- Non.

- Eddy, s’il te plait !

- J’ai dit non. Retourne t’entraîner.

- Elle pourra t’aider !

- Tu m’as dit que cette fille était en étude d’oncologie, pas de manager.

Je fais une moue.

- Allez, Eddy ! Accorde-moi au moins ça.

- Que diraient les fans s’ils savaient qu’une d’entre eux à pu partir en tournée avec vous ? Ils seraient jaloux. Il y aurait un scandale. Et ce serait le délire sur les réseaux. Pense à ton image, Ah-Joo.

Il ne comprend pas que cette fille n’a plus rien ? Elle n’a pas d’amis, elle a perdu sa mère, son père n’est quasiment jamais là et elle se remet encore d’un coeur brisé, en quelque sorte. Min-Jee mérite au moins ça.

- Si tu n’acceptes pas, je quitte le groupe.

Eddy lève les yeux vers moi et soupire.

- Ah-Joo… Ton amie ne peut pas venir, c’est tout. Essaye de comprendre.

- C’est toi qui ne comprend pas.

Énervé, je sors du bâtiment et prends le premier métro vers Myeongdong. Les oiseaux migrent vers le sud, les feuilles mortes jonchent le sol et du givre est posé sur l’herbe. Je frotte mes mains entre elles.

J’arrive devant une petite maison blanche au toit noir. Il y a un petit jardin avec un olivier mal entretenu devant la bâtisse, ainsi qu’une place pour garer des voitures. Je lève les yeux et observe la fenêtre ouverte à l’étage. Une musique s’en échappe. Je m’avance vers la porte et tape.

Min-Jee ouvre, vêtue de la tenue que je lui ai acheté. Ses mèches sont à nouveau noirs.

- Mon père m’a obligé à les reteindre, grimace-t’elle après que je sois entré. Tu veux à boire ?

- Non merci. C’est gentil.

- Viens.

Elle m’entraîne à l’étage et ouvre la porte de sa chambre. C’est une pièce aux murs bleu délavé. Des posters de K-pop sont accrochés un peu partout. Il y a un bac dont s’échappent des mini-jupes, des tops et des escarpins, ou encore des bottines gothiques. Curieux, je m’avance.

- C’est quoi ?

Min-Jee rougit.

- Je collectionnais ce genre de tenue quand je voulais devenir idole.

Elle attrape une jupe noire où sont accrochés des croix en métal.

- Et dans ma période gothique.

Je hoche la tête et continue le tour de sa chambre. Ça n’a pas l’air de la perturber qu’un homme de 24 ans observe la pièce où elle vit.

Je m’arrête devant une commode avec des bias cards exposées. J’en compte une trentaine de Jun-Woo, quelques unes de Enhypen, Itzy, Le Sserafim, et Stray Kids. Il y a une boîte remplie de cartes de BTS, une autre de photos des (G)I-DLE et même une de Blind Prince. Je souris en voyant des bias cards de moi et me tourne vers Min-Jee.

- Tu collectionnes des photos de moi ?

- Euh… ben… oui.

Celles qui sont le plus présentes sont quand même celles de Jun-Woo. Mais pourquoi toutes les filles l’aiment autant ? Il y a des centaines de jeunes femmes accros à lui, en plus de Min-Jee et Min-Seo. Il n’a pourtant rien de particulier. Oui, il est super beau. Oui, il danse super bien. Oui, il chante super bien. Oui, il est super gentil, généreux, loyal et toutes les qualités possibles et inimaginables. Mais ce genre de personnes est courante dans la K-pop.

Min-Jee peut l’aimer si elle veut. Ce qui me fait le plus mal, c’est que Min-Seo fasse partie de ces filles totalement amoureuses de lui. Et que ça soit réciproque. Pourquoi il a fallu qu’ils débutent sous le même label ? Pourquoi il est tombé amoureux d’elle ? Pourquoi moi, je suis tombé amoureux d’elle ?

Je ne suis pas jaloux de la popularité de Jun-Woo. Elle est méritée. Il est dans l’univers de la K-pop depuis ses dix ans, il en a aujourd’hui vingt-deux. Il a travaillé dur. Il a supporté des critiques sur son physique, sa voix et sa façon de danser pendant douze ans, et aujourd’hui, il doit supporter les mêmes critiques, ainsi que certaines sur sa relation amoureuse.

Tout ce que je demandais, c’était que la fille dont je suis amoureux soit la seule insensible à son charme. Mais on n’est pas dans un film, la vraie vie ne se passe pas comme ça. C’est égoïste de vouloir ça ? C’est mal de souhaiter que celle que j’aime ressente la même chose ? J’imagine que oui.

- Ah-Joo ?

- Hm ?

- Tu penses à quoi ?

- Ben… à Min-Seo.

Min-Jee hoche la tête.

- Mon manager ne veut pas que tu viennes à notre tournée.

- Ce n’est pas grave. Dis, Ah-Joo… ça t’arrive de vouloir n’avoir jamais rencontré Min-Seo pour que la vie soit plus simple ? Moi, parfois… j’aimerais ne jamais avoir découvert les Korean Boys. Ne jamais être tombée amoureuse de Jun-Woo. Si tout ça n’était pas arrivé, aujourd’hui, je serai moins triste.

Je n’y avais jamais pensé. Min-Seo fait partie de moi, alors avoir songé à ne jamais la rencontrer me paraît impossible. Et puis, refaire le monde avec des «si» ne changera rien au fait que son coeur est à Jun-Woo.

Min-Jee attrape une bias card de Min-Seo et me la tend.

- Tiens. Je t’en fais cadeau. De toute façon… je ne l’aime pas, cette fille.

Je refuse. Il ne vaut mieux pas que je prenne ce genre de choses.

Min-Jee le remarque et range sa carte dans un tiroir. Je contemple les cahiers de maths abandonnés sur son bureau et m’en approche. Ça parle de cosinus, de matrice et d’autres trucs incompréhensibles pour moi. Je ressens un certain respect pour Min-Jee qui semble briller dans cette matière, à en croire les évaluations qui s’étalent devant mes yeux.

- Mais dis-moi, Min-Jee, peut-on vraiment dire que tu es amoureuse de Jun-Woo ?

Incrédule, la lycéenne me lance un regard.

- Après tout… tu ne le connais pas vraiment. Tu aimes son physique, ça, ils ne peuvent pas le changer à la télé. Mais sa vraie personnalité n’est pas la même que dans les émissions. Alors que Min-Seo, elle, elle le connaît depuis deux ans. Elle a vécu pleins de choses avec lui, elle le voyait tous les jours. Je veux juste savoir… est-ce que tu es vraiment amoureuse de lui ?

Min-Jee lève les sourcils et puis les fronce.

- T’es sérieux là ? lance-t’elle, agacée.

Je hausse les épaules.

- Ben, avoue que ce que je te dis tiens la route.

- Je suis amoureuse de Jun-Woo. C’est un fait que tu ne peux pas remettre en question. Personne ne remet en cause ton amour pour Min-Seo, alors pourquoi tu le fais sur mes sentiments ?

- Parce que tu n’as jamais approché Jun-Woo à moins de deux mètres, tu ne lui as jamais parlé et tu ne le connais pas. Tu n’apprécies pas les gens bordéliques, non ?

- Ben non. Personne ne les aime, si ?

- Qu’est-ce qu’il te dit que Jun-Woo n’est pas un homme très bordélique ?

- C’est tout ce que t’as comme argument ? Je suis amoureuse de lui, point. C’est juste que ça te vexe que tout le monde le préfère à toi parce qu’il est mille fois mieux !

Oui. Min-Jee a raison. Mais bon, ça, je ne peux pas lui dire. J’ai trop de fierté. Alors je fais mine d’être énervé, en mode «c’est bon tu me casses les pieds tu comprends rien» et je quitte sa maison en claquant les portes comme un ado de 13 ans qui viendrait de lâcher à ses parents «j’en ai marre de cette maison je vais vraiment finir par me barrer».

Une fois dans la rue, je sors mon téléphone et appelle Min-Seo. J’ai envie de lui parler. On peut au moins rester amis, elle et moi, non ?

- Allô, Min-Seo.

- Min-Seo danse, là. Tu veux quoi ?

Je déglutis. Il fallait que ça soit Jun-Woo qui décroche.

- Lui parler. Sinon je téléphonerai pas.

- Ok. Mais elle danse. Elle peut pas.

- Tu peux bien l’arrêter pour qu’elle me réponde.

- Non.

- D’ailleurs, pourquoi c’est toi qui gère ses appels ? Tu n’as pas assez confiance en elle ?

- C’est pas en elle que je n’ai pas confiance, tu vois. C’est en toi. Alors quand on a vu ton nom on a choisi que ce serait moi qui décrocherai. Je répète ma question : tu veux quoi ?

- Lui parler, je te l’ai dit.

- Ok, donc salut. Elle est pas dispo, là.

Et il raccroche. Je vais finir par lui en mettre une, à ce mec. Je suis pas sûr que cette facette de lui plairait à Min-Jee. Ou alors il est comme ça juste parce que c’est moi. Ce qui est logique. J’ai quand même embrassé sa copine.