Chapitre 28
Le salon baignait dans une lumière tamisée, les rayons mornes du matin filtrés par les rideaux épais. L’odeur du bois ancien, mêlée à celle persistante de vanille des bougies éteintes la veille, donnait une atmosphère presque apaisante. Pourtant, une tension palpable flottait dans l’air, suspendue entre Corentin et Mira.
Corentin tenait toujours le pendentif dans sa main, ses doigts jouant nerveusement avec les cercles gravés. La chaleur subtile de l’objet semblait irradier jusque dans son esprit, rendant chaque pensée plus lourde, plus vive. Mira, assise dans le fauteuil rouge, le regardait fixement, son visage marqué par une fatigue visible.
— Ça ne veut rien dire, répéta-t-elle enfin, brisant le silence qui pesait sur eux. Ce pendentif… ça pourrait être n’importe quoi. Un bijou banal. Rien de plus.
Corentin releva les yeux, fronçant légèrement les sourcils.
— Rien de plus ? Tu m’as dit que ta sœur dessinait ce symbole. Ce n’est pas anodin, Mira.
Elle soupira, son regard glissant vers la table basse où le carnet restait ouvert sur la page révélant le dessin du pendentif. Elle semblait peser ses mots, hésitant entre la raison et un instinct plus profond.
— Elle dessinait beaucoup de choses, répondit-elle enfin. Des symboles, des formes, des lieux. Elle disait qu’elle les voyait dans ses rêves, mais ça ne veut pas dire que c’était réel.
Corentin fit tourner le pendentif entre ses doigts, son pouce effleurant les gravures complexes.
— Et si elle avait raison ? demanda-t-il doucement. Si ce qu’elle voyait n’était pas juste des rêves ?
Mira secoua la tête, croisant les bras comme pour se protéger de cette idée.
— Arrête, Corentin. On vit une période étrange, c’est tout. L’alerte créature, les morts… ça nous monte à la tête. On cherche des réponses là où il n’y en a pas.
Corentin ouvrit la bouche pour répondre, mais des pas lourds résonnèrent dans le couloir. Kenny entra dans le salon, tenant une tasse de café fumant, ses cheveux en bataille et son expression encore endormie.
— Qu’est-ce que vous complotez à voix basse ? demanda-t-il avec un sourire en coin. Un pendentif ? Montre voir.
Corentin hésita, mais tendit finalement l’objet à Kenny. Mira se redressa brusquement, ses mains crispées sur les accoudoirs.
— Non ! cria-t-elle.
La pièce sembla se figer. Corentin et Kenny restèrent immobiles, leurs regards rivés sur Mira. Elle-même semblait surprise par son propre éclat, ses yeux écarquillés trahissant une peur qu’elle ne parvenait pas à cacher. Elle porta une main tremblante à sa bouche.
— Désolée… murmura-t-elle, sa voix faible. Je suis désolée. Je suis juste… fatiguée.
Elle se laissa tomber dans son fauteuil, ses épaules s’affaissant sous le poids invisible de son trouble. Kenny, visiblement mal à l’aise, tenta de détendre l’atmosphère.
— Hé, c’est bon, Mira, relax. Je voulais juste le voir, dit-il avec un sourire en coin.
Il tendit la main pour attraper la tasse de café qu’il avait posée sur la table, mais dans son mouvement, il heurta le bord de la tasse, renversant tout son contenu sur la table basse et le tapis en dessous. Le liquide brun s’étala rapidement, imprégnant le carnet ouvert.
— Non, mais sérieux, Kenny ! s’exclama Mira en éclatant de rire, son visage s’éclairant enfin. T’es vraiment un boulet !
Kenny leva les mains en signe d’innocence, esquissant un sourire gêné.
— Eh, c’est pas ma faute ! Ce tapis m’a attaqué.
Mira secoua la tête, son rire adoucissant brièvement l’atmosphère. Elle attrapa un torchon sur le buffet et commença à nettoyer, ses gestes rapides. La tension semblait s’être dissipée, comme si la discussion précédente n’avait jamais eu lieu.
Mais Kenny, toujours intrigué, se redressa et lança d’un ton plus sérieux :
— Bon, maintenant que le tapis est hors de danger… On peut revenir à ce pendentif ? C’est quoi, au juste ?
Le visage de Mira se ferma instantanément. Son sourire disparut, remplacé par une expression dure, presque impénétrable. Elle posa le torchon sur la table avec un geste brusque.
— Ça n’a aucune importance, répondit-elle froidement.
— Mira… protesta doucement Corentin. Tu sais que ce n’est pas vrai. Ce truc est important, et tu le sais autant que moi.
Elle ne répondit pas tout de suite, son regard fixant un point invisible devant elle. Enfin, elle inspira profondément, comme si elle s’apprêtait à plonger dans des souvenirs qu’elle aurait préféré laisser enfouis.
— Ma sœur, commença-t-elle d’une voix lente. Elle… elle dessinait des choses comme ça. Des symboles, des lieux. Elle disait qu’elle les voyait dans ses rêves. Mais elle ne s’arrêtait pas là. Elle… elle pensait que ces rêves étaient réels. Que c’était des fragments d’un autre monde.
Corentin et Kenny échangèrent un regard, captivés par ses mots.
— Elle appelait ça "le voile", continua Mira. Un endroit entre ici et… autre chose. Elle disait que certaines personnes pouvaient voir à travers. Et parfois, elle disait qu’elle voyait des gens. Des inconnus qui lui parlaient. Qui la mettaient en garde.
— En garde contre quoi ? demanda Corentin, sa voix tremblante.
Mira haussa les épaules, un sourire triste étirant ses lèvres.
— Elle ne me le disait jamais. Elle disait que c’était pour me protéger.
Le silence retomba dans la pièce, plus lourd que jamais. Kenny, toujours assis en tailleur sur le tapis, observa Mira avec attention.
— Et toi, Mira ? Tu crois à tout ça ? demanda-t-il doucement.
Elle le regarda, ses yeux brillants d’émotions qu’elle peinait à contenir.
— Je… je sais pas, admit-elle. Mais parfois, je me demande si elle voyait vraiment quelque chose. Et si c’est le cas… alors je ne suis pas sûre que ce soit une bonne chose.
Elle se leva brusquement, ramassant le torchon et retournant à la cuisine, laissant Corentin et Kenny seuls avec leurs pensées et le mystère du pendentif.
Annotations