Chapitre 3 - Min-Jee

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Les fleurs de lotus baignent dans l’étang. Quelques pétales roses se déposent autour du nénuphar vert, et une brise fraîche remuent les fleurs. Je me penche pour attraper un galet. Mes doigts s’enroulent autour du caillou lisse, que je projette dans le lac. Il fait trois ricochets avant de couler.

* * *

Je venais souvent ici avec Maman. On aimait regarder les fleurs de lotus, sentir le vent sur notre visage et respirer l’odeur enivrante des plantes qui entouraient les chemins. Un jour, Maman s’était assise dans l’herbe humide, celle qui encerclait l’étang. Elle avait retiré ses tongs et laissé l’eau froide léchait ses pieds.

- Viens, Min-Jee, m’avait-t’elle dit, secouant la main pour que je la rejoigne.

Je m’étais approchée pour m’asseoir à mon tour, puis j’avais plongé mes orteils dans le lac.

- Elle est gelée !

- Oui, c’est vrai. Mais j’ai lu que, dans l’eau de cet étang, il y avait des petits poissons appelés garra rufa, ou poissons-docteur. Ces poissons sont originaires de la région Kangal, en Turquie. Ils aiment manger nos peaux mortes. Ils guérissent aussi l’eczéma et autres problèmes de peau ! Après cela, on a des pieds tout beaux !

Elle avait ressorti un de ses pieds et avait agité les orteils en riant. Je n’avais jamais entendu parler des garra rufa, mais j’étais heureuse de partager des connaissances avec ma mère.

J’avais senti des choses chatouiller mes pieds, et j’ai ri.

- Eomma, les poissons me mangent les pieds !

- Oui, Min-Jee. Moi aussi.

Puis j’avais réfléchi.

- Mais dis-moi, Eomma, si les poissons viennent de Turquie, qu’est-ce qu’ils font ici ?

Maman avait tourné la tête vers moi et m’avait regardé avec bienveillance. J’aimais ce regard.

- Les choses changent. Les plus petites habitudes sont bouleversées par des grands changements, Min-Jee. La planète se réchauffe.

Je savais qu’elle faisait aussi allusion à autre chose, mais à l’époque, je ne comprenais pas quoi.

- Allez viens Min-Jee. J’aimerais te montrer autre chose. Il y a temps de choses que j’aimerais te montrer.

Elle avait soupiré et remis ses tongs. Tandis qu’elle s’était relevée, j’avais plongé ma main dans l’étang, et des garra rufa m’avait mordillé les doigts. Puis j’avais rejoint Maman qui commençait déjà à s’éloigner.

* * *

Je pousse un soupir tout en m’approchant du bord du lac. Je défaits mes lacets, retire mes chaussettes et plonge mes pieds dans l’eau. En hiver, elle était encore plus froide. Si j’étais sortie avec Jun-Woo, je l’aurai amené ici. Je lui aurai expliqué ce qu’était les garra rufa, et on aurait fait des bains de pieds ensemble. Les petits poissons se seraient occupés de réparer les pieds abîmés par la danse de Jun-Woo.

Le vent souffle dans mes cheveux et dans les herbes. Elles sont plus hautes, désormais. Quand je lève la tête vers le ciel, le soleil sort de derrière un nuage et vient caresser ma peau avec ses rayons. J’adore cette sensation.

Mon téléphone vibrant brise l’harmonie dans laquelle j’étais avec la nature. C’est mon père.

Ne rentre pas trop tard. Demain, tu dois aller au lycée.

Il a raison. Il serait temps que je retourne à la maison.

Je reste encore quelques petites minutes les pieds dans l’eau, avant de les ressortir. J’attrape à la main mes baskets et mes chaussettes et marche à pieds nus sur le sol froid.

- Je suis rentrée ! lance-je.

- Coucou, répond Papa. Tu as passé une bonne journée ? Tu as fait quoi de ton temps libre ?

Je baisse les yeux.

- Hum… Je suis allée voir Eomma, et après, je suis allée à l’étang.

Mon père s’approche et prend mon visage entre ses mains.

- Ça va, tu es triste ?

Mon regard s’accroche au sien.

- Je suis toujours triste, Abba.

Il soupire. J’ai l’impression qu’il culpabilise. De quoi ? Je n’en ai pas la moindre idée. Puis il relève la tête et me sourit avec lassitude.

- Tu veux commander des tteokbokkis ?

Je hoche la tête et réponds à son sourire.

Le plat de tteokbokkis est un plat épicé sud-coréen, à base de galettes de riz, de gochujang (de la pâte de piments rouges) et de tteok, une pâtisserie faite de farine de riz gluant cuit à la vapeur. C’est vraiment délicieux.

Mon père va donc en chercher à la supérette du coin, ouverte 24H/24. Puis, on s’installe avec nos tteokbokkis par terre, devant la télé qui diffuse un K-drama.

* * *

Je me lève à six heures. Il est temps d’aller au lycée. J’enfile l’uniforme, une jupe plissée bleu pastel, un chemisier blanc à col accordé à la jupe et des chaussettes montantes blanches. Ensuite, je dois prendre le bus pour rejoindre l’établissement scolaire.

J’entre dans les couloirs. Des garçons et des filles discutent dans leur salle de classe, avant que les professeurs n’arrivent. J’entre dans la salle de ma classe et m’installe à ma place, dans le fond.

Je n’ai pas d’amis. Je n’en avais pas besoin. J’avais ma mère. C’était ma meilleure amie. Et puis, la solitude ne m’a jamais pesée. Au contraire, j’aime être seule. J’ai quelques connaissances, comme Mun-Byul, la fille de la voisine, ou encore Ji-Hyo, son petit ami, mais rien de plus. Les autres personnes ne me calculaient pas.

Les garçons ne font pas attention à moi, et les autres filles parlent de moi. Elles me critiquent et se moquent. Mais je m’en fiche. Elles peuvent bien m’attaquer sur mon physique, mais elles ne sont pas mieux, avec leur teint blafard et leurs lèvres rouges foncés. Elles ressembles à des geishas. Ces filles passent leur temps à dire que c’est à la mode, que les actrices et les idoles de K-pop se maquillent comme ça, mais c’est complètement faux. Je connais l’univers de la K-pop par coeur, et les idoles ne se sont jamais maquillés de la sorte. Les pires, ce sont Selena et Hwa-Young.

Quand on parle du loup. Les deux filles font leur entrée spectaculaire. Selena laisse ses longs cheveux blonds dont le bas est rose pastel détachés, et ses jambes sont longues au point que la jupe de l’uniforme lui arrive à mi-cuisses au lieu des genoux. Hwa-Young est coiffée comme Selena, le bas de ses cheveux étant bleu pastel. Elle, elle a raccourci la jupe intentionnellement. Et elles portent toutes les deux le même maquillage : fond de teint blanc, gloss rouge grenade, gros traits d’eye-liner et faux cils courbés.

Les gens ont tendance à penser qu’en Corée, ce genre de filles n’existe pas. Notre culture est basée sur le respect, et les filles faisant ça ne se respectent pas, justement. Et pourtant, si. Ces filles-là sont les mêmes que les bimbos des films américains.

La place de Selena est juste devant moi. Celle de Hwa-Young est à l’autre bout de la classe. Celle aux cheveux roses dépose son sac à main Louis Vuitton sur sa table et s’assoit. Elle farfouille dedans et en sort un gloss qu’elle applique. Comme si elle n’en avait déjà pas assez.

Sentant mon regard sur elle, Selena se retourne, fouettant l’air de ses cheveux de princesse.

- Min-Jee… Oh, ma pauvre… Il serait vraiment temps de faire un effort, ma belle. (Elle claque la langue) Façon de parler, évidemment.

Elle éclate de rire et penche la tête en arrière, avant de reprendre sa diatribe :

- Tu savais que tu avais un énorme bouton sur le nez ? C’est juste dégueu. Tiens.

Elle sort de son sac une crème anti-boutons et m’en applique sur le nez. Sa crème embaume la citronnelle. Selena se retourne et sort un gloss rose pailleté et elle tire sur mon menton pour m’appliquer le maquillage sur les lèvres.

- C’est déjà mieux ! lance-t’elle. Au fait… Min-Seo sort avec Jun-Woo, hein ? Alors ça fait quoi de se prendre un râteau ? Je me demande ce que penserait ta mère, si elle savait à quoi ressemblait sa fille ! Je la plaindrais. Heureusement qu’elle est morte. Mais bon, avec toi comme enfant, elle se serait suicidée tôt ou tard.

C’en est trop. Je me lève, récupère mon sac que je lance sur mon dos et m’enfuis en courant. J’entends les rires de Selena, Hwa-Young et les autres gens de la classe. Je croise mon prof qui me demande où je vais, mais je l’ignore. Je dois fuir ce lycée.

Une fois à quelques rues de l’établissement scolaire, j’arrête ma course effrénée et reprends mon souffle. Je m’arrête en plein milieu d’un passage piéton et lève les yeux vers le ciel gris. Les premières gouttes de pluie commencent à tomber et à mouiller mon visage. Les larmes dévalent mes joues en même temps que les précipitations.

Je m’accroupis et plonge ma tête entre mes genoux. La pluie détrempe mon chemisier, mon sac, mes cheveux et mes jambes nues, mais je m’en fiche. Selena n’a pas le droit de parler comme ça de ma mère. Elle ne la connaissait pas.

Soudain, il s’arrête de pleuvoir et la rue a une lueur orangée. Je tourne la tête et aperçois un homme, qui tient un parapluie orange au-dessus de ma tête. Rougissante, je me lève et m’incline avant d’observer l’homme. Ses cheveux noirs balayent son front, il porte un masque noir et une casquette de base-ball. Son corps est caché sous un survêtement de sport noir. Ses yeux bruns me couvent d’un regard gentil. Même si sa bouche est cachée, je peux voir qu’il sourit. J’ai l’impression de l’avoir déjà vu.

- Pourquoi tu pleures ? demande-t’il.

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