Interlude
Hello les filles ! Aujourd'hui, ça va saigner :D
-------
~ Interlude ~
Une semi-obscurité régnait sur la Strate. Les deux soleils, posés à chaque bout de l’horizon, avaient laissé un crépuscule rougeâtre voiler le ciel. C’était l’heure de la sieste. « Dodo », avaient dit les petits en se couchant les uns contre les autres. « Gros dodo. » Ils étaient épuisés par leur longue marche.
Lui s’était roulé en boule sur le camion. Ainsi, il avait les pattes au sec et surtout, une vue meilleure sur ce qui l’entourait. Le sommeil avait du mal à l’atteindre. Parce qu’il craignait trop la Strate, les immortels, les monstres… et tout ce qui rôdait aux alentours.
Il n’avait confiance qu’en elle. Une confiance aveugle. Mais elle n’était pas comme lui ; elle était bien trop puissante. Elle craignait rien ni personne et dormait donc d’un sommeil bienheureux. En cas de danger, elle ne les protégerait pas. On ne pouvait pas attendre d’elle qu’elle le fasse.
Il y avait bien ces humains qui les accompagnaient, qui étaient là pour leur sécurité à tous. Mais il ne les aimait pas beaucoup. Il y avait très peu d’humains qu’il aimait dans ce monde.
Au bout d’un long moment, ses craintes se diluèrent, chassées par la fatigue. Il finit par s’endormir sur son camion.
Ce fut un bruit qui le réveilla. Un bruit de pas. Tout près de lui, sur la carrosserie en métal.
Puis le contact de l’acier contre sa tempe. Froid comme la mort.
– Chhhht, glissa une voix à son oreille.
Tous ses poils se hérissèrent.
– Tout doux, le gros matou. T’as pas intérêt à bouger.
Il lui fallut une seconde pour reconnaître le canon d’une arme. La terreur déferla dans ses veines, anesthésiante comme une vague noire.
– Attends avant de le tuer, avait chuchota une autre voix au pied du camion. Le bruit va réveiller les autres, sinon.
– Attache-lui les pattes, ordonna quelqu’un.
– Et la carapace ? Elle vaut son poids en or.
– On la prendra après. J’ai déjà fait ça et crois-moi, pour scier un morceau pareil, il faut prévoir au moins une heure.
Ils étaient deux, non, trois à s’affairer autour de lui en chuchotant. Et toujours l’arme braquée sur sa tempe… Des cordes furent serrées brusquement autour de ses pattes ; des nœuds brutaux lui étranglèrent les nerfs et les muscles. Un couinement lui échappa. Il ne comprenait pas. Qu’était-il en train de se passer ? Ces humains… ils étaient là depuis le début. Ils étaient là pour les protéger, c’était leur raison d’être.
– Voilà, reste bien tranquille, lui dit celui qui tenait l’arme. On va s’occuper d’abord de tes petits copains. T’as pas intérêt à bouger, je te surveille.
Les autres sautèrent du camion ; il les entendit se réceptionner dans l’eau.
– Je me charge des bakus, murmura l’un d’eux.
– Ok, mais on partage. Deux défenses chacun, comme prévu. Essaie de te barrer avec nos parts et je t’abats.
Il comprit enfin ce qui se tramait. Trahison ! Un éclair de terreur le traversa de part en part.
– Je prends les hippalectryons, chuchota un autre.
– Les coulobres et les zonures ne valent rien. Ça fait chier de gaspiller des balles pour eux.
– Je m’en charge.
« Les humains sont cupides et traîtres, lui avait appris sa mère lorsqu’il n’était encore qu’un tout petit. Ne leur fais jamais confiance. Jamais ! Ils ont l’âme changeante et noire. »
C’était avant que les humains ne viennent la tuer. Avant qu’ils se mettent à découper sa carapace avec des scies à os, devant ses yeux.
– Vous, chargez-vous des hydres. Une balle dans chaque tête. Pas d’erreur, sinon on est tous morts.
Il les entendit s’approcher des petits et des familles, à pas de loup… Rien n’échappait à son ouïe précise, ni les respirations endormies des bébés, ni les ronflements des vieux bakus. Deux défenses chacun. Ces humains les considéraient déjà comme des pièces détachées. Il se débattit, mais les cordes lui cisaillèrent les chairs ; l’acier froid de l’arme s’enfonça dans son oreille, au plus près de son cerveau. La peur lui coupa la respiration.
– Tout doux, toi, murmura son gardien.
Il imagina le petit hippalectryon dormir tranquillement alors que les pistolets automatiques se braquaient sur lui, sur eux tous. La sueur l'inondait ; son pelage collait au métal du camion comme une gangue humide. Peut-être que certains zonures étaient réveillés ? Ils dormaient peu, comme lui, à cause de ce qui leur était arrivé chez Actéon.
Ou alors, ils avaient déjà été réduits à l'impuissance.
– T’as plus les deux petites meufs pour te protéger, hein ? lui souffla l’homme. Ça rigole plus, maintenant.
Mais Blanche et Cornélia n’auraient rien pu faire de toute façon. Elles étaient gentilles, mais c’était à peu près tout. Ce n’étaient pas des tarasques. Il avait vécu des choses terribles et elles ne l’avaient pas protégé.
Elles étaient gentilles, mais elles restaient des humaines. Comme celui qui lui braquait un pistolet sur la tempe. Comme ceux-là qui voulaient démembrer ses amis, après les avoir protégés pendant des mois. Les humains ne montraient pas leur vrai visage. Lorsqu’ils le faisaient, il était trop tard. On ne pouvait pas avoir confiance en eux.
– Maintenant !
Des coups de feu éclatèrent, crevant le silence de la Strate en mille échos brutaux. Ils passaient à l’acte ; ils tuaient ses amis, ses semblables. La fureur s’alluma au fond de son ventre comme une flamme soudaine. L’homme souffla dessus dans le savoir :
– On a chopé ta pote à longues oreilles. C’est un wolpy, pas vrai ? Tout se sait dans le convoi, mon pote. Absolument tout ! Un mordoir de fer et une cage en or, et c’était plié. Hop ! Quelqu’un devrait nous en donner un très bon prix. Orion, tu connais déjà, non ?
À la mention de ce nom, un éclat de douleur se planta dans son échine, comme la pointe d’une lance acérée ; ses nerfs hurlèrent quand un courant électrique le traversa. Il lui fallut une seconde pour comprendre que ce n’était pas réel. Ce n’était qu’une réminiscence. Mais la haine, elle, était bien là. Et dans ses tripes, la flamme de colère avait bondi d’un coup. C’était un incendie à présent, qui le brûlait tout entier.
Il avait subi tout cela chez Orion, mais pas elle.
PAS ELLE ! rugit-il en silence au milieu des coups de feu.
L’autre ne parlait pas la langue sans mots. Il ne vit pas venir sa mort. Elle fondit pourtant sur lui, sous la forme de deux mâchoires hérissées de crocs cauchemardesques. Son crâne se brisa comme une coquille d’œuf avant qu’il ait eu le temps d’appuyer sur la détente.
Pouet en recracha les morceaux. Il rugit de nouveau et cette fois, le son jaillit de sa gorge et de ses poumons, infusé de tant de rage qu’il sembla monter jusqu’aux cieux et ouvrir les nuages en deux.
On ne pouvait pas faire confiance aux humains. Ils étaient tous cupides et traîtres. Ils avaient l’âme changeante et noire.
Annotations
Versions