108 -

5 minutes de lecture

Hey ! (J'essaie de reprendre le rythme d'un épisode tous les 2 jours !) Peut-être que la transition qui mène à cette scène est trop rapide, vous me direz s'il vous manque quelque chose...

P.S. Suite à une discussion avec Ana, je ferai une modif dans les épisodes d'avant : quand les soeurs prétendent que Greg va se changer en monstre et dévorer les sujets de Bastet (comme le carcolh), je ferai en sorte qu'Argos appuie leur mensonge. (Peut-être sur un signe de son épouse, d'ailleurs.) Une façon de rajouter une facette à ces deux-là et préparer la suite... qui arrive maintenant !

***

– Es-tu bien sûre de ton choix ?

C’était la voix d’Argos.

Et pour la première fois, Cornélia n’y sentait nulle trace de cruauté, de cynisme ou de moquerie. Simplement de l’inquiétude. Et quelque chose de plus profond, de plus trouble.

Alors qu’ils retraversaient la place de Tianan’men, un petit détachement impérial était venu leur couper la route. Il s’agissait d’humains de grande taille, boursouflés de muscles, comme des taureaux d’élevage sélectionnés sur des générations. Ils avaient d’ailleurs l’œil vide et obéissant des bêtes de trait. Sur leurs épaules massives, ils portaient un grand palanquin qui brillait comme un trésor, tout en verreries transparentes bordées d’or. Et à l’intérieur se trouvaient deux grandes silhouettes. Argos et Io.

– Qu’est-ce qui se passe encore ? avait grogné Gaspard.

– Silence, avait intimé Aegeus. On ferme son clapet et on attend de voir.

Mais il était tout à fait calme. Cornélia en aurait mis sa main au feu : il savait ce qu’il était en train de se tramer.

Les hommes de trait s’étaient immobilisés dans un ensemble parfait. Ils étaient nus, attelés par paires, reliés par des anneaux de fer qui leur perçaient les narines. Argos était alors sorti du palanquin, splendide dans son manteau de plumes émeraude et saphir, une main tendue pour aider son épouse à descendre les marches d’or. Elle n’avait pas dit un mot. N’avait même pas regardé Aegeus ou les autres personnes présentes. Son regard sombre ne quittait pas celui d’Argos. Ils ne s’étaient pas changé depuis le banquet ; tous leurs bijoux et leurs étoffes précieuses scintillaient de mille feux.

– Es-tu sûre de ton choix ? répéta l’immortel de sa voix étrangement sérieuse.

Io ne baissa pas les yeux.

– Oui. Je le suis.

Cornélia comprit d’un coup. Elle se remémora le regard troublé d’Argos pendant le banquet. Ses coups d’œil anxieux dès qu’Aegeus abordait le dérèglement climatique.

– Tu sais que je ne viendrai pas avec toi, reprit Argos. Je ne quitterai pas la Strate. Jamais.

– Je le sais.

– Je n’ai pas ma place parmi les humains. Toi non plus, Io.

Les longs cils blancs de Io ne cillèrent pas.

– Je le sais.

Aegeus attendait en silence, imité par ses boyards. Ils n’étaient que figurants dans une scène qui ne les concernait pas.

– Ce sera très différent de mon palais. Tu auras faim et froid, sans doute. Es-tu sûre de ne pas vouloir emporter ton esclave ?

– Certaine.

Un silence s’étendit entre eux.

– Je te ferai porter tes malles, reprit doucement Argos. Elles seront acheminées au convoi, au plus tôt.

– Non.

Une once de confusion parut sur le visage d’Argos. Il était si facile à lire soudain !

– Non ? Mais Io… toutes tes tenues, tes gourmandises, tes bijoux et tes peluches…

Ses peluches ? Cornélia haussa les sourcils en imaginant la grande Io en train de jouer dans une chambre garnie de peluches.

– Je n’en veux pas, répliqua Io. Les gourmandises, oui. Je les accepte. Mais le reste, je te le laisse.

Argos semblait très démuni. Pour la première fois, la voix de son épouse faiblit. Elle perdit un peu de son assurance.

– Je ne veux pas disparaître complètement du palais, laisser toutes ces chambres vides derrière moi… Que feras-tu s’il ne te reste rien de moi ?

Elle effleura la grande joue d’Argos. Il ferma les yeux, prit sa main dans la sienne et blottit son visage à l’intérieur.

– Ma tendre Io…

– Moi, je garde ton diadème, chuchota son épouse. Je garde les ailes d’Argos, où que j’aille, et cette tenue que tu m’as offerte pour les grands soirs. Là où je vais, j’espère que chaque soir sera grand.

– Ils veulent me faire chialer ou quoi ? marmonna Gaspard.

Argos l’ignora superbement, mais dans les plis de sa cape de plumes, il serra le poing. Sans quitter les grands yeux de Io, il haussa le ton :

– Aegeus, je te confie mon trésor et ma vie, ma petite Io aux cornes de nacre. Pour prendre soin d’elle et entretenir ce convoi dont tu nous rebats les oreilles, je te ferai parvenir dix coffres remplis d’or et…

– Plutôt de l’eau ou de la nourriture, coupa Aegeus. De préférence.

Une inspiration excédée échappa à l’immortel.

– Quinze coffres remplis de viande et cinq autres coffres contenant les sucreries préférées d’Io. Ces dernières sont exclusivement réservées à son usage. Me suis-je bien fait comprendre ?

– Oui, ce sera suffisant, fit la vouivre d’un ton indolent.

De colère, des plumes d’un bleu iridescent se hérissèrent sur la tête d’Argos. Il siffla :

– Prends garde à toi, Aegeus. Jusqu’à ce que tu sortes de la Strate, j’aurai des oreilles partout, et dans ton convoi même…

Dans ton convoi même ? Blanche et Cornélia échangèrent un regard de pur effroi. Argos avait des espions parmi les nivées ?

Pire encore, Aegeus ne semblait pas surpris.

– Le contraire m’aurait étonné. Envoie-moi les coffres chez Orphée directement. Ce sera notre prochaine étape.

L’homme-paon se tourna vers Io.

– Prends ce palanquin, ordonna-t-il d'un ton de seigneur sans réplique. Tu ne marcheras pas aux côtés de ces va-nu-pieds.

Mais Io secoua la tête.

– Je marcherai comme les autres.

Le grand visage bleuté d'Argos se figea. Sur son plumage, les cent yeux inhumains clignèrent dans leurs ocelles. Toutes leurs pupilles se fixèrent sur Io.

– Io, ne m'oblige pas à...

– Il te reste tant de route pour rentrer chez nous. Je ne te priverai pas de ce palanquin. (Son expression restait douce et neutre.) Si tu me le donnes, je ne l'utiliserai pas. Je le laisserai rouiller ici, dans le sel et l'eau, et Bastet devra le faire enlever.

Un soupir excédé franchit les lèvres d'Argos.

– Au nom d'Héra...

Pour la première fois, un éclat de peur traversa les yeux de sa femme. Alors Argos laissa sa phrase s'éteindre dans le silence. À la place, il la contempla.

– Soit... Adieu donc, mon aimée.

Il saisit son visage avec délicatesse et déposa un baiser sur son front blanc, entre ses deux cornes ourlées d’or.

– Méfie-toi des dieux et de leurs mille caprices, mais surtout des hommes et de leur cupidité.

– Tu es le seul à être vrai, répondit-elle en baissant ses paupières maquillées de khôl. Le seul à m’avoir offert un refuge. Je ne l’oublierai pas.

Et ainsi, sans un mot de plus, ils se séparèrent.

Le palanquin de verre et d’or s’éloigna au rythme des grandes foulées des porteurs. Io le suivit des yeux jusqu’à ce qu’on n’en distingue plus qu’un scintillement lointain. Une larme discrète coulait le long de sa joue.

– Là où je vais, j’espère que chaque soir sera grand, répéta-t-elle dans un murmure.


Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Cornedor ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0