chapitre 27
Le salon de Mira était encore plongé dans une lumière grise, adoucie par les rideaux épais qui filtraient les premiers rayons du jour. L’odeur de vanille des bougies consumées la veille flottait toujours dans l’air, mêlée à celle du bois ancien des meubles. La veilleuse, près de l’entrée, s’était éteinte, laissant la pièce baignée dans une pénombre familière et pourtant oppressante. Corentin était toujours assis dans le fauteuil vert, incapable de trouver un repos véritable. Il fixait un point invisible, ses doigts jouant nerveusement avec le bord de l’accoudoir.
La nuit avait été interminable. Chaque craquement des murs, chaque souffle de vent contre la fenêtre l’avait maintenu dans une vigilance nerveuse. Et pourtant, malgré ses efforts pour rester éveillé, la fatigue finit par l’emporter.
Corentin se retrouva debout dans une forêt qui n’avait rien de naturel. Les arbres s’élevaient comme des piliers infinis, leurs troncs noirs et lisses reflétant une lumière blanche venue de nulle part. Le sol sous ses pieds était froid et humide, couvert d’un tapis de mousse grise qui semblait absorber chaque son. L’air était lourd, chargé d’une odeur métallique, presque comme celle du sang.
Les murmures commencèrent doucement, comme un bruissement de feuilles dans le vent. Puis ils s’intensifièrent, des voix sans visage chuchotant son nom.
— Corentin… Corentin…
Il tourna sur lui-même, mais il n’y avait personne. Seulement ces voix, omniprésentes, comme si elles venaient de l’intérieur même des arbres. Il avança, ses pieds s’enfonçant légèrement dans la mousse, chaque pas résonnant dans ce silence oppressant.
Puis il le vit. Nathaniel.
Il se tenait au centre d’une clairière, ses vêtements noirs semblant absorber toute la lumière. Son visage était baigné d’une lueur spectrale, révélant des traits calmes mais intenses. Son regard perça immédiatement celui de Corentin, le figeant sur place. C’était comme si le temps lui-même s’était ralenti.
— Te voilà enfin, dit Nathaniel, sa voix claire mais résonnante, comme un écho dans un canyon. J’ai attendu.
— Attendu quoi ? demanda Corentin, sa voix tremblante.
Nathaniel sourit, mais c’était un sourire étrange, dépourvu de chaleur.
— Que tu ouvres les yeux, répondit-il. Que tu comprennes enfin.
— Comprendre quoi ? Je ne sais même pas pourquoi je suis ici ! s’exclama Corentin, sa frustration éclatant dans le silence de la forêt.
Nathaniel fit un pas en avant, ses mouvements fluides et calculés. Le sol sous ses pieds ne bougeait pas, comme s’il ne faisait qu’effleurer la réalité.
— Les ombres, les murmures, tout ce que tu ressens depuis toujours, c’est toi, Corentin. Ou plutôt, une partie de toi que tu as refusé d’affronter.
Corentin recula instinctivement, mais ses pieds s’enfoncèrent davantage dans la mousse. Il sentait son cœur battre à tout rompre, mais il ne pouvait détourner les yeux de Nathaniel.
— Pourquoi moi ? murmura-t-il.
— Parce que tu vois ce que les autres ne voient pas, répondit Nathaniel. Parce que tu fais partie de quelque chose de bien plus grand. Et il est temps que tu l’acceptes.
Il tendit une main, et Corentin vit un pendentif brillant dans sa paume. L’objet émettait une lumière étrange, pulsante, presque vivante. C’était le même pendentif qu’il avait trouvé dans sa veste.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Corentin, sa voix presque inaudible.
Nathaniel s’avança encore, son sourire s’élargissant légèrement.
— Une clé, répondit-il simplement. Une clé pour ouvrir les portes que tu refuses de voir.
Avant que Corentin ne puisse poser d’autres questions, la lumière du pendentif devint aveuglante. Il sentit une chaleur intense envahir son corps, comme si chaque cellule de son être était enflammée. Puis tout devint noir.
Corentin se réveilla en sursaut, le souffle court et le cœur battant à tout rompre. La lumière du matin baignait le salon, rendant la pièce moins menaçante mais toujours lourde de tension. Il passa une main tremblante sur son visage, essayant de calmer son esprit. Ce n’était pas un simple rêve. C’était trop réel, trop intense pour être une invention de son subconscient.
Il baissa les yeux vers sa veste, toujours posée sur le dossier du fauteuil. Quelque chose en dépassait. Lentement, comme craignant ce qu’il allait trouver, il tendit la main et plongea dans la poche intérieure. Ses doigts rencontrèrent un objet froid. Lorsqu’il le retira, il sentit son estomac se nouer.
C’était le pendentif.
Exactement comme dans son rêve : des cercles imbriqués gravés autour d’un point central. Il émanait une chaleur légère, presque imperceptible, mais indéniable. Corentin fixa l’objet, son esprit tourbillonnant de questions sans réponses.
Mira entra dans le salon à cet instant, une tasse fumante à la main. Elle s’arrêta net en voyant l’objet dans les mains de Corentin.
— C’est quoi, ça ? demanda-t-elle, ses yeux s’écarquillant légèrement.
— Je… Je l’ai trouvé dans ma veste, balbutia Corentin, encore sous le choc.
Mira posa sa tasse sur la table basse et s’approcha lentement. Elle tendit une main hésitante, mais elle sembla changer d’avis et recula.
— Ce symbole… je l’ai déjà vu, murmura-t-elle. Ma sœur avait un carnet avec un dessin comme ça.
— Un carnet ? Quel genre de carnet ? demanda Corentin, sa voix trahissant son inquiétude.
— Des trucs bizarres, répondit Mira. Elle aimait tout ce qui avait un rapport avec les créatures, les légendes, les vieux manuscrits. Mais je suis sûre qu’elle avait ce symbole quelque part. Attends, je vais chercher.
Elle disparut à l’étage, laissant Corentin seul avec le pendentif. Kenny, qui venait de se réveiller, se redressa sur le canapé, les cheveux ébouriffés.
— Qu’est-ce qui se passe ? marmonna-t-il.
— Rien, répondit Corentin rapidement, rangeant le pendentif dans sa poche. Juste Mira qui cherche un vieux truc.
Kenny bâilla et s’étira, ses mouvements lents contrastant avec l’agitation intérieure de Corentin.
— Encore vos histoires de trucs étranges… Vous savez qu’un jour, vous allez me filer une crise cardiaque, non ?
Corentin esquissa un sourire forcé, mais son esprit était ailleurs.
Mira redescendit quelques minutes plus tard, un carnet à la couverture usée entre les mains. Elle le posa sur la table basse et l’ouvrit, feuilletant les pages avec précaution. L’odeur des pages jaunies emplit la pièce, ajoutant une atmosphère presque solennelle à leur échange.
— Là, dit-elle, pointant du doigt un dessin. Regarde.
Corentin se pencha. Le symbole sur la page était presque identique à celui du pendentif. Des cercles imbriqués entourant un point central, mais cette fois, des mots griffonnés en dessous attirèrent son attention : "Le Gardien des Ombres. Marque de ceux qui voient entre les mondes."
Un frisson parcourut Corentin. Il releva les yeux vers Mira, qui semblait tout aussi troublée.
— "Ceux qui voient entre les mondes" ? répéta-t-elle. Qu’est-ce que ça veut dire ?
— Je sais pas… mais je crois que ça a un rapport avec Nathaniel, murmura Corentin.
Mira fronça les sourcils, son expression oscillant entre la peur et l’incrédulité.
— Nathaniel ? Qu’est-ce qu’il a à voir avec ça ?
Corentin hésita, mais il savait qu’il ne pouvait plus garder tout pour lui. Pas après ce qu’il venait de vivre.
— Je crois qu’il essaie de me montrer quelque chose. Ou de me prévenir.
Le silence qui suivit fut lourd, chargé de questions auxquelles aucun d’eux n’avait encore de réponse.
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