2 - Mystère

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J’ai donc trois cycles pour prouver que Mort est innocente dans le crime de Futur. Je dois absolument la disculper au plus vite.

En premier lieu, je vais visiter la Taire une nouvelle fois. Taire est le nom de la sphère aqueuse que Vie et Mort ont inventée. Etant donné qu’ils ont passé là quasiment tout leur temps, je dois en apprendre plus sur ce qu’ils y ont fait. Vie pourra surement répondre à mes questions.

Quand j’arrive sur la Taire, le décor est toujours le même : la même étendue bleue, la même eau à perte de vue… Les nuages sont toutefois plus nombreux que lors de ma dernière visite. Vie ne doit pas être bien loin, je vais à sa rencontre.

Sur le chemin, je suis agressé par de nombreuses créatures qui bondissent hors de l’eau, brandissant leurs dents aiguisées. Je fais plusieurs tours de la Taire avant de voir enfin Vie voleter au dessus de ses création qui paraissent, envers lui, totalement pacifiques.

Vie, m’apercevant : Oh ! Monsieur Mystère. Vous êtes là ? Je ne vous avais pas vu.’

Moi : Oui, bonjour. Qu’est ce que c’est que ces choses, là, qui ont essayé de me manger ?’

Vie, ravi de me montrer ses inventions : Ce sont des poissons ! Ils savent parfaitement nager.’

Moi, sarcastiquement : Il semblerait qu’ils soient aussi doués pour sauter. Ne seraient-t-ils pas censés se manger entre eux au lieu de me harceler ?’

Vie : Hélas, maintenant que sœurette est captive, ils ne meurent plus. Ils ne courent donc plus le risque de voir leurs fonctions vitales cesser s’ils ne mangent pas. C’est très embêtant, car puisqu’ils n’ont même plus besoin de s’entre-dévorer, il n’y a plus de place dans l’océan. De ce fait, ils essayent d’en sortir, et ils ne sont pas de bonne humeur. Du tout, du tout, du tout.’

Moi : J’ai remarqué.’

Vie : Je ne peux agir que sur leur évolution, bien que je puisse aussi leur donner des directives… mais assez vagues.’

Moi, surpris : Tu peux les contrôler ?’

Vie : Heu… Par exemple, je peux leur dire de ne pas nous sauter dessus. Cependant, c’est ma sœur qui contrôle la croissance de la population. Si seulement nous ne les avions pas rendus autonomes dans leur multiplication…’

Moi : C'est-à-dire ?’

Vie : Hé bien voilà. Actuellement, ils n’ont plus personne pour vérifier leur population, car ma sœur était responsable de la limitation de la division cellulaire.’

Moi : La divi-quoi ?’

Vie : C’est très simple. Elle prenait une cellule, et hop ! Un coup de faux, et elle en obtenait deux. Elle a cependant permis aux cellules d’effectuer ce qu’on appelle la mitose sans son aide.’

Voilà donc à quoi sert cette faux… Peut-être a-t-elle servi à un autre usage.

Moi : Y a-t’ il quoi que ce soit d’autre qui ait été coupé avec cette faux ?’

Vie : Pas vraiment. Il n’y a que des poissons et de l’eau, ici… Quoique ! J’oubliais ! Il y a des roches !’

Moi : Des roches ?

Vie : Oui, oui ! Ma sœur les utilisait pour s’exercer à trancher. Je vous montre le chemin !’

A peine a-t-il finit sa phrase qu’il plonge sous l’eau. Je plonge donc à sa suite en grognant. Le chemin est horriblement long : Vie ne se souvient plus du trajet. Il tourne en rond pendant de longues minutes, puis crie « Je me souviens ! », ou bien « Je me trompe, c’est par là ! ». Je ne peux même pas attendre qu’il trouve le bon itinéraire, car les poissons n’épargnent que lui ; je suis obligé de le suivre de très près.

Bien longtemps plus tard, nous atteignons le fond de l’océan. De grandes demi-sphères jonchent le sol. Elles sont brunes, rugueuses, et immobiles. Ces pierres sont différentes de celles que je connais.

Vie : Il y en a beaucoup, car ma sœur s’entrainait très dur. Elle voulait voir si, avec sa faux, elle pourrait diviser une cellule en trois, quatre, voire plus. Elle en est finalement arrivée à la conclusion qu’elle ne pouvait trancher la matière qu’en deux.’

J’écoute distraitement, mon attention étant plutôt portée vers les rochers. Les coupes sont nettes, et cela me semble étrange, bien que je n’arrive pas à comprendre pourquoi. Bon ! J’ai récupéré assez d’indices sur la Taire. Il est temps de partir.

Vie : Vous êtes toujours le bienvenu, monsieur Mystère. Pourrez-vous passer le bonjour à ma sœur, s’il vous plait ?

Moi : Bien sûr ! Merci pour tout !


* * *


Ma destination suivante est le Hall d’Eternité, scène du crime. Je dois m’assurer que nous n’avons rien oublié : tous les détails comptent.

Dès mon arrivée, je vois Fait, à côté du Grand Crystal, se tenant inhabituellement droit.

Moi : Que se passe-t-il ?

Fait, stoïque : Rien n’est différent de d’habitude !’

Moi : Mais, il y a eu un meurtre.’

Fait : Rien n’est différent de d’habitude !’

Je comprends qu’il se prépare pour une éventuelle venue de Création. Le pauvre Fait n’est pas habitué à mentir.

Moi, pour l’encourager : Bonne initiative !

Fait : Rien n’est différent de d’habitude !’

Moi : Bien… Je viens pour analyser le corps... Heu, Fait, où est passé le corps ?’

En effet, le cadavre de Futur n’est plus là.

Fait : Rien n’est différent de d’habitude !’

Moi : FAIT ! OU EST LE CORPS DE FUTUR ?’

Fait : Rien n’est différent de… J’ai légèrement adapté la scène, puisque tu ne veux pas que Création se doute de quelque chose.’ Je sens sa désapprobation de chacun de ses mots. ‘J’ai déplacé le corps.’

Moi : Tu as quoi ? Attends… En fait, c’est une bonne idée, après tout. Où est-t-il ?’

Fait : Rien n’est différent de d’habitude !’

Moi, énervée : FAIT, OU EST LE CADAVRE DE FUTUR ?’

Il parait tout à coup hésiter.

Fait : Il est situé à l’est d’ici, mais tu ne t’en approcheras pas. Tu vas l’utiliser pour tenter de disculper Mort. Mort à tué Futur. Je ne permettrai pas que Mort soit disculpée.’

Moi : Bien. Je ne peux pas te contredire.’

Fait, disparaissant dans un éclair rouge : Parfait. Ne tente pas de t’approcher du corps, je serai à l’affut.’

Fait dispose du pouvoir de téléportation, et il l’utilise beaucoup pour nous casser les pieds. Je le vois, apparaître pour disparaître aussitôt sur la plaine, vérifiant que je ne m’approche pas de la « zone interdite ». Toutefois, je dispose moi aussi d’un pouvoir, pouvoir que j’utilise constamment pour vérifier le contenu de mes histoires sans interférer avec elles : l’invisibilité, qui s’accompagne de l’immatérialité. Grâce à cela, je peux m’approcher du cadavre sans éveiller les soupçons de Fait. Hélas, le grand défaut de cette capacité est qu’elle n’est réellement efficace que quand je suis immobile. Effectivement, quand je suis en mouvement, on peut remarquer une perturbation du trajet de la lumière ; Fait est parfaitement apte et habitué à remarquer cela.

J’ai mis un certain temps à atteindre le corps, car Fait surgissait souvent devant moi en se jetant dans une direction aléatoire. Etant intouchable, je ne craignais pas de le heurter, mais je devais rester immobile durant une éternité. Finalement, malgré les efforts de Fait, j’atteins mon objectif.

Alors que je m’approche du cadavre de Futur, je me sens de plus en plus troublé. Cette chose sur le sol était une personne, avant. Une personne qui pouvait parler et avoir des sentiments. A présent, il ressemble juste à un objet comme un autre dans le décor...

Trêve de sentiment, il est temps de regarder en détail le cadavre. Il est tranché en deux, d’en haut jusqu’en bas ; toutefois, la coupure est irrégulière, incurvée. Je me demande alors s’il est possible de trancher quoi que ce soit en deux de cette manière avec une faux. L’examen terminé, je dois quitter les lieux sans être remarqué. Alors que je m’éloigne du corps, Haine vient à ma rencontre. Il porte toujours son affreux chapeau de « cow-boy », une autre notion que j’ai inventée pour mes histoires.

Haine : Je hais les gens qui ne respectent pas la loi ! Tu as pénétré l’espace autour du Grand Crystal, qui est sous notre autorité, à moi et Fait. Or, Fait t’a refusé l’accès au cadavre. Tu as donc enfreint la loi.’

Moi : Bon. Quel est le duel ?’

Haine, feignant l’incrédulité : Le duel ?’

Moi : Tu ne parle quasiment jamais, sauf pour défier quelqu’un dans un duel stupide. Tu as dû te préparer dès l’instant où je suis devenu invisible.’

Il me fixe avec colère.

Haine : Je hais quand tu devines les pensées des gens ! Mais passons, le jeu d’aujourd’hui est le gobelet mortel en trois phases. Je ne te laisserai passer que si tu trouves cette bille à chacun des trois coups.’

Moi : Crois-tu que ce soit le moment ?’

Haine : Crois-tu que tu sois en position de refuser ?’

Moi : Et pourquoi "mortel" ?’

Haine: Parce que c'est classe.’

D’un geste, il fait apparaître trois petits gobelets jaunâtres qui flottent dans les airs devant lui. Le gobelet du milieu se soulève, laissant apercevoir la petite sphère grise avant de se rebaisser. Puis, d’un léger revers de la main, Haine déclenche le mélange des gobelets. Ceux-ci se déplacent à une vitesse folle, telle qu’on ne peut plus les distinguer. Quelques secondes plus tard, ils redeviennent immobiles, comme si rien ne s’était passé.

Haine doit être bien confiant pour me défier, moi, Mystère, à un jeu de hasard. Je sens très bien la sphère sous le gobelet de droite ; je le lui indique d’un geste. Il me dévisage un long moment, comme s’il me passait au rayons-X, puis esquisse un autre mouvement de la main.

Aussitôt, deux autres gobelets apparaissent à côté des trois précédents. Haine me lance un sourire glacé auquel je ne réponds pas, afin de ne pas lui donner des indices sur mes capacités. La deuxième manche est aussi facilement terminée que la première, à la grande colère de mon adversaire. Hors de lui, il balaye l’air de son bras et quatre nouveaux gobelets apparaissent.

Haine : La chance va tourner.’

Je n’en suis pas aussi sûr que lui. Neuf gobelets ne changent rien à la situation : je perçois la bille où qu’elle soit. Il met plus de temps que les fois précédentes pour mélanger les verres, précaution inutile. Portant, quand tout est figé à nouveau, je manque de m’étrangler : je ne sens plus la sphère !

Je scrute alors chacun des verres jusqu’au moindre détail, mais rien n’y fait : la bille demeure introuvable. Tout ce que je sens, c’est la tête de Haine, ravi de triompher de mes dons. Je vérifie plusieurs fois tous les gobelets, encore et encore, jusqu’à ce que je comprenne ce qui se passe. Je désigne alors le chapeau de Haine. Il me regarde avec anxiété, puis baisse les épaules avec un soupir de rage réprimé.

Haine sortant la bille de son chapeau : Je hais quand je perds !’

Moi : Tu as triché, tu es puni. Mais pourquoi es-tu si agressif ?’

Haine : Je ne pourrai pas exécuter correctement mon travail si je n’étais pas comme je suis. Je te l’ai dit, moi et Fait sommes les gardiens.’

Moi : Gardiens ?’

Haine : Oui, je vaincs les intrus, et Fait les incarcère.’

Moi : Et, si je puis me permettre, que gardez-vous ?’

Haine : Nous gardons le Grand Crystal, évidement !’

Le Grand Crystal se trouve au centre du Hall d’Eternité depuis toujours. Il était déjà là avant ma création. Je n’en ai cependant jamais compris l’utilité.

Haine : Le Grand Crystal garde la réalité immuable. Il nous fournit aussi nos pouvoirs. De plus, il nous régénère quand nous sommes blessés.’

Moi : Mais comment ai-je pu l’ignorer ?’

Haine : C’est très simple : Fait à le pouvoir d’effacer les souvenirs qui concernent le Grand Crystal. Parfois, il efface même mes souvenirs. Je hais ça !’

Je prends vite note de ces informations utiles avant que Fait, qui se trouve quelques mètres plus loin, ne décide de les supprimer de ma mémoire. Il me donne raison car il nous interpelle aussitôt.

Fait : Vous parlez tous les deux de choses inutiles. Vous allez vous désintéresser du Grand Crystal.’

Sa phrase se conclut dans un flash rouge. A ce moment-là, je ne me souviens plus du motif de ma présence. Il y a un blanc dans ma tête : mes derniers souvenirs ont été effacés.

Moi, à Haine : Qu’est ce qui vient de se passer ?

Haine : Tu as réussi à me vaincre dans un duel. Je hais quand je perds !’

Sur ce, je décide de partir pour l’ultime endroit où je peux récolter des indices : la Chambre des Faits. Cette pièce est celle où Fait range tout ce qu’il trouve d’intéressant lors de ses voyages. Mort y est retenue : je vais l’interroger pour obtenir sa version du récit. Je demande donc à Fait l’autorisation d’aller voir Mort, mais cela s’avère horriblement compliqué. Je constate une fois de plus que Fait est incapable de mentir, ni même d’omettre la vérité de façon discrète. D’abord réticent, il finit par accepter quand je lui fais valoir que c’est pour sa sacro-sainte vérité. Au moment où il me téléporte, il me met en garde contre les rapports stockés. Je ne saisis pas complètement le sens de sa remarque.

Cependant, une fois dans la Chambre des Faits, je comprends ce qu’il a voulu dire : des piles de papiers, des dossiers et des feuilles volent dans tous les sens, manquant souvent de m’assommer. Je réussis toutefois à me frayer un chemin parmi toutes ces informations inutiles qui encombrent les lieux. Je pense que je n’oublierai jamais cet endroit abominable. Je plains Mort : sa détention doit y être insoutenable. Me rappelant soudain de mon objectif, je me mets à la chercher. Après avoir crié un certain temps, je l’aperçois qui vole vers moi à une vitesse folle.

Mort, brandissant sa faux vers moi : SORS-MOI D’ICI IMMEDIATEMENT SINON JE TE COUPE EN DEUX !’

- Attends-moi !’ s’écrie une voix lointaine.

Mort, partant à tire d’ailes : Zut ! Encore elle ! Fuyons !’

Mort essaye de partir. Par reflexe, je l’attrape par le bras tandis qu’Amour s’approche.

Amour, enjouée : Mystère ! Moi aussi je mène mon enquête !’

Je me rends soudain compte que Mort est en train de brandir sa faux au-dessus de ma tête. D’un geste, je lui confisque son arme.

Amour : J’aime la non-violence !’

Mort : Laissez-moi tranquille ! Je ne veux voir personne !

Moi : Vraiment ?

Mort : Bon, c’est vrai que je m’ennuie comme un rat mort. Vous, vous devez être vachement excités. C’est, genre, le premier meurtre de toute l’histoire de l’Eternité, là. Et du coup, tout le monde va dire que c’était Mort la coupable : logique, non ?’

Moi : Attends ! Tu ne sais pas ce qui s’est passé juste après ton incarcération.’

Elle me jette un regard suspicieux.

Moi : Amour et moi avons enquêté. C’aurait été trop simple si tu avais tué Futur ; trop évident. Je crois que tu as été victime d’un coup monté !’

Amour : C’était exactement ce que voulais te dire depuis tout ce temps, mais tu t’enfuyais à chaque fois.’

Moi : Avec tous les indices que j’ai déjà collectés, je peux affirmer que quelque chose cloche. Il ne me reste plus qu’à prouver ton innocence. Je ne te laisserai pas tomber, mais j’ai besoin de ta coopération.’

Amour : J’aime la coopération !’

Moi : Es-tu prête à nous aider ?’

Mort, vers moi : Toi…’

Amour : Quoi ?’

Mort : Merci.

Elle se met à pleurer.

Mort : Merci à tous les deux. J’avais si peur. Je suis née il y a juste quelques cycles, et il s’est déjà passé un truc horrible. Je ne savais pas ce qui allait m’arriver. Est-ce que j’allais être emprisonnée pour toujours ? Est-ce que j’allais être pardonnée par Création, mais rejetée éternellement par tous les autres ? Est-ce que j’allais… mourir ?’

Moi : Ne t’inquiète pas. Tout va bien se passer maintenant.’

Amour : Nous allons prouver ton innocence !’

Mort : Je suis désolé. Je ne sais rien. J’ai essayé tout ce que j’ai pu, mais je n’ai trouvé aucune raison pour laquelle quelqu’un voudrait me faire porter le chapeau de ce meurtre. Ce monde est nouveau pour moi. Je n’ai pas eu assez de temps pour pouvoir connaître tous les autres…’

Elle s’interrompt brusquement et sursaute.

Mort : Attends ! Je viens de me souvenir d’un truc ! Futur m’avait parlé avant que je ne commence à travailler sur la Taire. Il m’a demandé quel pouvoir j’avais.’

Moi : C’est étrange. Il devait connaître la réponse.’

Mort : Peut-être, mais à ce moment-là, je me suis tournée vers lui pour lui montrer, et quand je me suis retournée, ma faux avait disparu.’

Moi : Bien. Une chose est certaine maintenant : la faux ne peut pas être l’instrument du crime !’

Amour, dubitative : Comment le sais-tu ?’

Moi : Je n’ai pas le temps de t’expliquer, il faut se dépêcher. Mort, s’il te plait, peux-tu me prêter ta faux ?’

Elle me la tend avec confiance.

Moi : Attends-moi. Je te défendrai, je te le promets !’

Mort, souriant : Merci encore.


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