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Bonjouuuur un chapitre court mais important pour aujourd'hui 8D
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Alors qu’ils se rejoignaient tous, une sorte de comète blanche fusa vers eux. Lorsque Cornélia reconnut la petite licorne montée sur ses pattes démesurées, elle se crispa ; mais la créature ne les attaqua pas. Elle s’assit devant Beyaz et remua sa longue queue en panache comme un chien surexcité. Le boyard la toisa, impassible. Puis il s’accroupit à son niveau.
– Nos chemins se séparent ici.
La licorne pencha la tête pour y voir sous son toupet bouclé. Elle le fixa de ses grands yeux dorés.
Nounours, dit-elle silencieusement. Gentil nounours.
Beyaz détourna la tête.
– Aegeus t’acceptera jamais dans le convoi. J’ai pas d'quoi payer pour toi.
Elle but ses paroles sans comprendre un traître mot. Près d’eux, Iroël fronça les sourcils.
– Tu as une paye. Ta paye de boyard.
Le soldat se releva ; il le toisa du haut de son mètre quatre-vingt-dix.
– Ma paye, elle est pour moi. J’en ai besoin. (Il ébaucha un geste vague.) J’vais pas la dilapider pour… pour une bestiole.
Cornélia le dévisagea sans y croire. Iroël aussi. Beyaz leur tourna le dos.
– Dégageons de là.
Cornélia hésita. Dès qu’ils se dirigèrent vers la sortie, la licorne les suivit comme si de rien n’était. Et les autres nivées, progressivement, les suivirent aussi.
Ça va poser problème. Aegeus ne les prendra jamais dans le convoi…
Mais ils verraient ça plus tard. Pour l’instant, l’urgence était de sortir du secteur des archanges sans se faire tuer.
Au moment de passer la porte, ils aperçurent Oupyre, sous sa forme de gros jackalope. Elle gambadait dans la ménagerie parmi les cages et les monstres, dépourvue de la moindre crainte. Tous ces prédateurs auraient pu ne faire d’elle qu’une bouchée ; mais leur soudaine liberté les perturbait tant qu’ils ne lui prêtaient pas la moindre attention.
– Il fout quoi ici, ce bestiau ? grommela Beyaz. C’est pas un du convoi ?
– Il est à Iroël, se dépêcha de dire Blanche. Il… euh… il le suit partout !
Iroël hocha la tête avec conviction. Beyaz fronça les sourcils, l’air de dire « Ce qui se passe ici n’a aucun sens ».
– Oup… Petit, petit ! s’exclama Blanche. Viens ici ! On s’en va, maintenant ! Ne traîne pas trop !
Beyaz grommela, excédé, et disparut dans les couloirs de l’opéra. Tous les membres du groupe le suivirent. Puis les autres créatures, hésitantes. Oupyre, elle, refusait de venir. Cornélia trépigna. La hase faisait en général bon usage de son indépendance, mais il était hors de question de la laisser dans un endroit pareil.
– Mais qu’est-ce qu’elle fait ? râla Blanche. C’est trop dangereux de traîner ici ! Faut qu’on l’embarque !
L’inconvénient avec les wolpertingers, c’était que rien ne représentait jamais un danger à leurs yeux. Et l’inconvénient avec Oupyre en particulier, c’est qu’une fois changée en jackalope, elle n’avait aucunement conscience de sa propre fragilité. Dans ce corps, elle était sans défense, elle n’était plus qu’une proie – mais elle ne le savait pas. Excédée, Blanche revint sur ses pas en traînant Aaron, toujours appuyé sur elle. En la voyant chercher le jackalope avec autant de cœur, Aaron renifla d’un air méprisant. Sous ses paupières mi-closes, ses yeux noirs n’avaient rien perdu de leur acuité.
– Me dites pas que c’est ce que je pense. Ce jackalope, là…
– Ha ha, coupa Blanche avec un rire un peu faux. Elle est adorable, hein ? Iroël, viens chercher ton jackalope !
Mais l’interpelé avait déjà disparu avec les autres pour les guider vers la sortie.
– Elle, hein ? répéta Aaron.
Il tourna la tête vers Blanche et singea d’une voix de fausset :
– « Oup… Petit, petit ! » (Il reprit sa vraie voix.) Vous me prenez pour un imbécile, c’est ça ?
Blanche se mordit la lèvre.
– Faut croire que t’en es un… t’avais rien remarqué jusqu’à maintenant.
Je l’ai trouvée ! lança Cornélia, mais sa sœur fut la seule à la comprendre. Oupyre s’était assise devant l’une des plus grandes cages. Elle remuait les moustaches et semblait les attendre.
– C’est vraiment le wolpertinger ? insista Aaron quand ils la rejoignirent. Vous avez gardé ce putain d’anthropophage ? Vous déconnez, hein ?
– C’est grâce à un masque d’Iroël, grommela Blanche. Elle suit le convoi comme ça depuis un moment. (Elle fixa Aaron, droit dans les yeux, leurs visages séparés de quelques centimètres à peine.) C’est pas elle qui a mangé ces boyards, Aaron. C’est vraiment pas elle. Je te jure. Dis rien à Aegeus, s’teuplé… De toute façon, sous sa forme de jackalope, elle va manger personne.
Il jura à voix basse, en arabe, puis détourna les yeux, mal à l’aise.
– Tant qu’elle bouffe personne, j’dirai rien. En attendant, elle nous fait chier à pas bouger ses fesses, faut qu’on décampe !
Qu’est-ce qu’il y a, Oupyre ? demanda Cornélia en s’approchant de la hase. Qu’est-ce que tu attends ?
Oupyre fixait la cage. Cornélia réalisa qu’une créature se tenait encore à l’intérieur. À travers les barreaux qui la fractionnaient en lignes verticales, elle discerna la grande forme noire de la tarasque, celle qui se laissait mourir à petit feu. Elle se tenait couchée de tout son long, les yeux à peine entrouverts.
Il faut sortir, tenta Cornélia. Partir.
Comme la gigantesque bête ne réagissait pas, elle ajouta :
Vivre.
– C’est une… murmura Blanche en distinguant les longues pointes acérées qui s’élevaient de sa carapace. Une tarasque… (Aaron sursauta et releva la tête.) Je ne savais pas qu’il y en avait une ici…
Petite boule, dit Oupyre en agitant les oreilles. Petite boule qui pique.
Quoi ? firent Blanche et Cornélia à l’unisson.
La hase agita la tête pour mieux voir l’intérieur.
Petite boule qui pique.
Elle se glissa entre les barreaux et s’approcha de la tarasque à petits bonds. Un claquement de mâchoires retentit dans le silence ; la hase évita de justesse de se faire déchiqueter. Avec effort, la tarasque leva sa grosse tête parsemée d’écailles et la fixa, gueule ouverte, crocs en avant. Prête à attaquer encore. Son souffle soulevait ses flancs maigres sous sa carapace.
Petite boule qui pique, insista Oupyre.
Agacée, elle tapa du pied par terre. Le bruit fit tressaillir la tarasque.
– Pourquoi elle fait ça ? maugréa Aaron.
– Petite boule… qui pique… répéta Blanche d’une voix lente.
– T’as dit quoi ?
Il ne comprenait pas la langue sans mots. Quand Oupyre donna un petit coup de corne dans la joue de la tarasque, comme pour jouer, il ne comprit pas non plus.
Blanche, elle, avait compris.
– Oh, mon Dieu…
Oupyre fixa la tarasque. La tarasque fixa Oupyre, longuement, dans le seul bruit du souffle pénible qui passait à travers sa gorge. Puis, très doucement, elle referma la gueule et cessa de gronder. Ses oreilles, toujours plaquées en arrière par la peur et la colère, s’orientèrent en avant. Ses pupilles contractées en têtes d’épingles s’arrondirent. Son visage tout entier s’adoucit. Il devint tel que Cornélia ne l’avait jamais vu – tel qu’il avait dû être avant Orion. Avant les cages, avant les coups.
– Petite boule qui pique, dit Blanche d’une voix sans timbre.
Une larme opaline coula sur sa joue, jusqu’à son menton. Oupyre la regarda, très fière de s’être fait comprendre. Elle posa une patte sur l’énorme mufle de la tarasque, quadrillé de cicatrices.
Pouet pouet.
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