Chapitre 31
La journée s’éteignait lentement, laissant place à une nuit encore plus lourde que la précédente. Le crépuscule projetait des ombres mouvantes sur les murs de la maison de Mira, tandis que l’air semblait chargé d’une tension invisible. Aucun d’eux n’avait parlé depuis leur retour du parc. Les lumières tamisées du salon baignaient la pièce dans une ambiance étouffante, et même le crépitement habituel des vieilles canalisations semblait oppressant. Fatigués mais incapables de se détendre, Mira, Kenny et Corentin s’installèrent dans leurs couchages de fortune.
Le sommeil tardait à venir, retenu par les images encore vives des empreintes étranges et des rubans jaunes marquant la scène du crime. Corentin, allongé sur le fauteuil vert, gardait une main posée sur le pendentif dans sa poche. Chaque battement de son cœur semblait résonner dans ses oreilles. Le silence de la maison n’apportait aucun apaisement, seulement une amplification de leur anxiété commune. Ils s’endormirent, mais leur repos fut agité, hanté par l’impression que la nuit elle-même les observait.
Le lendemain matin, la brume s’était levée sur la ville, mais elle n’avait rien perdu de son atmosphère oppressante. La maison de Mira baignait dans une lumière grise qui accentuait les cernes sous leurs yeux. Aucun d’eux n’avait bien dormi, et le simple bruit d’une cuillère qui cliquetait contre une tasse semblait anormalement fort.
C’est Mira qui brisa le silence en premier, son téléphone à la main.
— Corentin… Kenny, murmura-t-elle, le ton de sa voix attirant immédiatement leur attention.
Elle leur montra l’écran, où une nouvelle alerte créature clignotait en rouge : "ALERTE : ATTENTION ! NOUVELLES ATTAQUES DÉTECTÉES."
Corentin prit le téléphone et parcourut le message. La nuit précédente, un massacre avait eu lieu dans le parc voisin. Plusieurs corps avaient été retrouvés vidés de leur sang, avec les mêmes caractéristiques que les attaques précédentes.
— Ça recommence, murmura Corentin, son ton sombre.
Kenny, encore ensommeillé, s’assit en se frottant le visage. En lisant l’alerte, il blanchit légèrement.
— Attendez… Vous parlez du parc juste à côté ? Là où on allait jouer quand on était petits ?
Mira hocha la tête, son visage fermé.
— Oui. Le parc de la vieille fontaine, dit-elle. Ils ont trouvé plusieurs victimes cette fois. Vidées de leur sang… comme les autres.
Un silence pesant s’installa, chacun d’eux digérant l’information à sa manière. Kenny, qui n’aimait pas les discussions trop sérieuses, fut le premier à briser la tension.
— Vous pensez que c’est quoi, alors ? Des créatures ? Des vampires ? demanda-t-il, un sourire forcé étirant ses lèvres.
Mais personne ne répondit. Mira serrait ses bras contre elle, son regard fixant un point invisible. Corentin, lui, semblait perdu dans ses pensées, ses doigts jouant machinalement avec le pendentif dans sa poche.
— On devrait aller voir, dit-il soudain, rompant le silence.
Kenny le fixa, incrédule.
— T’es sérieux ? C’est une scène de crime ! Si on y va, on risque de se faire virer par les flics ou pire, ils penseront qu’on a un truc à voir avec ça.
— On peut rester à distance, argumenta Corentin. Juste observer. Peut-être qu’on verra quelque chose d’inhabituel.
— Parce que les empreintes d’hier soir, c’était pas déjà assez inhabituel ? répliqua Kenny.
Mira ne dit rien, mais finit par hocher la tête. Ses mains tremblaient légèrement lorsqu’elle attrapa son manteau.
— Si on y va, on fait vite, murmura-t-elle. Je veux pas traîner là-bas trop longtemps.
Le parc semblait suspendu dans le temps, figé dans une brume épaisse et irréelle. Les arbres, nus en cette saison, projetaient des ombres tordues sur le sol humide. Le bruit de leurs pas sur le gravier paraissait étrangement amplifié, comme si le parc lui-même les observait. L’air était saturé d’une odeur métallique, celle du sang, qu’aucun d’eux n’avait anticipée.
Ils restèrent à distance de la scène du crime, marquée par des rubans jaunes et entourée d’agents en uniforme. Le contraste entre les couleurs vives des rubans et la morosité ambiante du parc était saisissant.
— Regardez là-bas, murmura Mira, en désignant une zone un peu plus loin, près d’un banc.
Corentin plissa les yeux et aperçut des taches sombres sur le sol. Du sang. Une grande quantité. Une nausée monta en lui, mais il détourna rapidement le regard.
— Vous voyez quelque chose d’étrange ? chuchota Kenny.
— Là, répondit Corentin, en pointant une empreinte dans la boue.
Ils s’approchèrent légèrement, assez pour distinguer les détails. L’empreinte était anormale : une combinaison de pas humains et de griffes, comme si quelque chose d’hybride s’était déplacé là.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Mira, son visage blême.
— Pas humain, murmura Corentin, la voix tremblante.
Kenny recula d’un pas, visiblement mal à l’aise.
— Je sais pas ce que c’est, et franchement, je veux pas savoir, dit-il en regardant autour de lui, nerveux.
Un bruit de voix attira leur attention. Les agents s’approchaient de leur position, visiblement alertés par leur présence.
— On doit partir, souffla Mira en attrapant la manche de Corentin.
Ils s’éloignèrent rapidement, leurs pas précipités sur le gravier. Même une fois sortis du parc, l’odeur du sang et la vue des empreintes restaient gravées dans leurs esprits.
De retour chez Mira, le salon leur parut soudain trop petit, trop étouffant. La lumière grise de l’après-midi baignait la pièce, mais elle ne dissipait pas la lourdeur de leurs pensées. Mira se laissa tomber sur le canapé, ses mains toujours tremblantes. Kenny s’assit à côté d’elle, son expression inhabituelle de gravité trahissant son trouble.
Corentin, lui, resta debout près de la fenêtre, le regard fixé sur l’extérieur. Sa main dans sa poche serrait le pendentif, comme s’il espérait qu’il lui apporte des réponses.
— Tout ça… ça ne peut pas être une simple coïncidence, finit-il par dire, rompant le silence.
Mira releva la tête, ses yeux brillants de larmes contenues.
— Mais si ce n’est pas une coïncidence, alors c’est quoi ? demanda-t-elle d’une voix brisée. Pourquoi nous ? Pourquoi maintenant ?
Kenny soupira, croisant les bras.
— Peut-être qu’on devrait arrêter de poser des questions et juste se tenir loin de tout ça, dit-il. C’est clairement au-dessus de notre niveau.
Mais Corentin secoua la tête, ses pensées tourbillonnant.
— Non. Quelque chose nous lie à tout ça. Le pendentif, les empreintes, même Nathaniel. Ce n’est pas par hasard.
Le silence retomba dans le salon, laissant chacun face à ses propres doutes et à la peur grandissante que la nuit à venir n’apporterait rien de bon.
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