Chapitre 1 - Min-Jee
Début novembre
La vie d’une lycéenne coréenne est remplie. Je commence les cours à huit heures (jusque là, tout va bien), je les finis à dix-neuf heures (bon, c’est un peu tard, mais ça va encore) et après, nous devons suivre des cours particuliers jusqu’à vingt-trois heures. Ajoutez à ça mes devoirs et mes repas. Mon temps libre (presque inexistant), je le consacre à réaliser mes vidéos, les poster sur ma chaîne YouTube Mn_Je.kpop et à chercher des news K-pop.
Heureusement, cette période de torture est bientôt terminée. Je finis le lycée en décembre (donc dans deux mois). L’an dernier, à cette période, j’étais à fond sur le sujet le plus passionnant : les relations entre idoles de K-pop.
Mon idole de K-pop préférée, Jun-Woo, du groupe Korean Boys, sort avec Min-Seo du groupe Queencard depuis le lancement du girl group. Et jusque là, tout allait bien. J’étais déçue, mais je me suis dit que rien n’allait durer. Ça ne faisait que quatre mois qu’ils étaient ensemble, et il y avait des rumeurs comme quoi Min-Seo trompait Jun-Woo avec Ah-Joo de Blind Prince.
En creusant le sujet, j’ai découvert que c’était faux (et de la pire façon possible). J’ai pu apercevoir Min-Seo embrasser Ah-Joo. Jun-Woo était présent aussi, et il s’est mis à pleurer (trop mignon). Sauf qu’il est allé voir sa petite amie. Ils se sont un peu disputés, jusqu’à ce que Min-Seo lui fasse comprendre qu’elle n’aimait que lui. Et même si je déteste cette fille, j’admets que j’ai compris qu’elle était sincère.
Ils se sont embrassés devant mes yeux (mon petit coeur est brisé). Bon, ils ne savaient pas que j’étais là. Et depuis, ils sortent ensemble, il n’y a aucune rumeur de couple, de tromperie ou de rupture. Ça fait donc un an et demi que Min-Seo et Jun-Woo sont en couple, et tout le monde sait qu’ils le resteront (après tout, ils ont survécu à des rumeurs de tromperie et à une vraie tromperie en neuf mois, et ils sont encore amoureux.)
Pour moi, qui suis amoureuse de Jun-Woo depuis deux ans, ça a été comme un coup de poignard dans mon coeur. Mais sans mentir, voir Jun-Woo heureux, souriant et pas en larmes me redonne de la joie aussi. Et même s’il n’est pas avec moi… ce n’est pas grave. Ça me passera.
- Min-Jee !
Je descends l’escalier à toute vitesse. Mon père m’attend dans l’entrée de la maison. En tant que chauffeur de taxi, il travaille même le week-end.
- Oui ?
- Je m’en vais. Tu as une liste de ce que tu peux cuisiner pour ce midi dans la cuisine. Je rentrerai tard. Si tu sors voir ta mère… passe acheter des orchidées. C’était ses préférées.
Je hoche la tête et embrasse mon père avant de le laisser partir. Une fois seule, mon regard se promène dans la maison vide. Le petit couloir qui donne sur la salle de bain, la cuisine et la salle à manger est sombre. J’entends la pendule du salon. Clic, cloc, clic, cloc. Bruit que je trouve insupportable.
Je rejoins la cuisine. Sur le comptoir, il y a les repas que je peux me concocter ce midi, ainsi que 13358,96 wons (environ 10 euros), pour acheter le bouquet d’orchidées violettes, les fleurs préférées de ma mère. J’ai envie d’aller la voir maintenant.
Je grimpe dans ma chambre pour troquer mon pyjama contre un jean et un sweat, glisse l’argent dans ma poche et sors dans la rue. Il fait froid en Corée à cette période de l’année. Je perçois une petite fumée sortir de ma bouche.
Les mains fourrées dans la poche de mon pull, j’avance dans les rues de Séoul. Je m’arrête chez le fleuriste. Il me salue – faut dire qu’il me connaît bien maintenant – et s’approche de moi :
- Laisse-moi deviner. Des orchidées violettes ?
- Oui, merci, réponds-je en m’inclinant.
Il me tend le bouquet par-dessus le comptoir et je lui donne l’argent.
- Bonne journée, Min-Jee.
- Au revoir, Monsieur.
Je quitte le commerce et marche jusqu’à ma mère. Je m’arrête et prends place face à elle. Ses cheveux bruns sont relevés en chignon, ses traits sont fatigués, mais elle est souriante. Je dépose les fleurs à côté d’elle.
- Coucou. Je suis venue te voir aujourd’hui. Papa est parti travailler, mais il m’a laissé de l’argent pour t’acheter des fleurs.
Je soupire en regardant les vingtaines de bouquets d’orchidées violettes qui jonchent le sol, près de la pierre avec inscrit «HWANG EUN-JAE». Le cadre entourant la photo de ma mère est doré, les bords sont un peu abîmés. Depuis le temps qu’elle est là.
Je m’appuie contre l’arbre qui se trouve à côté d’elle et reste assise, fixant le ciel bleu. Les nuages blancs se déplacent, et le doux soleil de fin d’automne rayonne joyeusement. Mes yeux se promènent un peu partout et s’arrêtent sur la pierre. À côté des caractères du prénom de Maman, il y a inscrit une citation qu’elle aimait particulièrement. Tout homme qui marche agonise : la mort suit l’homme comme sa silhouette. Des larmes montent à mes yeux et je les refoule immédiatement. Je ne dois pas penser à ça. Je ne dois plus penser à ça. Même séparées, Maman et moi sommes heureuses. De là où elle est, elle m’aime. Seulement, j’aurai aimé qu’on soit ensemble plus longtemps.
Le ciel se charge rapidement de nuages. Consciente qu’il ne vaut mieux pas que je m’attarde dehors, je me lève, caresse du bout des doigts la pierre froide et repars vers la maison.
* * *
Ma mère est morte il y a un an. Nous étions fin octobre, on revenait d’une virée shopping entre filles, chose qui arrivait rarement. Elle était fatiguée, alors elle est allée se reposer dans le canapé.
Quand je suis descendue, elle dormait encore. Je ne me suis pas souciée d’elle. Mon père m’a toujours dit «si quelqu’un dort, c’est qu’il en a besoin», donc je ne voulais pas déranger ma mère. Quelques heures plus tard, j’ai essayé de la réveiller car Papa m’avait appelé et m’avait demandé de lui passer ma mère. Sauf qu’elle n’a pas ouvert les yeux.
J’ai appelé les urgences, et ils ont téléphoné à mon père, qui a dû expliquer la situation aux infirmiers. Quand Papa est rentré, je lui ai demandé des explications. On est parti directement à l’hôpital.
- Ta mère souffre d’un cancer depuis quelques mois maintenant. Ces derniers jours, la maladie s’est aggravée.
La mine sombre, il m’a montré des diagnostics réalisées par un médecin. Je me suis énervée.
- Pourquoi ne m’en avoir jamais parlé ?
- Elle ne voulait rien dire pour ne pas t’inquiéter.
Un médecin a coupé court à notre discussion.
- Vous êtes de la famille de Hwang Eun-Jae ?
- Oui. Je suis son époux, et voici sa fille.
- Veuillez me suivre, Monsieur. … état critique… pas pourquoi… chute… fréquence cardiaque…
Je n’entendais que des bribes de conversation, mais c’était assez pour comprendre ce qu’il se passait. Et ça s’est confirmé quand mon père est revenu dans la salle d’attente.
- Min-Jee… Ta mère est décédée.
La colère a pris le dessus. Mon père était triste, mais moi, j’étais énervée. J’ai couru auprès d’elle et ai hurlé sur les médecins :
- POURQUOI L’AVEZ-VOUS LAISSER MOURIR ?! POURQUOI N’AVEZ-VOUS RIEN FAIT POUR LA SAUVER ?! CE N’EST PAS JUSTE !
Sûrement la chose la plus irrespectueuse que j’ai faite. Je me suis assise près de ma mère et j’ai attrapé sa main gelée. Je l’ai portée à mon visage.
- Ma maman chérie…
Je me suis tournée vers les médecins.
- C’est de votre faute, ai-je dit, la voix pleine de venin.
Puis je suis partie.
Je me suis remise de la mort de ma mère en quelques mois. Y penser me rend toujours aussi triste, mais moins qu’avant. Il m’arrive de pleurer. Ou de rêver d’elle, dans son lit d’hôpital. Et ça me brise le coeur. Seulement, quand la vie nous impose quelque chose, on est obligé de faire avec.
Je reviens souvent au cimetière pour la voir et lui parler, même si la plupart du temps, je m’assois contre le tronc de l’arbre et me perds dans mes pensées durant des heures.
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