Chapitre 17
Seyvanna
Vers minuit, alors que je ne trouve pas sommeil -vu que j’ai dormi une bonne partie de la journée et que Jonas n’est toujours pas revenu-, je décide de me lever du lit et de longer le couloir jusqu’à la pièce que je n’ai pas encore vu. Je sais crocheter le verrou alors ce n’est pas un problème d’y entrer. Je sais aussi que Jonas a été clair qu’il ne voulait pas que je fouille dans ses affaires, mais je ne peux pas m’en empêcher. Edja m’a appris à toujours en connaître le plus possible sur son ennemi, ne jamais cesser de chercher la faille qui le mettra à genoux. Même si je ne trouve rien dans son penthouse, je suis tout de même poussée à fouiller, à trier et à analyser chaque chose. Plus je vais connaître mon rival, plus je serai en mesure de le manipuler. Je ne me soumettrais jamais à lui, même s’il baise comme un Prince des Ténèbres. Je vais faire semblant jusqu’au bout. Et une fois de retour auprès de mon frangin, Jonas paiera pour ce qu’il m’a fait à moi et mon père et il connaîtra la vérité sur Edja, le traitre. Je veux que Mikhail soit fier de moi.
Une fois la porte déverrouillée, je tombe sur un bureau. Une immense pièce munie de sofas de cuir capitonnés, un grand bureau en chêne foncé, une immense bibliothèque, une boîte de cigares, des documents et des piles de papiers. À première vue, ça ressemble aux contrats de Monster, que Jonas fait signer aux clients pour s’assurer qu’ils respectent la confidentialité des lieux et les lois. Les fenêtres faisant plus de trois mètres de haut, sont recouvertes d’un rideau opaque. Si je peux voir dans la pièce, c’est grâce à la petite lampe sur le bureau de Jonas. Je prends place sur son fauteuil hyper confortable et commence à ouvrir les tiroirs. Je tombe sur plusieurs pièces d’identité et passeport avec sa photo, mais pas son vrai nom, une fiche avec un compte off-shore contenant huit millions de dollar américain. C’est un petit compte de secours, probablement s’il doit fuir la Russie. Il a également un compte protégé sur le sol américain et sous un faux nom. D’après tous les papiers que j’ai sous les yeux dans ce tiroir, ses quelques identités ont été fourni ni plus ni moins par un cartel des États-Unis. Un cartel dirigé par nul autre que Joshua Somber Jann, son frère. Je suis forcée de l’avouer, il est bien encerclé ce petit con. J’écarte une bouteille de gnole et tombe sur un dossier... À première vue ce qui ressemble le plus à un dossier médical… avec son vrai nom dessus. Je m’en empare, le pose sur le bureau, approche un peu la lampe et, l’ouvre…
Oh merde…
C’est un dossier psychiatrique.
Je dois dire qu’il est assez garni. D’après les inscriptions, il a été admis pour des consultations par son frère Jaylen. Son frère a dû insister pour qu’il voit un psychiatre du cartel avant de partir pour la Russie, d’après les dates.
Je tourne plusieurs pages pour tomber sur quelque chose de révélateur provenant des analyses du psychiatre :
Jonas est atteint du trouble de la personnalité narcissique.
· Le sujet n’éprouve aucune empathie.
· Il est incapable de partager les sentiments d’autrui.
· Durant les séances, Jonas fait preuve d’arrogance.
· Il utilise le chantage, la violence verbale et physique.
· Peut s’offusquer si on ne répond pas à ses désirs.
· Lorsqu’il croise son regard devant une glace, il ne peut s’empêcher de se regarder, de replacer ses cheveux, de soigner son apparence, comme s’il cherchait constamment à plaire, mais surtout à se plaire.
Généralement la personne atteint du trouble de la personnalité narcissique va se trouver un moyen d’être reconnu, que ce soit par la célébrité ou le fait d’être craint de tous.
Maltraitance émotionnelle et physique dès l’enfance.
· Le sujet a grandi dans un milieu défavorable.
· Il a été soumis à une forte maltraitance émotionnelle et physique, ce qui engendre bien souvent les troubles de la personnalité.
· Il n’a jamais été encouragé, valorisé.
· Démontre des troubles de l’obsession à tendance maniaque (à surveiller)
Durant mes séances avec Jonas à le crypter, à examiner son comportement, ses gestuels, son parler, ses mensonges, ses révélations, ses traumatismes, j’ai fini par cerner sa personnalité unique, puisqu’il est un « personnage ». Jonas est un personnage qu’il a créé de toute pièce dès le plus jeune âge. Cette fausse identité a évolué avec les années et est devenu un être très sombre. Son cas psychologique est très complexe, je pourrais l’étudier pendant des années que je découvrirais encore des nouvelles facettes chez lui. Je crois fortement qu’il ne sait pas qui il est lui-même. Il semble vivre dans le déni perpétuel et la fiction… Pour décrire Jonas, on peut dire que son trouble psychiatrique se résume au fait qu’il se voit comme un personnage qu’il peut manier, les gens autour sont des pantins avec lesquels il s’amuse pour faire rigoler son public : comme si, dans sa tête, il était sur une scène de théâtre, se voyant comme la vedette. Il vit comme ça, puisqu’il n’a pas conscience de la vie et que pour lui la mort est un jeu de pouvoir. C’est un gamin prisonnier dans un corps d’homme. Son développement émotionnel s’est brisé avec les traumatismes d’enfant. Alors il s’est tissé un personnage avec une personnalité qui le protège envers et contre tous.
Élevé par un père tueur à gages et un frère tueur en série.
Jonas a été soumis à une éducation alarmante. Le père, bien que peu présent, était un tueur à gages violent qui maltraitait ses trois fils. Le paternel battait ses enfants si ceux-ci montraient des émotions, telles que la colère, la peine, l’impatience et Jonas était et est encore une personne très impatiente même s’il a dû être souvent puni pour ce trait de caractère. Les enfants dans ce milieu n’avaient pas le droit d’exprimer leurs sentiments. Les larmes étaient surtout reconnues comme une faiblesse humaine. Le père pouvait partir plusieurs jours et laisser la garde à l’aîné, Jaylen. Ce dernier étant diagnostiqué Sociopathe atteint de sérieuses psychoses dues aux nombreux traumatises de l’enfance. Jonas a pris la même voie. En grandissant avec ses troubles de la personnalité narcissique, il a admis avoir violé des filles dès l’âge de seize ans, tué des animaux, aimé semer la terreur chez des jeunes filles en pénétrant dans leurs chambres durant la nuit et en les agressants, toujours sans ne montrer aucun remord. Il prône et revendique chacun de ses actes.
Son frère aîné, Jaylen était le plus apprécié du paternel, car il avait les capacités que le père recherchait chez un bon fils. À ses yeux, plus son enfant était redoutable plus il faisait sa fierté. C’est pourquoi Jonas, en quête d’approbation du paternel, a un besoin incessant, non pas de remplacer Jaylen, mais bien de le surpasser dans tous les domaines.
Comme Jonas a passé la plupart de son temps seul à la maison, à l’âge de quatre ans, il consommait déjà des films d’horreurs, puisqu’il regardait la télévision, la nuit, et dormait souvent le jour, sur le sol de la cuisine ou sur la moquette dans le couloir. Malheureusement, ces images ont contribué à son éducation. La violence, les images sexuelles, ont fait partie de son développement et ont marqué son côté psychique. Pour lui, être un voyeur dès l’adolescence, commettre des actes indécents et violenter des jeunes filles, lui apportait du réconfort. Il ne connaît ni la notion du mal, ni la notion des limites. Tout comme les films le veut, les meurtres, les supplications, les pleurs sont interprétés dans son esprit comme ni plus ni moins une source de divertissement.
Il a fait mention de son admiration la plus dévouée pour le Joker, le roi de Gotham. Gamin, il vénérait ce personnage. Il assurait qu’un jour, il conquerrait lui aussi une ville et la ferait sombrer jusqu’à l’anarchie pour s’abreuver du chaos et du désastre. Que tout cela n’était qu’une question de temps…
On note le narcissisme qui a fini par déclencher le trouble de la folie des grandeurs.
Je tourne la page et cette fois je tombe sur une photo de Jaylen et d’une fille : Engy Sinclair, qui semble être la copine de… Jaylen.
Bon Dieu ! Elle me ressemble !
C’est… hallucinant ! C’est… je suis sans mot ! Il y a aussi un dessin fait par Jonas, du Joker avec sa canne et son costard, que le psychiatre a analysé pour démontrer à quel point Jonas cherche à surpasser les « méchants » tels que son frère ou des personnages fictifs. Je me souviens, la première fois que j’ai vu Jonas, il m’avait justement fait penser au Joker, de par sa confiance, les hommes à ses pieds, sa canne, son allure digne d’un personnage... Je l’ai cerné tout de suite, mais… il reste un mystère. Il est une énigme à lui seul.
Je trouve également un dessin de masque avec une note, qui explique que Joshua a toujours été fan des BD et particulièrement des masques d’horreur. C’est Joshua lui-même qui a créé le look du masque de Jonas avant de venir en Russie pour le club. Je pense que ses frères voulaient une analyse psychiatrique avant de le laisser partir, seul. Car Jonas semble avoir été sous la tutelle de son frère aîné longtemps et avant de le relâcher dans la nature, il devait craindre qu’il sème le chaos et qu’il se fasse arrêter ou tuer. Mais Jonas est calculateur, précis, méthodique, très intelligent, on le sous-estime, il gère plutôt bien son business.
Cependant, c’est effrayant de ne pas savoir qui est vraiment en lui quand je le regarde dans les yeux. Son regard sombre ferait pâlir l’enfer. En le regardant, on tombe dans les abysses du mal, on s’enfonce, on se noie et on devient sous son emprise. C’est pourquoi je dois faire attention quand je le regarde, sinon je perds le contrôle de mon être. Jonas à un magnétisme qui vampirise malicieusement notre âme, tel un Prince des Ténèbres.
J’inspecte d’autres photos dans le dossier. Celle qui me marque le plus c’est l’obsession que Jonas avait pour Engy, la copine de Jaylen, celle qui me ressemble drôlement. Cheveux, foncé comme les miens, la forme des yeux identique, le poids, la grandeur, le sourire. La seule chose que j’ai en plus, ce sont mes tatouages. Elle a l’air super gentil et timide. Ça dit aussi qu’il…
Oh ce n’est pas vrai. Jonas !
Il a violé sa belle-sœur, uniquement pour avoir tous ce que Jaylen possède. Il est ridicule ! Il était obsédé par cette fille, uniquement car Jaylen l’était. Une fois qu’il a abusé de la fille, il s’est senti puissant, mais il voulait surtout qu’elle le glorifie comme elle glorifie Jaylen. Le psychiatre a raison, Jonas avait un besoin incessant de surpasser son frère et comme il l’a si bien dit : dans tous les niveaux. Donc il voulait être meilleur que lui au pieu aussi…
Un sourire se dessine sur mon visage. Ça ne devrait pas me faire rire, mais Jonas est si tordu que ça surpasse la réalité. J’ai vu des tas de chose bizarre dans ma vie, mes ce gars c’est… pfff, c’est indescriptible.
—Aaah… Jonas… mais quelle créature es-tu ?
Quelques pages plus loin, il avoue qu’à l’adolescence, arrivé aux États-Unis, son père l’a initié à la nécrophilie. Orlando, le paternel, forçait Jonas à coucher avec les femmes qu’il tuait. Parfois, elles n’avaient plus de tête et il devait avoir une relation sexuelle quand même.
Je déglutis.
—Oh… Seigneur, c’est pas vrai…
Je pose une main contre ma bouche pour étouffer ma stupeur. J’ai grandi dans une famille de détraqués, mais Jonas a vécu mille fois pire.
D’après la dernière note en bas de page, Jonas voyait ses moments seul à seul avec son père comme un privilège -car il n’avait jamais son attention - et de ce fait, il n’a jamais révélé à ses frères les horreurs que son père lui a fait faire. Il y a même un passage qui dit que Jonas refuse de parler avec le psychiatre des autres dont il a été obligé de faire… Il a refusé les quatre séances suivantes.
Ça tombe bien, parce que j’en ai assez… en plus, ça continue, il reste plusieurs pages. Il y a des photos de cadavre… de… Je referme le dossier et le remets à sa place dans le tiroir. Dans la même position pour qu’il ne s’aperçoive pas.
Je retourne à la chambre après avoir pris soin de verrouiller la porte du bureau. Une fois sur le lit de Jonas, je contemple le plafond qui est très haut. Plus je pense à tout ça, mieux je comprends cette envie de vouloir prendre la place de Mikhaïl, d’avoir le pouvoir ultime sur le réseau criminel. Le désir d’être craint de tous. Le fait d’être ostensiblement contrôlant. Personne n’a élevé ce gosse. Il a grandi dans une famille de tueur et psychopathes, il s’est abreuvé d’images macabres autant fictives que réelles. Il a des séquelles et des graves lacunes émotionnelles.
À cet instant, une des grandes portes du hall se referme. Mon cœur se resserre. Seulement, je n’entends pas de pas ni de bruit. Je décide à me relever et à aller vérifier qui c’est.
Je longe le couloir sur la pointe des pieds et, arrivée au salon, je découvre Jonas, affalé sur le canapé, le masque toujours sur son visage, une posture avachie, comme s’il était saoul et parti dans les vapes. Je prends le risque de me rapprocher...
Plus je suis près, plus les lueurs de la lune font reluire des gouttes de sang sur son masque. Même son veston semble taché. Je m’assoie sur la table du salon en face du canapé -qui a été remplacée par une neuve après qu’il a brisé la vitre de l’autre- et tend une main vers son masque pour le lui retirer…
Or, au même moment, il ouvre les paupières d’un coup et saisi mon bras tendu et vrille mon poignet !
—Aïe !
Il se redresse, retire son masque tandis que son autre main ne me relâche pas !
—Qu’est-ce que t’as tenté de faire ?!
—Lâche moi !
Il change de tactique ! Cette fois, sa main attrape ma gorge !
Je ne sais pas comment il fait ce mouvement fluide et avec force, mais je me retrouve couchée sur le canapé après qu’il m’a soulevée par le cou !
—Qu’est-ce que tu faisais, putain ?!
Lorsqu’il voit que je veux parler, il relâche un peu la pression !
—Je voulais enlever ton masque, articulé-je la voix enrouée. Tu dormais… je voulais juste te l’enlever.
Ce n’est qu’à cet instant que je me demande à quoi j’ai pensé ? Et pourquoi je voulais le lui retirer pour qu’il dorme mieux, telle une épouse qui retire les chaussures de son mari quand il rentre bourré.
Il laisse écouler cinq longues secondes interminables avant de me libérer la gorge ! Il se relève d’un bon et chancelle.
Il est ivre… au lieu de vouloir retirer son masque… je devrais profiter de ce moment de vulnérabilité, où sa dextérité est réduite pour le tuer et fuir.
Jonas doit se tenir au mur en marchant vers la cuisine. Le plus surprenant, c’est qu’il attrape la bouteille de Jack Daniels et essaie de se verser un autre verre… S’il veut sombrer dans le coma, je ne vais pas l’en empêcher. Il va juste me faciliter la tâche.
Je sursaute en voyant qu’il lance son verre avec violence après avoir bu le fond qu’il a mis dedans ! Le verre se fracasse quelque part dans la cuisine. Il s’allume ensuite une cigarette et se retourne, clope à la commissure de ses lèvres, yeux mi-clos.
Il retire son veston qu’il laisse tomber à ses pieds. Il enlève ensuite ses bottes cirées et commence à déboutonner sa chemise…
Je détourne les yeux, ne sachant pas pourquoi il fait ça devant moi. Et surtout pour éviter qu’un feu de désir ne naisse dans mon regard. Mais que je le veuille ou non, mes yeux finissent par dériver à nouveau vers lui. Petit à petit, il me révèle la beauté de son corps ciselé et son torse tonique, recouvert de tatouages assez récents. Une chaleur m’enivre. Jonas retire ensuite son pantalon, laissant ses vêtements au sol, en plein milieu de la cuisine alors que je suis encore assise sur le canapé. Il reste en boxer lorsque je le vois aller vers la salle de bains, puis ensuite, j’entends l’eau couler…
Il va sous la douche avec sa clope dans la bouche ?
Ouais… il est vachement bourré. Je dois saisir ma chance.
Je me lève lentement, prête à trouver un objet assez robuste pour soit l’assommer, soit le poignarder. Mais je ne fais plus un geste en entendant les foutues portes du hall s’ouvrir sur son putain de bras droit, d’enfoiré de Dominik.
Fait chier !
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