Chapitre 12 - Min-Jee

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Quand j’ouvre les yeux, on est devant le bâtiment de Korea Exhibition Center, ou COEX. Je cherche désespérément un panneau qui indiquerait quelle exposition se trouve ici, mais il n’y a rien, à part une foule qui se presse devant chaque entrée. J’écarquille les yeux quand je remarque qu’Ah-Joo m’emmène vers la file VIP.

- T’es sérieux ? Et ta dette ?

Interloqué, il me regarde.

- C’est connu que les idoles sont endettés.

- Ah… Ben, je m’en fous de ma dette. Je leur dois sûrement plus de neuf milliards de wons (environ 6 800 000 euros), alors je ne suis plus à ça près.

Je pensais qu’il rigolait, mais son air sérieux me déstabilise.

La queue rétrécie de plus en plus, et le vigile demande à voir nos billets. Ah-Joo les présente sur son smartphone et la sécurité nous indique la salle. Quand on arrive devant la porte close, il y a écrit «Japan Expo».

- On est…

- À la Japan Expo de Séoul.

Je le fixe, impressionnée et excitée.

* * *

Je suis allée une seule fois à la Japan Expo de Paris. C’était quand j’avais 14 ans, il y a trois ans. Quelques jours avant de prendre l’avion pour la capitale de la France, Maman et moi étions parties faire du shopping pour me trouver un cosplay ou une tenue japonaise. Étant dans un pays asiatique, des magasins traditionnels japonais se trouvaient facilement.

- Regarde Min-Jee, tu ne veux pas un uniforme comme ça ?

Elle m’avait désigné une jupe bleu pastel et un chemisier décoré d’un nœud rouge. Je n’ai jamais considéré les uniformes japonais comme des cosplay, vu que j’en portais déjà tous les jours au collège, et que les tenues scolaires japonaises et coréennes se ressemblaient.

- Ou alors, tu te déguises en personnage d’anime !

Maman avait farfouillé dans les rayons pour me dénicher la tenue de Mitsuri de Demon Slayer, ainsi que celle de Ai Hoshino de Oshi No Ko.

- Une tenue de chanteuse, tiens ! avait-elle dit en me tendant le déguisement de Ai Hoshino. Toi qui veut devenir idole.

- Non, maugréai-je entre mes dents.

Pensive, elle avait cherché pendant une trentaine de minutes avant de me donner un kimono rouge fleuris, un éventail et des tongs en bois dont j’ai oublié le nom.

Puis, quand on était dans l’avion, elle m’avait fat un énorme chignon et avait planté une épingle à cheveux japonaise.

- Tu es magnifique !

- Merci.

Ce n’est pas souvent que Maman me disait que j’étais belle. On habitait près du Japon, alors il aurait suffi de prendre l’avion pour aller à Tokyo, mais ma mère tenait absolument à voir la Japan Expo de Paris.

Une fois arrivées, il y avait foule. Les étalages étaient pleins de nourritures asiatiques, et il n’y avait pas que des choses japonaises. Je repérais des décorations du nouvel an chinois, et quelques bias cards de K-pop, des photos d’idoles que l’on collectionne comme des cartes Pokémon.

J’en ai acheté une de Wonyoung de Ive, et trois de Ryujin de Itzy. Maman s’est pris des portes bonheurs japonais, des maneki-neko et une figurine du manga Nana.

On avait fini par manger des brochettes de poulet sauce teriyaki avant de reprendre l’avion.

* * *

Je regarde les gens passer et les immenses posters de personnages de mangas.

- Tu m’as vraiment amené à la Japan Expo de Séoul ?

- Ben, oui. Tu vois bien. On fait le tour ?

- Oui !

- Tiens, allons se payer des taiyaki à la pâte de haricots rouges et des mochis, propose Ah-Joo.

J’adore les mochis. Mes préférés sont ceux au citron. Après avoir acheté la nourriture, on zigzague dans entre les stands. Ah-Joo désigne des bias cards de Blind Prince.

- Les plus vendues sont celles de Jae-Hyuk et Ah-Joo, nous informe la vendeuse.

Mon accompagnateur rehausse son masque, sûrement de peur qu’on le reconnaisse.

- Vous pouvez aussi voir ici celles de Queencard et Korean Boys.

La dame se penche et sort une boîte.

- Là-dedans, il y a les éditions collectors, comme des photos de Min-Seo et Jun-Woo ensemble, des photos rares des membres de Stray Kids ainsi que les dernières bias cards des groupes dissolus.

Ah-Joo secoue la tête et m’entraîne vers d’autres stands, un peu en rogne. Je regarde les portes-bonheur de prières Omamori, et le vendeur m’en tend un rose avec des fleurs de cerisiers.

- Dessus, il y a écrit une prière et le nom du Dieu japonais qui te protégera si tu le gardes sur toi, me dit-il en attrapant un classeur pour chercher ce qu’il y a écrit sur le mien.

Il tapote une feuille et sourit.

- C’est le Omamori de en-musubi. Il embellit les relations amoureuses et provoque de belles rencontres futures. Dans le shintoïsme, musubi signifie «lier l’un à l’autre».

Je fixe le porte-bonheur qui se trouve dans mes mains.

- Garde-le, je te l’offre, jeune fille.

- Non, non, je vais vous payer.

- J’insiste.

Je remercie le vendeur et cherche Ah-Joo. Il était en train de regarder des posters de manga.

- Tu as trouvé un sac qui te plait ?

- Ce sont des portes-bonheur, pas des sacs, soupire-je.

Le chanteur hausse les épaules. J’attrape un taiyaki dans le sachet et le mords. C’est trop bon ! Je n’en avais jamais goûté.

Je regarde un peu partout et un stand attire mon attention. Je tire sur la manche d’Ah-Joo.

- Viens ! Je vais me ressourcer avec ma boisson favorite !

Il hausse un sourcil et je désigne le stand de bubble tea.

- Tu en as bu un tout à l’heure. Ça y est, tu es accro ?

- Oui !

Il me suit jusqu’à l’étalage et me demande le parfum que je veux.

- Orange et pêche, réponds-je.

La dame hoche la tête et m’en prépare un. J’en commande aussi un mangue-passion que je donne à Ah-Joo. L’idole sort son porte-monnaie, mais je le stoppe.

- Tu as déjà payé assez de choses. À moi.

Je sors un billet que je tends à la dame qui s’occupe des bubbles teas.

On continue notre tour dans la salle d’exposition. Il y a un karaoké, et je pousse Ah-Joo à y aller. Il se retrouve à chanter des opening d’anime et des chansons japonaises d’amour, puis on va faire un just dance. Évidemment, il assure en danse. Quelqu’un a la bonne idée de demander de passer la chorégraphie de In the dark de Blind Prince et Ah-Joo impressionne certains passants qui ne se doutent pas que l’idole est vraiment là.

Il est dix-neuf heures quand on sort du COEX. On a acheté des sushis qu’on a décidé d’aller manger sur la tour Namsan, l’endroit le plus haut de Séoul. Les premières neiges sont prévues à vingt heures, et une vieille légende raconte que si on touche les premières neiges du point le plus haut de Séoul, ça nous portera chance. Ou quelque chose du genre. Et c’est aussi, dans un K-drama que j’ai regardé, le lieu où la femme promet à l’homme de le retrouver aux premières neiges. Ou quelque chose comme ça. Faut dire que j’ai regardé ce K-drama à 13 ans, alors je ne m’en souviens pas bien.

- Regarde.

Ah-Joo montre du doigt quelques flocons tomber. Ils sont plus en avance que prévu. Mon regard croise celui de l’idole et on se met à courir pour grimper au sommet de la tour au plus vite.

Quand on y arrive, on se pose sur un banc et on ouvre les boîtes de sushis.

- Ça fait longtemps que je n’en ai pas mangé, soupire-t’il en croquant dans un maki.

- Moi aussi. La prochaine fois, on mangera des tteokbokkis.

Ah-Joo secoue la tête.

- Je ne peux pas manger épicé.

J’ouvre la bouche et la referme. Je ne savais pas. J’attrape un sushi en fixant la neige tomber.

- Je venais ici quand j’étais petit.

Je tourne la tête vers l’idole. Il sourit.

- Ça me fait aussi penser à Top of The Rock. C’était à New York. J’y étais allé avec Min-Seo. On avait regardé le coucher de soleil. On s’était promené dans Central Park.

- Tu étais déjà amoureux d’elle ?

Cette fois, c’est lui qui se tourne vers moi.

- Oui.

Ah-Joo baisse les yeux.

- Tu sais… je le suis encore.

- Comme moi avec Jun-Woo, au final.

- Il faudrait qu’on les oublie, mais c’est compliqué. Ils sont partout : dans des pubs, dans des chansons, dans le parc…

Je hausse les épaules.

- Il s’était passé quoi, ce jour là ?

Il me sonde quelques instants avant de comprendre que je parle du jour que j’ai passé à New York avec Min-Seo.

- Ben… On était sortis tous les deux dans le parc, puis dans la 5eme avenue. Après, on a mangé chez ses parents, on s’est promenés et on est allé regarder le coucher de soleil.

Il se tait. Comme s’il avait fini. Je sens pourtant qu’il manque un élément. Ce jour-là, il s’était passé quelque chose d’autre, j’en suis sûre.

- Et ?

Ah-Joo mord sa lèvre inférieure.

- Et elle… elle avait reçu des commentaires haineux. À cause de… tu vois, quoi. Tu faisais partie des gens qui soutenaient cette rumeur. Alors bon… moi… j’ai voulu l’aider… Mais elle m’a toujours vu comme un ami, non ?

- Oui, sûrement.

Un silence s’installe. Je trépigne sur le banc. On n’aurait jamais dû parler de ça.

- Tu fais quoi, après le bac ? me demande Ah-Joo.

- Oh. Je suis acceptée à l’université de Kyung-Hee. J’irai en mars.

- Félicitations.

- Merci.

- Et pendant les vacances ? De janvier à mars ? continue-t’il.

- Ben, rien.

- Tu veux venir avec nous ?

- Où ? Qui ça, nous ?

- Les Blind Prince partent en tournée. Je peux demander à mon manager si tu peux nous accompagner. Ça te fera des vacances.

- Je ne sais pas trop. Mon père préférerait que je travaille encore plus.

- Tu veux devenir oncologue, hein ? Ouais. Faut travailler dur. Mais c’est pas bien de trop travailler, tu sais. Prends les trois semaines de ma tournée pour te reposer. Viens avec nous.

- Et si ton manager dit non ?

- On aura essayé.

Je souris.

- Merci, Ah-Joo.

- De rien.

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