112 -

5 minutes de lecture

Bonsoir ! Désolée, j'ai pris du retard, j'étais en vacances... Aujourd'hui, on va enfin s'approcher du sujet qui vous tracasse, celui du convoi secondaire 8)

---------

– Pas avec moi, dit-elle doucement. Je l’ai élevé depuis son plus jeune âge ; mon époux me l’a offert un jour où des trafiquants sont tombés dans ses filets.

– Super pour vous, grommela Danaé, mais nous, on est tous en danger de mort, là !

Io l’ignora avec majesté :

– Ils avaient braconné les derniers wolpertingers de notre secteur… La mère était morte et les petits si jeunes ! Belphégor est le seul à avoir survécu.

Cornélia n’en revenait toujours pas. Si ce wolpertinger s’intégrait au convoi, Oupyre ne serait plus seule. Elle n’aurait plus à cacher sa nature pour frayer avec des jackalopes. Elle pourrait être elle-même avec ce nouveau compagnon… À moins que…

– Iroël, il va bouffer Oupyre d’après toi ? questionna-t-elle.

Il haussa les épaules.

– Oh, non. Plutôt l’inverse, à mon avis.

Elle se détendit. Tout allait bien, alors.

L’inverse ? répéta Blanche qui n’avait pas le même avis que sa sœur. Attends, quoi ?

– Io, vous ne pouvez pas garder cette créature, maugréa Aaron. Ces nivées-là, c’est trop dangereux. C’est pas vivable dans un convoi comme le nôtre !

Mais étant donné le prix exorbitant qu’Argos venait de payer, il ne pouvait pas vraiment le lui interdire, et Io le savait très bien. Elle serra fort la créature contre elle, sous les yeux ronds des boyards qui ne comprenaient pas pourquoi cette damnée bête se laissait faire comme une peluche.

– Je refuse de l’abandonner, il en est hors de question. Il ne saurait pas vivre en liberté ! Mon époux m’a fait ce dernier cadeau. Je dois honorer sa volonté.

– Il aurait pu vous faire un autre cadeau, sauf votre respect, grommela Elijah qui s’agrippait à sa mitraillette.

– Bah, fit Gaspard, si elle veut l’emmener… après tout…

Tous les regards se braquèrent sur lui. Il haussa les épaules.

– Non mais on a déjà un chapalu, une vouivre, un crocotta et un autre wolpy… Est-ce qu’on est vraiment à ça près ?

Les yeux d’Io scintillèrent. Les immenses oreilles de son wolpertinger s’orientèrent vers eux comme s’il les comprenait.

– Vous avez déjà un wolpertinger dans le convoi ?

– C’était censé être un secret, Gaspard ! renâcla Cornélia. Tu peux pas la fermer, des fois ?

– T’aurais pu la fermer aussi pour le crocotta, dit Aaron d’une voix sourde.

– Non mais c’est bon, tout le monde est au courant ! s’énerva Gaspard. Vous faites chier avec tous vos secrets, aussi ! Merde ! On est une équipe, non ?

Cornélia songea aux deux kumiho mangeuses d’hommes.

Si tu savais, Gaspard…

– Je ne partirai pas sans lui, répéta Io. Vous feriez mieux de me laisser ici.

– Si on fait ça, votre époux de mon cul va venir nous donner la chasse et nous écorcher vifs, rétorqua Mitaine. Non, j’pense qu’on va devoir vous garder, vous et le wolpy.

– Mais s’ils se reproduisent ? grimaça Danaé en plissant ses yeux de chèvre. On va se retrouver avec une portée de lapins carnivores dans le convoi ?

Une ombre passa sur le visage d’Iroël.

– S’ils se reproduisent…

– On leur donnera le biberon, et voilà, dit Beyaz. (Tout le monde se tourna vers lui, mais il ne plaisantait pas.) Bah quoi ?

– Taisez-vous !

Aaron se pinçait le haut du nez, dans un geste exaspéré qu’ils connaissaient tous par cœur. Blanche imita son geste à la perfection, puis articula en silence les mots qui allaient suivre :

– Vous me faites tous chier, c’est pas possible ! (Il épingla la blondinette du regard.) Je t’ai vue, la naine !

– Allez, embraya Blanche. On le prend, on a compris. Bon, moi, je vais reprendre ma ronde. Il faut qu’on retrouve vite Oupyre ! Je veux voir sa rencontre avec Belphégor ! Hors de question qu’ils se battent, par contre, je vous le dis tout de suite !

– Attends, il a pas encore dit qu’on le prenait, rétorqua Elijah.

Blanche enfilait déjà son masque. Avant que ses yeux ne soient ombrés par la face dorée du raijū, ils croisèrent ceux d’Aaron.

– Mais si, il l’a dit. À sa façon.

Elle disparut dans un souffle crépitant d’électricité qui dressa leurs cheveux sur leurs nuques. En silence, les boyards se tournèrent vers leur supérieur, attendant confirmation. Il leva les yeux au ciel.

– On le prend. On n’a pas le choix.

***

Dormir à Djibouti n'était pas une mince affaire. Le khamsin sifflait dans les moindres interstices de la carrosserie du Berliet, comme une chorale de spectres glissants et chuintants ; et dans la chaleur qui pesait sur la ville, la remorque pleine de hamacs se changeait en étuve. L'odeur lourde de la sueur planait sur tous les corps endormis. Pour réussir à fermer l'œil, Cornélia devait essayer de se plonger dans un état proche de la méditation, et surtout ignorer les gouttes de sueur qui roulaient le long de son corps. Elle ne dormait jamais bien longtemps. C'était plutôt un enchaînement de siestes qui l'entortillaient dans son hamac et lui laissaient la bouche pâteuse.

Cette sieste-là fut troublée par deux choses. Deux bestioles, évidemment. La première était Greg, sans surprise, qui s’était couché sur ses jambes et menaçait de lui briser les genoux.

La seconde fut plus inhabituelle. De petits bruits suspects se faisaient entendre sous son hamac. Lorsqu’elle se pencha au péril de son équilibre, elle se trouva nez à nez avec un conciliabule de… squonks.

– Quoi ? sursauta-t-elle, à moitié réveillée. Mais vous étiez là, vous ?

À cet instant seulement, elle réalisa que lorsque le convoi s’était séparé en deux, personne n’avait songé aux squonks. Même Blanche, trop anxieuse pour Pouet, n’avait pas pensé à eux. Ils étaient si timides ! On ne les voyait jamais. Devant leurs petits corps mous et pleins de plis, si fragiles, elle sentit un nœud de culpabilité lui serrer l’estomac. Ils la dévisageaient, silencieux, pétrifiés par la peur d’avoir été découverts. Ils auraient tous pu mourir, rajeunis jusqu’au stade d’embryon ou tués par un quelconque prédateur, sans que personne ne s’en rende compte…

– Vous étiez là, répéta Cornélia dans un souffle.

Mais ils avaient survécu. Cachés dans l’obscurité du Berliet, ils avaient pris place dans ce microcosme niché entre les hamacs, auquel les boyards ne prêtaient plus attention, mais qui les suivait partout : Greg, les chats-vipères d’Aegeus… et Aegeus lui-même, qui en faisait partie aussi, à présent.

Dès que Cornélia bougea, le charme fut brisé net. Les squonks filèrent se terrer dans l’obscurité. Mais elle les avait vus se regrouper en cercle, tenir leurs petites pattes de souris et communiquer à leur façon. Ils n’étaient plus isolés ; ils avaient fondé le club des squonks anonymes. Cette idée la fit sourire.

Son sourire s’effaça lorsque la voix de Blanche, sourde et pâle comme son prénom, s’éleva dans l’obscurité.

– Cornélia… Je les ai trouvés…

Sa sœur apparut, debout à côté d’elle, son masque à la main. Elle n’était guère plus qu’une silhouette dans la pénombre. Un mauvais pressentiment s’enroula dans la poitrine de Cornélia, rendant son souffle lourd.

– Qui ça ? chuchota-t-elle.

Elle redouta la réponse. Dans un sanglot à peine retenu, la cadette lui montra un petit objet qui roulait dans sa paume.

– Pouet et Oupyre… J’ai retrouvé leur trace…

C’était une balle dorée qui brillait dans la pénombre. Calibre neuf millimètres, comme celles qu’utilisaient les boyards pour leurs Sig Sauer. Elle était couverte d’un sang séché presque noir.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Cornedor ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0