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Aujourd'hui, encore un chapitre de grande rigolade ! On s'amuse trop avec Orion, hihi

– C’est l’heure de la fosse ! Debout tout le monde !

L'entrée d'Orion dans l’auditorium s'accompagnait toujours d'un vacarme insupportable. Parfois, il frappait contre les cages avec sa lance de foudre ; parfois avec un fouet ou un quelconque ustensile en métal. Plus les jours passaient, plus Cornélia le haïssait. C’était lui qui s’occupait de la ménagerie ; c’était son petit plaisir.

Alors qu’il se rapprochait, ouvrant tous les verrous comme à son habitude, la tzitzimitl se tourna vers la cage d’à côté.

C’est quoi la fosse ?

D’excitation, la licorne sautait sur place. C’était la première fois qu’elle abandonnait son calme.

Fosse ! Fosse ! Sang, bagarre ! Mal ! Très mal !

Ah, grogna Cornélia. Génial.

Beyaz, l’air résigné, regardait sa colocataire étaler sa folie au grand jour. Ces deux-là s’entendaient relativement bien – en fait, lui l’évitait le plus possible, mais la petite créature aimait beaucoup le drôle nounours et ne le lâchait pas d’une semelle.

– Allez, les nouveaux, ricana Orion en ouvrant le verrou de Cornélia et la Mouche. C’est le moment de se dégourdir les pattes. Montrez-moi un peu ce que vous avez dans le ventre !

Il quitta l'auditorium en claquant la porte derrière lui. Alors une autre entrée, à l’opposé de la salle, se déverrouilla dans un cliquetis. Le battant s’ouvrit en grand. Galvanisés par ce bruit, les monstres jaillirent de leurs cages. La licorne se propulsa à leur tête, en bondissant comme une antilope montée sur ressorts.

Bagarre ! Sang ! Mal, mal !

Cette psychopathe va tous nous trucider, songea Cornélia.

Elle attendit que le gros de la horde soit passé pour oser mettre une patte hors de sa cage. La Mouche lui emboîta le pas.

Bagarre, répéta-t-il. Bagarre.

Même lui frémissait d’excitation. Cornélia se mit à craindre le pire. Quand Beyaz vint se placer à son côté droit, Gaspard à son côté gauche, elle vit qu’eux non plus n’étaient pas très sereins. Mitaine les attendait devant la sortie, avec la panthère d'eau et la chimère à trois têtes qui formaient le reste de leur petite bande. Ainsi rassemblés, ils passèrent la porte et firent front vers leur avenir.

Un long couloir feutré les attendait, couvert de moquette violette comme le reste du Sydney Opera House. Ils le suivirent en craignant ce qu’ils allaient trouver au bout.

Ils débouchèrent bientôt dans une salle d’opéra monumentale. Un grand plafond de bois, sculpté en formes géométriques pour une bonne acoustique, formait une voûte lourde au-dessus de leur tête. Il rejoignait les murs en des centaines de lamelles successives, semblables à des rayons de soleil. Ici et là pendaient de longs câbles, des spots et des haut-parleurs couverts de toiles d’araignées poussiéreuses. Une puissante odeur de renfermé s’enroula autour de Cornélia, mêlée à des effluves de crottin et de fauve. Les gradins descendaient vers une grande scène vernie.... et, creusée au pied de cette scène, se trouvait la fosse d’orchestre.

Suivant la horde de nivées, qui bondissait de siège en siège en abîmant le velours rouge des dossiers, le groupe de boyards transformés descendit vers cette fosse. Campés sur la scène, cinq archanges les attendaient. Orion était là, bien sûr, les bras croisés, surveillant ses monstres. Derrière lui se tenaient Seraphiel et trois autres que Cornélia n’avait jamais vus. Leur auréole tournoyait paresseusement autour de leur tête ; en s’approchant, elle remarqua que l’un d’eux possédait quatre visages, comme les chérubins. Son auréole était formée de trois cercles d’or au lieu d’un. Sa face de lion posa son regard blanc, inexpressif, sur Cornélia. Un long frisson lui remonta le long de l’échine.

Fais comme les autres, s’enjoignit-elle. Fais comme si tout était normal.

Les créatures se postèrent autour de la fosse d’orchestre et levèrent la tête vers leurs maîtres. La plupart piétinait d’impatience ; Cornélia remarqua la nivée à deux têtes, qui avait enfin cessé de courir après sa queue. À l’inverse, d’autres se tenaient en retrait, silencieuses et amorphes, à peine plus vivantes que des zombies.

– Bon ! clama Orion en frappant dans ses mains. Par qui on commence ?

– Les nouveaux, répondit l’archange aux quatre visages sans trahir la moindre expression. Il faut les tester. Mets-les face à elle.

Orion se tourna vers la petite licorne. Elle se mit à sauter sur place, complètement surexcitée.

– Toi ! Vas-y.

Il n’eut pas besoin de le dire deux fois. Elle bondit dans la fosse et trotta pour en faire le tour, sa longue queue levée comme un panache de satin, les naseaux grands ouverts. Elle attendait son adversaire. Le regard cruel d’Orion passa sur les boyards.

– L’ours nandi s’entend trop bien avec cette petite peste. Il faut remédier à ça. Toi, l’ours ! Ton tour !

Il frappa la scène de sa lance, projetant des étincelles grésillantes. Beyaz croisa le regard de Cornélia, puis obéit en grognant. Lorsqu’il atterrit dans la fosse, son poids fit vibrer le sol ; la licorne parut très contente de le voir là. Dans une attitude qui rappelait fortement Oupyre, elle enchaîna deux cabrioles enjouées, puis fonça sur lui.

Beyaz l’esquiva in extremis, les yeux écarquillés devant sa vitesse. La licorne zigzagua autour de lui, bondissant sur ses petits sabots fourchus dans une trajectoire impossible à prévoir, puis elle sauta sur son large dos. Au lieu de l’attaquer, elle s’assit là et attendit la suite. Beyaz cessa de bouger, perturbé. Il n’essaya même pas de la déloger.

– Non mais qu’est-ce qu’elle fait, cette idiote ? gronda Orion. Attaque-le ! (Il voulut la piquer avec la pointe de sa lance, mais Beyaz recula pour la protéger.) Saloperie, je vais m'énerver avec ces deux-là !

– Envoie les autres, répliqua Seraphiel. Ils seront forcés de se battre.

– Tsss !

Il ordonna à Mitaine de descendre, ainsi que la grande wyvern et d’autres bêtes qui occupaient le haut de la hiérarchie. Bientôt, ils furent six dans la fosse. Les créatures vibraient d’agressivité. Elles se jetèrent aussitôt sur Beyaz et la licorne, qui durent se séparer pour contre-attaquer. La licorne virevolta dans tous les sens, les lèvres remontées sur ses dents pointues, distribuant des morsures à tour de bras. Lorsqu’elle se jeta sur la wyvern et se ventousa à sa gorge, Orion la gifla d’un revers de sa lance, ce qui l’envoya bouler par terre.

– C’est bien ! Continue ! lui lança-t-il avant de dire à ses frères : Celle-là, il faut la surveiller, elle m’en a déjà tué trois en combat d’entraînement.

La créature se releva d’un bond, absolument pas choquée par la violence qu’elle venait de subir, et replongea dans la bagarre.

– L’ours est costaud, mais c’est un nigaud, commenta l’un des archanges. Il ne sait pas se battre. Aegeus s’est foutu de toi.

En effet, Beyaz avait l'air bien pataud en comparaison des autres. Il n’y avait guère que son pelage de braise pour le sauver de leurs attaques incessantes. Orion plissa les paupières.

– C’est parce qu’il n’a pas envie de se battre. Mais ça, c’est facile d’y remédier. La violence, ça s’apprend.

Et d’un geste vif, il planta sa lance de foudre dans le dos de Beyaz, à plusieurs reprises alors que celui-ci tentait de se défendre contre trois monstres à la fois. Le rugissement de l’ours nandi résonna dans tout l’opéra. La bave aux lèvres, il finit par perdre tout contrôle de lui-même. Quand la wyvern le mordit à l’épaule, il mugit de rage. Il referma ses mâchoires incandescentes sur son aile, serra fort pour lui broyer les os et la traîna contre le mur le plus proche pour la fracasser dessus. Orion se mit à rire.

– Regardez comme c’est facile de le mettre hors de lui. Je lui apprendrai, moi ! Dans quelques semaines, il fera des ravages en arène. (La wyvern glissa par terre, à moitié sonnée, et tenta de ramper pour fuir Beyaz, mais il s’acharna sur elle.) On pourra peut-être même le sortir contre Echidna.

– Au prochain tournoi ? releva Seraphiel. Tu prends tes rêves pour des réalités. Il ne sera jamais prêt.

Une lueur vicieuse passa dans l’œil d’Orion.

– Tu veux parier ? (Il désigna ses nouvelles acquisitions, Cornélia comprise.) Tu verras. Ils seront tous prêts. Tous !

– J’attends de voir.

Orion le prit au mot. Pendant plus de deux heures, il fit descendre les boyards dans la fosse les uns après les autres, et s'attela à faire jaillir d'eux des éclats de violence. Ils en sortaient vacillants, le corps couvert de plaies, la gueule pleine du sang de leurs adversaires. Et le dos parsemé de petits trous fumants. Ceux que laissait la lance.

Cornélia ne fit pas exception à la règle.

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