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Bonjouur ! J'ai rajouté un petit passage à l'épisode 31, pour celles qui veulent aller voir. N'hésitez pas à me dire si c'est de trop ou si au contraire, ça vous paraît cohérent...

Sinon, aujourd'hui, on arrive chez Bastet :D

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Le qilin s’agita, avant de rompre la formation et de sortir du convoi. Il se mit à trépigner sur place en levant haut les sabots, faisant jaillir des éclaboussures sous ses pas dansants.

– Oh, misère… marmonna Aaron avant de se diriger vers lui.

Intriguée, Cornélia lui emboîta le pas. En s'approchant du qilin, elle comprit tout de suite. Deux autres qilins se trouvaient en bord d’avenue, émergeant de l’ombre sous une branche couverte de figues. Ils regardaient passer le convoi, surpris, un peu craintifs devant le gigantisme des camions.

Algarade s’approcha d’eux en marchant bizarrement de côté, sautillant sur place comme un crabe atteint de fourmis dans les pattes. Cornélia faillit éclater de rire, mais elle se retint pour ne pas égratigner son égo. Aaron regardait la scène, les mains dans les poches.

– Ce sont des femelles. Cet idiot va faire le pitre pendant mille ans pour essayer de les impressionner.

Il claqua de la langue et s’apprêta à rappeler Algarade. Cornélia ne put s'empêcher d'intervenir :

– Le pauvre, il doit se sentir seul. Elles voudront peut-être venir dans le convoi ?

– Ouais ! lança la voix de Blanche. Laisse-le faire connaissance, quand même !

Cornélia sursauta.

– Arrête de toujours apparaître derrière moi par surprise !

– C’est toi qui est trop facilement surprenable !

Stupéfaite, sa grande sœur la dévisagea.

– Bah quoi ? fit Blanche.

Avec son visage poupin et ses grands yeux ronds, elle avait l’air d’une fillette. La longueur démesurée de ses cheveux n’arrangeait rien : par contraste, son corps semblait encore plus minuscule. De petits boutons d’acné s’étaient ajoutés aux taches de rousseur sur ses joues.

Super, marmonna Cornélia en son for intérieur. Moi, je dois avoir l’air d’une grande potiche, avec un grand nez, des grands pieds et des boutons partout.

Aaron ne les regardait pas, toujours concentré sur les qilins ; mais une infime crispation s’était produite sur son visage à l’écoute de la voix de Blanche.

– De toute façon, elles voudront pas venir, siffla-t-il. Il va se faire rejeter.

Quand Algarade s’approcha des femelles comme un somptueux oiseau de paradis, un coup de dents acérées le convainquit de garder ses distances. Sans comprendre leur froideur, il se remit à danser sur place, un peu plus désespéré.

– C’est un esclave, dit Aaron à voix basse. Il a été élevé comme un animal, alors qu’elles sont libres. En comparaison, il est bête comme ses pieds. Comme un singe qui voudrait séduire une humaine…

Sous leurs yeux, Algarade changea de tactique. Plein d’enthousiasme, il souffla vers les femelles, puis trotta sur place vers le convoi.

Venir, comprit Cornélia. Venir dans le convoi. Manger. Ventre plein.

Mais comme l’avait prédit Aaron, elles ne semblaient pas vouloir le suivre.

– Elles sont si maigres, releva Cornélia, les sourcils en accent circonflexes. Si elles viennent, elles pourront au moins manger à leur faim…

– Et subir la compagnie d’Algarade en permanence ? répliqua Aaron. C’est un lourdaud analphabète.

Les deux femelles dévisagèrent le qilin, avant de se concerter du regard. À l’unisson, elles tournèrent les sabots et s’en allèrent dans le bruissement des feuilles. Algarade hennit derrière elles sans comprendre, décontenancé. Quand il tenta de les suivre, Aaron l’attrapa par sa queue en plumes de paon.

– Arrête de t’humilier ! Tu vois pas qu’elles sont pas pour toi ? Idiot ! Tu es un esclave !

D’une tape, il lui remit les idées en place et le poussa vers le convoi. Le qilin hésita, désorienté ; Cornélia fut choquée de le voir ainsi, presque enfantin, lui qu’elle avait vu massacrer des anges avec l’orgueil d’un tigre. Il fixait les dos des femelles qui s’éloignaient. Cornélia fut frappée un instant par leurs hanches qui formaient des angles aigus sous leurs écailles. Ces créatures n’avaient que la peau sur les os. Algarade attendit un long moment avant de reprendre sa place, la queue basse.

– Le pauvre… murmura Blanche. J’arrive pas à comprendre pourquoi…

– C’est une bête de guerre. Il sait pas réfléchir, ni compter. C'est un chien qui sait seulement se battre pour son maître.

Les yeux sombres d’Aaron se durcirent, comme si, au lieu du qilin, il voyait un autre monstre.

– Qu’est-ce qu’elles pourraient trouver de bien en lui ?

Blanche chercha son regard, mais il l’esquiva.

***

– Le palais de Bastet n'est pas loin ! Vous allez voir, il est magnifique !

Parfois, Blanche profitait de ses pauses pipi pour crier des infos à tue-tête. Cela durait une minute à peine, durant laquelle on apercevait le haut de son crâne blond derrière un muret ou un buisson, et on entendait sa voix flûtée faire un rapide résumé de ce qu'elle avait vu. C'était un peu comme une longue-vue, mais une longue-vue avec audiodescription. Qui avait besoin d'aller aux toilettes toutes les heures.

– Et il est plutôt original...

Elle repartit dare-dare avant que quiconque ait pu lui répondre.

– Reviens ici, éclaireuse ! tonna la voix d'Aaron. Pas de conneries aussi près de Bastet ! Reprends ta forme humaine !

La blondinette réapparut en traînant des pieds, juste à sa droite, ce qui le fit sursauter.

– Entre ces deux-là, ça s'arrange pas, commenta Danaé devant leur double expression fermée.

Ils n’étaient plus que huit à présent. Le convoi, comme prévu par Aegeus, était resté en retrait. Il stationnait dans la grande avenue qu’ils venaient de quitter, sous un portique chinois qui enjambait la rue avec ses cinq toitures dorées et ses lanternes pourpres.

Le portique marquait l’entrée officielle chez Bastet. Cornélia avait deviné qu'il jouait le même rôle que le message vengeur des archanges, écrit en lettres de sang, qui leur avait souhaité la bienvenue. Mais en beaucoup plus raffiné. Et, elle l’espérait, en moins mortel.

Leur petit groupe de boyards formait un détachement armé, mené par Aaron et Aegeus. Blanche et Cornélia ne s'attendaient pas à ce que leur chef ait assez de forces pour les accompagner – surtout après la discussion à laquelle elles avaient assisté – mais il était là, à leur tête. Bien droit, le regard haut et le menton orgueilleux, comme si rien n’avait changé. Comme s’il ne souffrait pas le martyre à l’intérieur. Aaron le secondait, légèrement en retrait pour bien montrer qu’il n’était pas son égal.

– On le voit d'ici ! s'exclama Mitaine.

Ils débouchèrent soudain sur une place gigantesque, qui leur donna l'impression d'être un petit groupe de fourmis perdu au milieu de cette immensité. Et tout au fond, loin devant... il apparut. Le palais de Bastet, éclatant de couleurs et de lumière. Il scintillait comme un bijou posé sur la surface éclatante de l'eau.

Cornélia ne savait pas à quel genre d'architecture elle s’attendait. Bastet était une déesse d’Egypte antique, mais dans la Strate, elle occupait un secteur chinois. Le mélange des deux cultures était un peu difficile à concevoir... mais à présent qu'elle l'avait sous les yeux, sa magnificence lui coupait le souffle.

– C'est Tian’anmen, fit Blanche en mettant une main en visière. Enfin, c'était, à l'origine.

Cornélia fronça les sourcils. Du regard, elle balaya l'immense place, dont on voyait à peine le bout.

– Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

– On voit encore un morceau de la muraille rouge, d'un côté...

Le pavillon de bois avec sa muraille fortifiée, tel qu’on pouvait le voir dans le monde de Blanche et Cornélia, avait quasiment disparu. Il avait été transformé en un somptueux palais égyptien, fait de marbre et de pierre blanche, soutenu par d’énormes colonnes peintes ; mais de ce monument s’élevaient aussi, par endroits, des avant-toits à corniches dorées typiques de l’architecture traditionnelle chinoise.

– Pas mal, hein ? murmura Blanche.

– Ouais, c’est magnifique… magnifique comme chez Midas, grommela Gaspard. J’aime pas trop les trucs aussi beaux. Trop dangereux, en général.

Sur ces mots, il passa un bras autour des épaules de Mitaine et la serra contre lui, comme pour dire que la dryade constituait la seule exception à ses yeux. Elle en profita pour lui pincer la fesse ; il la relâcha vite avec un couinement inarticulé. Avec leurs fusils d’assaut et tous les couteaux rangés à leur ceinture, le moindre de leurs gestes aurait pu les blesser. Près d’eux marchaient Elijah – qui avait opté pour sa forme de chimère à trois têtes – ainsi que Danaé et Beyaz. Devant se tenaient Cornélia et Blanche. Encore devant gambadait Greg, car il avait décidé de se payer une petite balade en leur compagnie, et comme il s’agissait d’un chapalu de deux cents kilos, personne n’avait réussi à l’en empêcher. D’ailleurs, il avait failli en être de même pour la petite licorne.

Elle suivait Beyaz partout, comme à son habitude, mais à présent qu’elle savait se servir de ses deux jambes, son agilité était telle que le soldat avait eu toutes les peines du monde à lui mettre la main dessus. Il lui avait couru après pendant une heure ou deux, en jurant tous ses grands dieux qu’il allait la ligoter et l’attacher dans le Berliet. Personne n’y avait cru, mais il l’avait vraiment fait. Il avait enfin réussi à lui retirer son masque et l’avait vraiment ligotée dans le Berliet.

Elle y était sans doute encore.


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