Réécriture - 2

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Le dernier ange s’effondra. Tous gisaient là, dans le salon, dans une mêlée de plumes sales et de corps marbrés de cicatrices. Eux aussi avaient été maltraités par leur maître. Eux aussi n’étaient que des bêtes à dresser, de la chair à pâtée dont personne ne se souciait. Cornélia croisa les yeux de l’un d’eux, déjà presque mort. Elle vomit une flaque de bile sur ses chaussures.

L’archange inclina la tête.

– Fini de jouer.

D’une main puissante, il attrapa le chambranle de la porte et le démolit sur tout un côté. Le fracas fit sursauter Blanche, qui était toute proche. Elle rampa le long du mur, pleurant de terreur, et vint se réfugier contre Cornélia. Leurs cœurs battaient à tout rompre. Cornélia pouvait entendre leurs coups sourds même sans son masque de tzitzimitl. L’archange replia ses ailes autour de lui et, revêtu de cet habit de plumes diamantines, réussit à se glisser dans l’ouverture. Il pénétra dans le salon, foula les ailes de sa meute morte. Il marchait sur leurs corps sans état d’âme, faisant craquer leurs os.

– Quel contretemps fâcheux. Je vais devoir vous briser les jambes moi-même.

La peur au ventre, Cornélia réalisa à ce moment-là qu'il n'avait pas de marque sur le bras. Cet être n'avait pas de tabou comme les autres archanges, qui leur empêchait de faire du mal aux humains. Il était libre de faire d'eux absolument tout ce qu'il désirait. Il avisa Blanche, recroquevillée sur elle-même, qui ressemblait au raijū coincé dans sa cage minuscule. Sa face de lion était noble et inexpressive, dépourvue de la moindre trace d’émotion.

– Ainsi, je vous mettrai en cage plus facilement ; et quand Orion renaîtra, il vous aura à sa disposition.

Ces mots se plantèrent jusque dans la colonne vertébrale de Cornélia. Elle grelotta de terreur en le voyant s'approcher d'elles.

– Cornélia ! Blanche ! hurla Aaron.

Il voulut mitrailler la créature, mais le cliquetis de son chargeur vide résonna dans le silence. Le désespoir apparut sur son visage. L’archange se tourna vers lui, avant de tressaillir lorsque trois balles de Beyaz se plantèrent le long de son torse.

– C’est quoi ça, putain ? tonna Aaron. Vise la tête !

– J’suis pas tireur d’élite, moi !

Alors que Beyaz visait de nouveau, un crépitement mortel émana de l’archange. Un éclair aveuglant détonna dans le salon et fusa droit dans la direction du soldat ; mais il ne l’atteignit jamais. Il traversa à la place, la petite silhouette blanche qui s’était jetée devant lui pour faire barrière.

– Non !

Pour la première fois, une émotion passa dans le regard si dur de Beyaz. La licorne convulsait à ses pieds ; Cornélia crut voir une légère vapeur émaner de son pelage d’ivoire.

Et pourtant, elle parvint à se relever.

Secouée de tremblements, elle se hissa sur ses jambes et prit la posture d'un taureau prêt à charger, sa longue corne pointée vers l’archange. Ses crins partiellement brûlés commençaient à se racornir sur sa nuque.

Viens, éructa-t-elle dans le bruit de ses naseaux qui aspiraient l’air. Viens là. Viens te battre.

Un intérêt presque curieux apparut sur les quatre figures de l’archange. Il regarda la licorne bondir sur ses sabots légers et virevolter autour de lui comme une tornade blanche, ses dents aigües prêtes à lui arracher un membre. Il esquiva ses attaques l’une après l’autre.

– Ainsi, c’est de cette façon que vous avez triomphé d'Orion... (Il referma une main sur les épis hirsutes de la licorne et la traîna sèchement vers lui.) Je le lui avais dit. À trop vouloir créer des monstres, on finit toujours par se faire mordre.

La licorne se débattit follement. Ses yeux exorbités se levèrent vers son bourreau ; dans son regard passèrent les spectres de tout ce que lui avait fait subir Orion.

Puis une balle vint se ficher dans la main de l’archange, le forçant à lâcher sa proie. La licorne tituba, réussit à reprendre son équilibre. Un éclair de rage passa dans ses yeux d’or. Elle s’ébroua comme un chien enragé, prête à bondir de nouveau.

Viens là, fulmina-t-elle avec une expression démente. Viens te battre !

– Va-t-en, idiote ! lui cria Beyaz en mitraillant l’archange pour le faire reculer. Dégage de là !

Mais elle n’écoutait rien. Alors Beyaz lui tira dessus. Il tira droit dans l’articulation de son jarret, pulvérisant ses os fragiles en une bouillie sanglante.

Reste en dehors de ça ! hurla-t-il.

La licorne s’effondra, sa jambe pliée dans un angle qui fit mal à Cornélia. Elle se débattit sans comprendre, aggravant encore sa blessure, et poussa un cri de douleur strident qui sembla presque humain. Cornélia vit l’effroi passer dans les yeux de Beyaz, comme si ce cri-là ébranlait toutes ses convictions. Avant qu’il puisse reprendre contenance, une silhouette se précipita devant lui. Elijah. Le visage durci par la concentration, les mains serrées autour de son pistolet mitrailleur. Sa première balle frôla la gorge de l’archange. La deuxième rasa le sommet de sa tête.

– Fait chier ! siffla le soldat en tirant de nouveau.

L’archange frissonna lorsqu'un tir l'atteignit à l’épaule. Il fit un pas en avant, puis un deuxième, enjambant la licorne qui se tordait sur le sol. Il attrapa Elijah par la gorge. Celui-ci lui planta le canon de son arme sous la mâchoire, s’apprêta à tirer…

Trop tard.

L’archange venait de lui briser les cervicales.

Blanche poussa un cri lorsque le corps du boyard glissa au sol. Ses yeux grands ouverts fixaient le mur ; ils étaient déjà fixes et ternes, semblables à ceux d’une poupée.

L’archange tendit une main vers les deux sœurs. Cornélia se hérissa comme l’aurait fait la tzitzimitl. Elle montra les dents et feula, prête à mordre de toutes ses forces. Une balle siffla tout près de l'archange et arracha son oreille, manquant sa tempe de peu ; une vive douleur lui déforma le visage. Il se tourna vers Beyaz et, par ce geste, scella son destin.

Il ne vit pas sa mort venir de la direction opposée.

Il ne vit pas le mur exploser dans son dos, dans un fracas de béton et de plâtre.

Pouet.

L’archange mit un dixième de secondes à réagir. Ce fut suffisant pour que la tarasque traverse le salon d’un bond et se jette sur lui, mâchoires en avant. Elle lui arracha la tête avec la facilité d’un enfant qui croque dans un biscuit.

Lorsqu’elle la recracha, elle était encore entière

Elle roula sur les tapis ensanglantés, dévoilant tour à tour ses quatre visages aux yeux écarquillés. Le corps de l’archange s’effondra. Puis, progressivement, la lumière qui émanait de lui se mit à faiblir. Bientôt, il ne fut plus qu’un cadavre comme un autre, étrangement semblable à ceux des anges sur lesquels il avait régné.

Le silence s’étendit dans la maison.

– Pouet ! sanglota Blanche.

– Pouet, murmura Cornélia.

Elle réussit à se lever, mais lorsqu’elle fit un pas vers lui, il se roula en boule. Alors elle s’obligea à ne pas approcher davantage. Il avait plaqué son visage contre le sol et haletait lourdement. Cornélia réalisa qu’il tremblait de terreur. Elle se laissa tomber sur le sol, les jambes coupées.

Pouet était une machine à tuer.

Pouet avait réussi à braver sa peur pour les sauver. Il était venu à leur aide. Et sans lui…

– Punaise, laissa échapper Aaron.

Comme Cornélia, il se laissa glisser lentement au sol, les mains encore serrées sur son arme déchargée. Ses jointures étaient blanches. Une tête dépassa derrière le canapé : celle de Gaspard. Bientôt rejointe par celle de Mitaine.

– C’est fini ? risqua la dryade.

Aaron lui répondit sans la regarder, comme s’il n’avait même plus assez de force pour tourner la tête.

– Vous deux… vous pouvez faire une croix sur votre salaire. Si Aegeus était là, il vous aurait déjà pendus dans un coin.

Lorsque deux longues oreilles apparurent dans le trou béant du mur, personne ne réagit.

Oh ? fit Oupyre en gambadant à l’intérieur. Passé quoi ? (Elle renifla le pied de l’archange immobile.) Mort.

Elle sauta au-dessus d’un ange, puis d’un deuxième, avant de pousser du nez la chaussure de Cornélia, l’air de se demander pourquoi celle-ci était livide et ne bougeait pas.

Bagarre, déduisit-elle.

– Oui, Oupyre, dit Cornélia d’une voix atone. Bagarre.

La hase se rengorgea, fière d’avoir tout compris. Puis elle alla visiter le reste du salon, laissant de petites empreintes ensanglantées dans son sillage.

Elle ne remarqua pas l’étrange serpent ailé qui s’en allait sur le perron. Personne ne le vit sinuer au bas des marches de béton, puis disparaître dans l’immensité de la Strate.

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