se noua. Il savait que la maison de Mira était vieille et que les planches pouvaient bouger sous l’effet du vent ou des variations de température. Mais cela sonnait différent. Trop rythmé. Trop intentionnel.
Il se leva à contrecœur, ses pieds nus frôlant le tapis moelleux, et fit un pas vers le couloir qui menait à l’escalier. Il hésita un instant, cherchant une justification pour ne pas monter. Mais sa curiosité, ou peut-être son instinct de survie, le poussa à continuer.
Chaque marche craquait légèrement sous son poids, le bois protestant sous sa pression. L’obscurité du couloir de l’étage semblait plus dense, presque tangible, comme si elle voulait le retenir.
Il avança lentement, suivant les bruits qui semblaient venir de la chambre de Mira. La porte était entrouverte, laissant passer une fine bande de lumière provenant de la lampe de chevet. Il posa une main sur le cadre de la porte, prenant une inspiration profonde avant de la pousser doucement.
La pièce était vide, mais il y régnait un désordre étrange. Les draps étaient froissés, comme si quelqu’un s’était brusquement levé du lit. Une chaise en bois était renversée près de la fenêtre, et une pile de livres gisait éparpillée sur le tapis. La lampe de chevet vacillait, son ampoule émettant un léger grésillement.
Corentin s’approcha lentement, son regard balayant chaque recoin. Rien ne semblait indiquer qu’il y avait quelqu’un. Pourtant, il sentait une présence, une énergie presque palpable, comme si la pièce avait gardé une trace de ce qui s’y était passé.
Il s’arrêta devant le bureau de Mira, où une photo était posée. La même photo qu’il avait vue plus tôt dans la vitrine du salon, celle où Mira et sa sœur souriaient devant un lac. Mais cette fois, la silhouette floue à l’arrière-plan lui semblait plus nette. Ses traits étaient encore indistincts, mais il pouvait maintenant discerner des contours, une forme humaine. Cela ressemblait presque à…
Un bruit derrière lui le fit sursauter. Il se retourna brusquement, mais il n’y avait rien. Juste la porte qui oscillait légèrement, poussée par un courant d’air invisible. Son cœur battait à tout rompre, et il sentit une sueur froide couler le long de sa nuque.
Il redescendit rapidement les escaliers, son esprit en ébullition. Ce qu’il venait de voir dans cette photo ne pouvait pas être une coïncidence. Était-ce une illusion ? Ou la maison de Mira gardait-elle des secrets qu’elle-même ignorait ?
Lorsqu’il revint dans le salon, il trouva Mira réveillée, assise sur le canapé. Ses cheveux étaient ébouriffés, et elle tenait sa couverture serrée autour d’elle.
— Corentin ? Tu fais quoi ? demanda-t-elle, sa voix rauque de sommeil.
Il ouvrit la bouche, cherchant quoi répondre, mais aucun mot ne vint. Devait-il lui parler de Nathaniel, de la photo, de cette sensation étrange qu’il avait ressentie à l’étage ?
— Rien, mentit-il finalement. J’ai cru entendre un bruit, mais il n’y avait rien.
Mira le regarda avec suspicion, mais elle était trop fatiguée pour insister. Kenny, de son côté, dormait toujours profondément, ses ronflements ponctuant le silence de la pièce.
Corentin s’assit dans son fauteuil, croisant les bras pour masquer le tremblement de ses mains. Mira l’observa quelques instants, plissant légèrement les yeux comme si elle cherchait à déceler un mensonge.
— T’as l’air bizarre, finit-elle par dire. T’es sûr que tout va bien ?
— Oui, oui, tout va bien, répondit-il rapidement, évitant son regard.
Mira haussa un sourcil et se cala un peu plus dans le canapé.
— Tu mens mal, tu sais. Depuis qu’on se connaît, t’as toujours eu ce tic de frotter tes mains sur tes genoux quand tu stresses. Et là… t’arrêtes pas.
Corentin se força à poser ses mains sur les accoudoirs du fauteuil, mais Mira le fixait toujours, son expression devenant plus sérieuse.
— Corentin, dit-elle doucement. Qu’est-ce qui se passe ?
Il hésita, le poids de ses pensées pesant sur lui. Devait-il lui parler de Nathaniel ? De la photo ? Il inspira profondément, cherchant ses mots.
— J’ai juste… une mauvaise impression, lâcha-t-il finalement. Comme si quelque chose cloche. Avec tout ce qui s’est passé aujourd’hui, tu sais…
Mira soupira et hocha la tête.
— Ouais, je comprends. Moi aussi. Mais si t’as vu ou entendu quelque chose, tu me le dirais, hein ?
Corentin hocha lentement la tête, incapable de répondre autrement. Mira lui adressa un sourire fatigué avant de tirer sa couverture jusqu’à son menton.
— Essaie de dormir un peu, dit-elle en fermant les yeux. La journée de demain sera pas plus simple.
Mais Corentin savait qu’il ne fermerait pas l’œil cette nuit. Pas avec toutes les ombres qui semblaient danser autour de lui.
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