Chapitre 6 - Ah-Joo
- Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept et huit et un, deux… Ah-Joo ! Garde le rythme !
Tandis que le prof de danse me hurle dessus, j’aperçois Eddy me lancer un regard sévère.
- Ah-Joo, on a un sérieux problème. Neuf mois. Neuf mois que ça dure ! s’exclame Do-Yun une fois dans les vestiaires.
Je suis en sueur et tellement irrité par mes piètres performances en danse que la remarque de Do-Yun a pour seule réponse un regard noir. Jae-Hyuk gémit.
- Je n’aurai jamais dû lui demander d’aller à Myeongdong.
- TU AS FAIT QUOI ?! hurle Do-Yun, les yeux rivés sur Jae-Hyuk.
- Hé, c’est quoi le problème avec Myeongdong ? questionne Won-Hee.
- Elle habite là-bas, grince Do-Yun.
Exaspéré, mon ennemi se lève et pose ses mains sur mes épaules.
- C’est… c’est rien qu’une fille, Ah-Joo. Des filles t’en croises tous les jours !
- Ce n’est pas n’importe quelle fille, raille-je.
Won-Hee lève les yeux au ciel.
- C’est pour ça que je me suis écarté de toi, Joo. Tu es toujours préoccupé par elle, mais il serait temps de lâcher l’affaire. N’oublie pas qu’en tant qu’idoles, on n’a pas le droit aux relations amoureuses.
Il m’a appelé Joo. Won-Hee avait arrêté de me surnommer comme ça depuis le labyrinthe, aux Défis entre idoles. Et j’avais arrêté de l’appeler Hee. C’est peut-être stupide comme surnoms, mais c’était pour se montrer qu’on était proches. Aucun de nous deux n’avaient jamais appelé Do-Yun juste Yun, ou Jae-Hyuk simplement Hyuk. C’était Joo et Hee. Un point c’est tout. Joo et Hee, pour toujours. Rien ne pouvait séparer Joo et Hee.
Je secoue la tête. C’est du passé, désormais. Pourtant, Won-Hee me fixe avec peine.
- Alors, si tu veux qu’on redevienne des frères, comme avant, arrête de penser à elle. Ce n’est pas bon pour toi.
Les larmes me montent aux yeux.
- Won-Hee… sanglote-je.
Il se penche et pose ses mains sur mes joues avant de susurrer :
- Pour toi, ça sera juste Hee.
Il me fait un clin d’oeil et se redresse. J’ai enfin retrouvé mon frère, après neuf mois.
* * *
Won-Hee et moi sommes devenus amis dès le début. Quand j’ai rejoint AST et que le PDG m’a intégré au dortoir commun que se partageaient la centaine de garçons voulant débuter, mon lit était en dessous du sien. Nous avions vingt-et-un ans, et les Korean Boys venaient d’être lancés.
- Moi, c’est Won-Hee. Et toi ?
J’étais renfrogné à cause des deux autres sélections K-pop que j’avais perdues.
- Ah-Joo.
Won-Hee m’avait souri.
- Ici, je n’ai pas d’amis. Soyons des amis inséparables, comme des frères. Moi, je n’ai pas de frère. Tout le monde m’appelle Won-Hee ou «le solitaire», ici. Pour toi, ça sera juste Hee.
Je n’avais pas compris. Nous étions des adultes et il agissait comme un enfant de cinq ans. Mais je ne voulais pas le rejeter.
- Alors pour toi, ça sera juste Joo, avais-je répondu.
On s’était soutenus dans chaque épreuves, chaque jour. On était soudés, inséparables. Comme Won-Hee le voulait.
Quand on a été sélectionnés avec Do-Yun et Jae-Hyuk, je ne voulais pas me sociabiliser avec eux. Je voulais que ça soit Joo et Hee, pour toujours. C’était ma bouée de sauvetage pour ne pas craquer avec la pression. J’avais peur de le perdre.
Sauf que Won-Hee m’avait dit que, en pleine mer, je m’en sortirai mieux avec trois bouées de sauvetage plutôt qu’une. Et j’ai accepté de devenir amis avec Jae-Hyuk et Do-Yun.
Il y a eu beaucoup de rumeurs de couple nous concernant. Quand la presse nous a interrogés, Hee avait dit :
- Nous ne sommes pas amis, c’est vrai. Mais nous ne sommes pas en couple non plus. Un lien plus fort nous unis. Nous sommes deux frères, et rien ne pourra jamais nous séparer. Nous sommes Joo et Hee.
* * *
Won-Hee me lance un regard perplexe et je reviens à la réalité.
- Merci, murmure-je.
- Nous sommes Joo et Hee, répète-t’il, en référence à son discours télévisé. Rien ne pourra jamais séparer deux frères. Même pas une fille.
Il tapote ma tête et part essuyer la sueur sur son visage.
Do-Yun me regarde, un sourire aux lèvres. Jae-Hyuk, lui, ne percute pas.
- Vous allez recommencer à faire le bordel ensemble ? demande Do-Yun.
Au fond, je n’en ai pas la moindre idée. Parce que, même si on s’est à peu près réconciliés, rien ne sera plus comme avant. Il y a eu une dispute et un froid de neuf mois. Alors il faudra peut-être encore un peu de temps avant qu’on redevienne Joo et Hee, les frères inséparables.
- J’espère, réponds-je.
Jae-Hyuk cligne des yeux plusieurs fois et quitte les vestiaires. Il n’avait jamais compris le délire entre Won-Hee et moi.
- Au fait, Ah-Joo, reprend Do-Yun, les yeux rivés sur ses baskets.
- Oui ?
- Ce matin… Pourquoi tu étais en retard à l’entraînement de danse ?
Il me fait face, les sourcils froncés.
- Ah… Après avoir récupéré les oreillettes de Jae-Hyuk, j’ai eu un petit contre-temps.
Do-Yun plisse les yeux.
- Quel genre de contre-temps ?
- Une fille qui pleurait en plein milieu de la route. Ça te suffit ?
- Cette fille, c’était…
- Non, ce n’était pas elle. C’était une lycéenne. Min-Jee, il me semble.
Mon ami hoche la tête.
- Et tu as fait quoi ?
- Je lui ai demandé pourquoi elle pleurait. Elle se fait embêter à l’école par des filles… Rien de très original.
Il me frappe la tête.
- Et alors ? On s’en fout que ça ne soit pas original. Ce doit être horrible. Elle se faisait embêter par rapport à quoi ?
Je réfléchis. Est-ce que la lycéenne l’avait évoqué ? Non, je ne crois pas. Elle a dit que la fille se nommait Selena, ou Salenia, ou un nom dans le genre. Mais le motif des moqueries n’a pas été dit. Néanmoins, je me souviens d’un détail.
- Elle lui avait mis du gloss.
Do-Yun hausse un sourcil.
- Et elle veut devenir cancérologue. Min-Jee, pas Selena ou Salenia.
Cette fois, mon ami hausse ses deux sourcils.
- Selena, tu dis ?
- Ou Salenia. Je me souviens pas. Mais qu’est-ce que ça change ?
Il sort son portable et tape un truc dessus. En même temps, il marmonne :
- Je connais une Selena qui est au lycée de Myeongdong.
Ah. Et donc ?
- C’est elle ?
Do-Yun brandit son téléphone, avec une photo d’une fille d’environ dix-sept ans. Ses cheveux blonds pâles aux pointes roses cascadent dans son dos, elle porte le même uniforme que Min-Jee et elle a le même gloss rose pailleté.
Malgré tout, je n’ai jamais vu Selena.
- Ben, je sais pas moi. Peut-être. Ça n’a pas d’importance.
- PAS D’IMPORTANCE ?! AH-JOO, TU RÉALISES QUE SI C’EST ELLE, ON PEUT PORTER PLAINTE POUR HARCÈLEMENT ?!
Je hausse les épaules.
- Moui. Pas faux. Mais de toute façon, je ne sais pas à quoi ressemble Salenia…
- Selena.
- Appelle-la comme tu veux. Je disais donc, je ne sais pas à quoi ressemble Selena, et je ne reverrai sûrement jamais Min-Jee pour lui demander.
Do-Yun baisse les yeux, contraint d’admettre que j’ai raison. Je lui tapote l’épaule.
- On est des idoles, pas des héros.
Il hoche la tête.
- Mais si tu la revois, tu lui demanderas, hein ?
Je soupire. De toute façon, il ne lâchera pas l’affaire.
- Oui, réponds-je.
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