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Hello tout le monde ! On continue dans les "passages peut-être inutiles / peut-être à enlever" ...

Je vais encore avoir besoin de vos avis sur la question... J'ai l'impression que la moitié des scènes que j'écris en ce moment ne servent à rien ;_;

***

Un bruit léger tira Cornélia du sommeil. Un bruit feutré et répétitif. Elle le connaissait si bien que, même ensommeillée, elle le reconnut parfaitement : c’était le cutter d’Iroël qui glissait dans le plastique de ses masques.

Elle bâilla voluptueusement, puis repoussa l’énorme masse chaude qui dormait sur elle et lui écrasait les jambes. Greg. Cela expliquait sans doute son cauchemar insensé dans lequel un camion lui roulait dessus. Le chapalu gronda d’un air mécontent et accepta de quitter le hamac : il glissa par terre et s’y étala mollement, souple et gras comme une flaque de pâte à modeler. Cornélia posa ses pieds nus dans la benne du Berliet. C’était une surface désagréablement moite, couverte de saleté, parsemée des petits cailloux ramenés par les chaussures des boyards, mais elle s’y était habituée. C’était comme un morceau de Strate. Autour d’elle, tous les soldats avaient déjà déserté leur lit, sauf Danaé dont les petites cornes de chèvre dépassaient du hamac. Blanche, les yeux encore gonflés de fatigue, était assise par terre : elle essayait d’enfiler ses rangers sans se rendre compte qu’elle les mettait à l’envers. Cornélia lança un coup d’œil discret vers le fond de la benne, là où la pénombre se changeait en obscurité. Dans ce coin reculé, un hamac se tenait à l’écart des autres. Celui qu’avait réquisitionné Aegeus pour se reposer.

Lui non plus ne s’est pas levé.

Le flot de ses cheveux dorés ruisselait jusqu’au sol. Personne ne s’approchait jamais de ce hamac : aucun boyard ne se serait permis de se pencher vers lui, encore moins de lui demander si tout allait bien. La voix de Blanche, un peu rauque, s’éleva soudain dans le silence :

– Le masque que tu fais, c’est pour l’ourson de la kitsune ?

Cornélia se rapprocha d’elle, attrapant ses chaussures au passage. Sa sœur se tenait à distance respectueuse d’Iroël ; autour de lui, le sol était jonché de morceaux de plastique. Certains étaient d’un noir mat. D’autres d’un blanc perle. Mais en cet instant, il travaillait sur des couleurs encore différentes : Cornélia plissa les yeux et discerna un masque marron, très foncé, dans ses mains.

– Celui-là, oui, répondit-il sans lever les yeux de son ouvrage. C’est pour l’ours nandi.

– Tu peux vraiment en faire un homme ? Enfin, un enfant ? questionna encore Blanche.

Comme Greg quand on était chez Homère... songea Cornélia.

– Oh, oui. C’est pas compliqué. L’inverse est plus dur.

Sans rien dire, Cornélia observa les deux autres masques inachevés, posés près de lui. On aurait dit des squelettes incomplets. L’un d’eux était le crâne blanc translucide, semblable à de l’opale, sur lequel il travaillait déjà chez les archanges. L’autre… Iroël croisa son regard et elle eut la certitude qu’il s’agissait de celui qu’elle lui avait demandé. Fascinée, elle le prit très doucement entre ses mains. D’un contact étrangement froid, il dégageait déjà quelque chose de sauvage et solitaire. Il était noir comme la nuit la plus obscure, et couvert de plumes – ou était-ce simplement un pelage stylisé ? Elle mourait d’envie de poser des questions, mais Blanche était là, et tout cela ne la concernait pas. Surtout, la blondinette était assez maligne pour comprendre aussitôt que le masque était destiné à Iroël. Elle aurait pu éventer la supercherie en une fraction de secondes.

– Tu penses que Pouet… commença Blanche en se mordillant les lèvres. Tu penses qu’on pourrait faire la même chose pour Pouet ?

Iroël soupira. Il mit un peu de temps à répondre.

– Il ne faut pas. Il faut qu’il aille avec les hydres et les autres bébés. Dans le deuxième convoi.

– Quoi ? se récria la blondinette. Mais pourquoi ? Il ne voudra jamais. Il viendra toujours avec nous !

– C’est ça le problème, siffla le jeune homme entre ses dents. (Il posa son œuvre et la contempla quelques secondes.) Aller chez Bastet avec vous le met en danger.

Tout ce que vous faites le met en danger, comprit Cornélia.

– Il est trop attaché à vous, ajouta-t-il avec un geste vague. C’est une tarasque. C’est pas un chien.

Il leva enfin les yeux vers Blanche et la fixa, sans pitié.

– Il devrait être avec d’autres nivées, pas toujours avec vous. Pas toujours avec Aegeus.

La colère transparut dans sa voix, mais seulement sur le nom d’Aegeus. Blanche resta silencieuse, cherchant peut-être une réplique. Puis quelque chose remua dans son hamac, derrière elle ; les deux sœurs se retournèrent en même temps. Cornélia fut à peine surprise en distinguant le corps boudiné d’un squonk. Ses gros yeux globuleux dépassaient du tissu. Il se pétrifia sur place, effrayé d’avoir été découvert.

– Tout va bien ! affirma Blanche. Tu peux retourner dormir.

Il la prit au mot et disparut de leur vue.

– Tu dors vraiment avec lui ? marmonna Cornélia.

Elle imagina la sensation de la peau flasque et des grosses verrues contre elle, et un petit frisson la parcourut sans qu’elle puisse s’en empêcher.

– Pourquoi pas ? rétorqua Blanche, agacée par la question et ce qu’elle sous-entendait. Toi, tu dors bien avec Greg, alors que son haleine pourrait te tuer net.

– Un point pour toi.

Soudain inspirée, la cadette se retourna d’un bloc vers Iroël, le faisant sursauter.

Iroël ! Et les squonks ? Tu pourrais leur faire des masques pour les rendre plus jolis ! Ça les aiderait à s’accepter. Ils pourraient enfin se montrer à tout le monde et sortir dans le convoi…

Elle perdit son entrain devant le regard du jeune homme. Une lassitude infinie se lisait dans ses yeux sombres.

– Arrête, Blanche.

– Arrête quoi ? glapit-elle d’une voix piquée au vif. C’est pour les aider !

– Arrête de vouloir tout changer ! rétorqua-t-il brutalement.

Elle se ratatina. C’était sans doute la première fois qu’il haussait ainsi la voix face à elle. Même Cornélia se contracta un peu, surprise d’entendre tant de colère dans une voix ordinairement si calme.

– Les squonks sont comme ils sont, ajouta-t-il en découpant des morceaux de plastique avec plus d’énervement. C’est des squonks, pas autre chose. Il faut accepter ce qu’on est. Même quand on est laid. Surtout quand on est laid.

Son regard poinçonna celui de Blanche, et à son geste de recul, Cornélia comprit que les mots la heurtaient personnellement.

– Sinon, on avance pas. Si je fais des masques pour eux, ce sera faux. Tout sera faux. Ce sera pas vraiment eux. Et les gens les aimeront pas pour qui ils sont vraiment. C’est ça que tu veux ?

– Je veux juste qu’ils se sentent mieux ! Qu’ils puissent avoir une vie normale !

– Un squonk est un squonk. C’est pas lui rendre service de le forcer à changer. Et une tarasque est une tarasque. C’est pas un chiot. Ni un enfant.

D’un geste, il ramassa une brassée de plastique et fourra tout son travail dans son sac à dos. Puis il se leva brusquement.

– Tu vois tout comme une humaine. Tu veux changer la nature pour qu’elle soit mieux pour toi.

– C’est pas pour moi…

– Si, c’est pour toi. Tu veux une tarasque qui est un bébé et un chiot, tu veux des squonks qui sont amis avec tout le monde ! Laisse-les être comme ils sont. C’est pas à toi de décider.

Muette, Blanche le fixa. Il soutint son regard blessé, puis tourna les talons. Alors qu’il montait l’échelle pour sortir du camion, la voix grave de Beyaz se fit entendre de l’extérieur :

– Iroël ! T’étais là-dedans ! Je te cherchais.

Le garçon ne répondit rien. Il se contenta de lever la tête vers le grand soldat, que les deux sœurs ne voyaient pas de là où elles se trouvaient.

– J’voudrais te demander de faire un masque, dit Beyaz.

Cornélia haussa les sourcils. Iroël allait péter une durite. Il y eut un éclair blanc, puis un gros bruit métallique résonna dans la benne : la petite licorne carnivore se tenait devant eux, ses sabots d’or cliquetant sur le sol.

– Un masque pour elle, acheva Beyaz.

Iroël ferma les yeux d’un air excédé.

– Allez, s’teuplaît, fit la voix du soldat. Tu la connais : elle me lâchera pas. Elle voudra jamais partir avec le convoi secondaire. Mais j’ai peur qu’elle soit trop jeune pour perdre dix ans… j’y connais rien, moi, en licornes.

Iroël appuya la tête contre l’échelle.

– On verra.

– Allez, insista Beyaz. J’t’en prie, mon gars. J’ai de quoi payer !

Un grommellement se fit entendre du fond du hamac de Danaé. En fait, elle ne dormait pas.

Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé.

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