Chapitre 4 - Ah-Joo

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Le lendemain, mes cernes, bien que toujours présentes, sont un peu plus discrètes. Je me note mentalement de prévenir Eddy de l’efficacité des produits KBB.

Jae-Hyuk éteint son téléphone quand j’entre dans la cuisine prendre une banane.

- Bien dormi ?

- Ça va, réponds-je.

Il balance sa jambe droite, les mains dans le dos et les sourcils froncés. Je connais bien cette attitude, chez lui.

- Si tu as un truc à me dire, fais-le.

Jae-Hyuk relève les yeux.

- En fait… Je dois aller chercher un truc à Myeongdong… Mais je ne peux pas y aller. Je me demandais si tu voulais bien… Enfin, si aller là-bas ne te dérange pas… Comme… enfin… tu vois…

- Hm, oui, si tu veux. Je dois y aller quand ?

- Ce matin, à huit heures près du lycée.

- Ok, j’irai. Je dois récupérer quoi ?

- Des oreillettes de concert. Le mec qui me les a vendu ressemble à ça.

Il me montre une photo sur son portable.

- J’ai déjà payé, il faut juste aller les chercher.

J’opine du chef.

- J’irai. Mais il faut que je parte maintenant.

J’ai une trentaine de minutes de marche à faire pour arriver au quartier Myeongdong, mais si c’est pour Jae-Hyuk…

J’enfile un survêtement de sport noir, une casquette de base-ball et un masque et quitte la maison. Il n’est que sept heures quinze, le soleil vient de se lever. De la pluie est prévue, alors j’ai pris mon parapluie.

Je sais très bien pourquoi Jae-Hyuk hésitait à me demander d’aller là-bas. La maison d’idole de Min-Seo se trouve dans le quartier Myeongdong. Et j’évite cet arrondissement de Séoul depuis neuf mois. Mais il est temps de me reprendre en main. Je suis un adulte de vingt-deux ans, je ne peux pas m’empêcher de vivre à cause d’un coup de coeur pour une fille de dix-huit ans. Oui, c’est ça. Je suis trop vieux pour elle, et elle a Jun-Woo, qui n’a que vingt ans. Ils sont bien ensemble. Très bien, même. Mais qu’est-ce que je raconte ?

J’arrive dans le quartier à sept heures quarante-cinq. Voyons, c’est par où le lycée, déjà ? J’erre dans les rues à la recherche de l’école, quand je passe devant une aire de jeux. Le vent qui souffle remue les balançoires jaunes. C’est là que j’ai embrassé Min-Seo. Là que j’ai compris que seul Jun-Woo comptait pour elle. Je suis désolée Ah-Joo. Mais toi et moi ne sommes rien de plus que des amis. Sa voix résonne dans ma tête. Je me souviens encore de son visage. Ses yeux étaient remplis de larmes, ses joues rouges et elle arborait une expression peinée. Au début, je n’avais pas compris. Mais quand elle s’est dégagée de ma poigne et a couru vers quelque chose, j’ai tourné la tête et je l’ai vu lui. C’était Jun-Woo, en larmes lui aussi. Mais il semblait énervé. J’ai su qu’il avait tout vu.

J’ai essayé de partir, mais je n’ai pas pu m’empêcher de regarder la scène. Quand Min-Seo est arrivée vers lui, il est parti mais elle l’a retenu. Je crois qu’ils se sont disputés, puis l’expression de Jun-Woo est passée de la colère à la tristesse, et enfin à la surprise. Puis il l’a prise dans ses bras et ils se sont embrassés. Je me suis enfui en courant. Je ne supportais pas de la voir avec lui, même si j’étais parfaitement conscient qu’elle l’aimait.

Je reviens à la réalité. Passant une main dans mes cheveux, je continue de fixer l’aire de jeux. Des éclats de voix me parviennent. Des voix que je ne connais que trop bien.

Dissimulé derrière un buisson, je décide de jeter un œil. Elle est là, assise sur un banc avec lui. Leurs mains sont entrelacées, leurs épaules collées. Ils passent en même temps une main dans leurs cheveux et éclatent de rire. Puis elle pose sa tête sur son torse et il embrasse son front. Elle relève la tête, lui sourit et l’embrasse avant de reposer sa joue contre lui.

Je mords ma lèvre inférieure jusqu’à ce qu’elle saigne. Je ne suis pas censé être là, à regarder. C’est privé, intime. Mais mon attirance pour cette fille m’enlève toute lucidité.

J’observe ses cheveux noirs ondulant légèrement sur ses épaules, sa frange effilée balayant son front, ses yeux fermés, ses longs cils et sa peau pâle, qui a l’air tellement douce et ses lèvres roses. Puis je détaille sa silhouette fine, ses doigts mêlés à ceux du garçon l’accompagnant, ses jambes croisées et minces.

Puis j’étudie l’homme qui est avec elle. Ses cheveux blonds-blancs encadrant son visage fin, sa mâchoire en V, ses yeux bruns et ses tâches de rousseurs discrètes de la même couleur que ses pupilles. Il est mince aussi, mais moins qu’elle. Ses muscles se dessinent derrière son sweat noir affublé de lettres blanches écrivant «KOREAN BOYS».

Ils sont tous les deux beaux, jeunes et amoureux.

Ils vont bien ensemble. Ils vont bien ensemble. Ils vont bien ensemble.

Il faut sûrement que je me le répète plusieurs fois pour l’intégrer à mon cerveau.

Je ne me suis jamais mis dans cet état pour une fille, et il faut bien avouer que ça me perturbe. Pourquoi elle ? Pourquoi fallait-il que je craque sur une fille en couple ? Bon, heureusement, ils sont encore ensemble. S’ils s’étaient quittés par ma faute, je m’en serai voulu toute ma vie, c’est sûr. Ou peut-être pas. L’idée égoïste que, n’étant plus en couple avec lui, elle finisse par m’aimer moi germe dans mon esprit. Non, Ah-Joo, ce n’est pas bien. Il ne faut pas penser ça.

Je mords à nouveau mes lèvres et cette fois, le sang se répand plus vite dans ma bouche. Son goût métallique vient envahir ma langue et mon palais, me donnant presque envie de vomir. Je serre les dents pour m’empêcher de cracher l’hémoglobine par terre. Le but n’est pas de me faire repérer. Mais qu’est-ce que je fous, là ? Ah, vraiment ! Depuis que je suis amoureux d’elle, ma maturité se fait de plus en plus rare.

Le goût de sang disparaît au bout de quelques instants et je soupire de soulagement. Un peu plus et je crachai par terre, tant pis pour la discrétion.

Comme s’il sentait ma présence, le garçon lève ses yeux vers moi et me fusille du regard. Il remue les lèvres et j’y lis «va-t’en». Il a raison. Je n’ai rien à faire ici. Rappelle-toi la principale raison de ta venue à Myeongdong. Tu dois aller chercher un truc pour Jae-Hyuk.

Et puis, de toute façon, la dernière fois que je me suis confronté à lui, j’ai fini avec une côte cassée et un hématome à la joue.

J’obéis et quitte l’aire de jeux pour rejoindre le lycée. M’étant attardé au parc, j’ai peur d’être en retard pour récupérer les oreillettes, mais il n’est que sept heures cinquante-sept.

L’homme censé me délivrer le colis est déjà là, alors il me le donne en s’assurant que je venais bien de la part de Jae-Hyuk, me demandant de le prouver… Et comment je prouve ça, moi ? J’ai dû envoyer un message à mon ami pour qu’il confirme qu’il m’avait bien envoyé chercher ses oreillettes.

Après ça, je rebrousse chemin pour rentrer chez moi déposer son achat à Jae-Hyuk. La pluie se met à tomber, alors je déplie mon parapluie et reprends ma marche.

Puis je me stoppe net. Il y a là-bas, à quelques mètres de moi, une fille accroupie en plein milieu de la route. Je ne distingue pas son visage, car il est enfoui dans ses genoux. En tout cas, elle porte un uniforme bleu et blanc, ainsi que des chaussettes montantes. J’en déduis qu’elle vient du lycée. Mais que fait-elle là, sous la pluie, assise sur la route, alors que les cours viennent de commencer ?

Je me rapproche et remarque qu’elle est secouée de sanglots. Je place mon parapluie au-dessus de sa tête. Elle se relève et je peux enfin regarder à qui j’ai à faire. Ses cheveux noirs sont raides, ses sourcils épais, ses yeux bridés bleus, son visage rond et son nez épaté est surmonté d’une paire de lunettes rondes noires. Une frange droite dissimule tout son front et elle a un petit bouton sur le nez, ainsi que du gloss rose pailleté mal appliqué. Mais qui est-elle ? Néanmoins, je lui souris.

- Pourquoi tu pleures ?

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