103 -

6 minutes de lecture

On pense à la même chose ?

La blondinette fit craquer ses phalanges.

C’est parti.

Iroël, blasé, les regarda se mettre à hurler, courir autour du pavillon, asperger les murs et jeter des petits cailloux dans les fissures pour agacer la créature.

– Mais vous faites quoi ?

Blanche s’arrêta un instant, déjà essoufflée par tout ce cirque.

– Bah, on essaie de la faire bouger, pour voir à quoi elle ressemble.

Le jeune homme se massa les paupières. Prenant cela pour un assentiment, elle se remit à zigzaguer comme un canard ivre en hululant des mots sans queue ni tête.

Et elle faillit mourir là.

Elle ne dut sa survie qu’à ses réflexes : en une fraction de secondes, elle enfila son masque et fusa hors de portée des énormes tentacules noirs qui, tels des ressorts mortels, venaient de jaillir vers elle.

Sa belle robe dorée s’étala doucement dans l’eau, légère comme une plume, lacérée par les appendices meurtriers.

Ayant manqué son coup, la créature les rétracta. Les tentacules disparurent sous le toit du pavillon comme s’ils n’avaient jamais existé. Une avalanche de tuiles dorées se déversa par terre. Cornélia échangea un regard avec Iroël. Ils étaient tous les deux devenus très pâles, d’un seul coup.

– Je m’attendais pas à ça, souffla Cornélia.

Blanche apparut deux mètres plus loin, les yeux exorbités par la terreur.

– Ben moi non plus…

Une estafilade écarlate zébrait sa cuisse sur toute sa longueur. Les tentacules avaient claqué comme des fouets et l’un d’eux l’avait effleuré. La blondinette reprit son souffle en s‘appuyant sur ses genoux. Puis elle se redressa, une détermination nouvelle sur son visage enfantin.

– Bon. On n’a qu’à casser le pavillon et l’exposer au grand jour. Comme ça,on verra ce que c'est.

– Quoi ? réagit Cornélia.

– Bah, le bâtiment est déjà flingué, de toute façon !

– Et si ça la fout en rogne et qu'on se fait tuer ? bougonna Cornélia.

Mais ils n'avaient guère le choix, et le temps pressait... Iroël hocha la tête.

– Attention aux tentacules. Il faut que ce soit toi, Blanche.

L’adolescente renfila son masque et s'attela au sale boulot. Fragment par fragment, les murs de grès se mirent à disparaître, au rythme effréné du raijū qui les détruisait. Les parois étaient déjà si abîmées qu’elles ne tenaient plus que par miracle.

Petit à petit, la bête mystérieuse apparut au grand jour, dans ses effluves de vieille mare boueuse.

Et il devint clair qu’il s’agissait… d’un escargot.

Un escargot de quatre ou cinq tonnes, qui ne mangeait certainement pas des feuilles de pissenlit au petit déjeuner.

– Un escargot géant avec des tentacules, maugréa Cornélia qui recula davantage. Génial. De mieux en mieux, la Strate.

Une main en visière, Iroël observait la peau noirâtre de la créature, qui semblait formée de milliers de cellules visqueuses. Pas de doute, c’était un escargot. Ou une limace, à la rigueur. Cornélia préférait vraiment les escargots.

– Je croyais qu’ils avaient disparus, dit enfin le jeune homme.

– Ah bon ? C’est quoi ?

Iroël se tourna vers elle. Il arborait un sourire aussi étincelant que son costume blanc.

– Un carcolh. Ils viennent de chez vous !

– Des vingt-quatre heures ? fit Cornélia avant de se rappeler que toutes les créatures venaient de là.

La Strate n’était qu’un monde artificiel créé pour servir de refuge, elle avait tendance à l’oublier. Un refuge qui prenait l’eau…

– Non. De la France.

Les sourcils de la jeune femme partirent à l’assaut de son front.

– Vraiment ?

– Oui, comme le matagot… ou comme Aegeus.

Au son de ce prénom, les tripes de Cornélia se resserrèrent pour former un gros nœud colérique.

– Les vouivres sont endémiques de France ?

Elle préférait encore croiser un escargot monstrueux au détour d’un chemin plutôt qu’un Aegeus qui mangeait des mains d’enfants en guise d’apéritif. Un bruit de fouet qui claque, puissant et vengeur, interrompit sa pensée. Elle sursauta, puis battit en retraite face aux tentacules du montre qui giflaient l’air dans tous les sens en espérant attraper la créature invisible qui le déshabillait.

Arrière ! Arrière ! exprima-t-il avec rage. Je vais te dévorer ! Recule ! Laisse-moi !

Les appendices étaient au nombre de quatre, et ils étaient en fait des sortes d’antennes. À présent, on distinguait son énorme tête d’escargot – pour Cornélia, elle était un parfait mélange de mignon et d’horreur. Ses babines, par translucidité, laissaient voir des rangées de dents acérées. En réalité, ce n’étaient pas vraiment des dents ; Cornélia savait que les escargots avaient une sorte de râpe surpuissante en guise de langue. L’organe pouvait déchirer et décoller toutes sortes de fibres. Vu la taille de l’engin, il aurait pu râper Cornélia jusqu’aux os, recracher son squelette et se nourrir du reste. Mais pour l’instant, le monstre semblait surtout terrorisé. Il essayait de se rétracter dans sa coquille, une sorte de machin gigantesque de la taille d’une grotte, hérissée de pointes noires – c’était ça qui avait transpercé le toit du pavillon. La tête levée vers lui, le nez pincé pour survivre à l’odeur, la jeune femme remarqua :

– Il a un problème avec sa coquille, non ?

Iroël plissa les yeux. Au sommet de l’énorme masse rocheuse, couverte de mousse, se trouvait un grand trou. Le carcolh l’avait rebouché par une sorte de pellicule blanchâtre, comme faisaient les escargots en cours de cicatrisation, mais des déchets l’avaient obstrué. Des boîtes de conserve ainsi qu’un sac plastique. Par derrière tout cela, on distinguait l’éclat rouge carmin d’un organe – un foie ? Un poumon ? – qui palpitait désespérément.

Blanche réapparut à cet instant, hors d’haleine, le visage rouge d’effort. Elle tenait à la main la dernière tuile arrachée à la coquille du carcolh.

– Tadaa ! Vite fait bien fait !

– Félicitations, tu es prête pour ouvrir ton entreprise de démolition, la congratula Cornélia. En attendant, tu peux aussi aller vider la poubelle là-haut, je crois qu’il en a besoin.

– J’ai vu !

La créature était entièrement rentrée dans sa coquille à présent ; elle avait même rebouché derrière elle en compactant ce qu’elle avait trouvé – des morceaux de mur, des miettes de pierre et des tuiles d’or. Les deux filles guettèrent un signe d’approbation d’Iroël. Celui-ci hocha la tête, sans quitter le monstre des yeux.

– Il y a peut-être autre chose. Mais le trou doit le faire beaucoup souffrir.

– Je m’en charge, lança Blanche en renfilant son masque dare-dare.

Là-haut, les déchets disparurent brusquement de la plaie. Mais l’intervention fut loin d’être chirurgicale et une partie du tissu cicatrisant fut arraché avec eux. Le carcolh, toujours retranché dans sa cachette, poussa un mugissement sourd qui fit trembler tout le palais.

Mal ! Mal ! Arrête !

– Blanche ! s’énerva l’aînée. Fais un peu attention !

La blondinette apparut un instant, perchée tout en haut de la coquille comme une petite grenouille.

– Désolée ! Mais tu crois que c’est facile ? J’ai vu d’autres trous de l’autre côté. La coquille est abimée de partout ! Je reviens !

L’un des tentacules jaillit d’un coup et tenta de l’écrabouiller comme une mouche, mais elle était déjà repartie dans un éclair doré.

Je vais te dévorer, exsuda la bête gigantesque, qui tremblait de fureur. Je vais te broyer !

Avant de pousser de nouveaux cris de douleur, dans des vibrations basses qui firent s’écrouler le couloir le plus proche et toutes ses colonnes dans une avalanche de pierres taillées. Près de Cornélia apparut soudain un tas de déchets couverts de vase et d’un peu de sang. L’odeur qui s’en dégageait était innommable. La jeune femme se boucha les narines pour contenir son envie de vomir ; Iroël, quant à lui, avait l’air dépourvu de sinus. Ou bien il avait juste des nerfs d’acier.

– Il y avait tout ça dans son corps ? marmonna-t-elle.

– Je confirme, lança Blanche, tout essoufflée, qui venait de réapparaître.

Elle plongea ses mains dans l’eau de la Strate et les frotta vigoureusement : elles étaient couvertes de mucus, de saleté et de sang.

– C’était vraiment dégueu, mais j’ai tout enlevé. Il va pouvoir cicatriser, maintenant ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Cornedor ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0