Réécriture - 6

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– C’est bon, fermez-la, on connaît la chanson, siffla Mitaine en épaulant Bibiche.

Sa balle se planta directement dans la gueule d’un des monstres, mais il vacilla à peine. Ce fut la kitsune qui le faucha définitivement. Elle le secoua dans sa gueule de renard, puis jeta son corps inerte au loin et attaqua un deuxième séraphin, son échine dorée toute hérissée.

– Beyaz ! Gaspard ! Danaé ! cria Aaron. En garde !

Ils obéirent. Iroël se joignit à l’effort de guerre et bientôt, les balles sifflèrent et s’entrecroisèrent dans un vacarme continu. Cornélia attrapa sa sœur et la plaqua au sol.

– Reste là, Blanche !

Puis elle agrippa son masque de toutes ses forces. Son regard plongea dans ses orbites vides, terrifiantes et magnifiques.

Je ne veux plus être inutile. Je ne veux plus être un mouton à garder…

Un cri de douleur résonna entre deux impacts de balle. C’était la voix de Beyaz. Si même lui criait ainsi… Cornélia ferma les paupières.

« Je ne sais pas me battre ! » avait-elle hurlé dans cette maudite ménagerie.

« Bien sûr que si ! Il t’a appris ! »

Dans ses oreilles crépitait un bruit bien connu. Celui de la lance d'Orion.

« Attaque ! Allez, attaque ! Dépêche-toi, idiote ! »

Cornélia se mit à trembler de tout son corps. Un nouveau cri résonna. Il provenait de Gaspard.

– Cornélia ! gémit Blanche recroquevillée au sol.

La voix d’Iroël se fraya un chemin parmi toutes les autres.

« C’est à toi de lutter, maintenant. À toi de choisir ce que tu vas devenir. »

Cornélia prit une inspiration saccadée, puis elle fit son choix. Elle enfila son masque. Le sang étoilé de la tzitzimitl se déversa dans ses veines, rugissant sa colère et sa sauvagerie. Mordre, éviscérer, déchiqueter. Protéger. Elle abattit toutes ses barrières. Elle laissa cet instinct prendre le dessus. Cet instinct malsain, forgé par Orion. Cet instinct qui pouvait lui sauver la vie.

Tout va bien, ronronna la part de son esprit qui était resté tzitzimitl. Le maître n’est plus là. Maintenant, on est libre. Maintenant, on peut danser.

Alors elle se jeta dans la mêlée et se mit à danser.

***

Ce n’est que bien après, lorsque tous les séraphins furent morts, lorsque Cornélia put enfin reprendre son souffle, haletant sur le cadavre de sa dernière proie, qu’elle put lever les yeux sur ses coéquipiers et prendre le temps de les observer. De les observer vraiment.

Ils étaient tous tachés de sang, mais un immense soulagement l'envahit quand elle vit que ce n'étaient que des blessures superficielles. Puis une subite prise de conscience la heurta. Si Beyaz n'avait pas été blessé, pourquoi avait-il poussé ce cri terrible, le seul qu’elle ait jamais entendu de sa bouche ?

– C’est ma faute.

Le grand soldat était agenouillé dans l’eau. Mitaine avait posé une main douce sur son épaule. Quand la tzitzimitl s’approcha, elle comprit la raison de son cri.

– C’est ma faute…

Cornélia s’assit près de lui. Il avait les mains posées sur le pelage de la licorne, maculé de sang. Ses pattes tressautaient frénétiquement alors qu’elle se battait contre la mort. Tout un côté de sa cage thoracique avait été enfoncé. La blessure, ignoble, frappa Cornélia dans toute son horreur. En silence, Gaspard les rejoignit, puis Danaé et Blanche. Si la licorne avait été tuée dans le feu de l’action, comme Elijah, il aurait été plus simple de faire comme si rien ne s’était passé. Mais elle était là, à l’agonie...

Mal, sanglotait-elle en bavant une écume sanglante. Mal…

– Fallait pas y aller ! Bestiasse ! la gronda Beyaz. Pas avec une patte en moins ! J’aurais dû t’empêcher… stupide bestiole !

– Tu pouvais pas avoir des yeux partout, marmonna Mitaine. T’étais déjà bien occupé.

Une grosse larme de douleur roula sur la joue de la licorne. Elle sifflait en essayant d'aspirer de l'air ; deux blessures aigües et profondes s’ouvraient entre ses côtes. Cornélia reconnut la marque de deux crochets de cobra. Beyaz toucha son cou, comme s’il espérait l’aider. Il ferma les yeux un instant.

– C’est moi qu’ait tiré dans sa putain de jambe ! Pour l’empêcher de se faire buter ! Et voilà comment ça se termine. Mais quel con ! Elle aurait pu esquiver. Elle aurait pu s’enfuir à temps… si j'avais pas...

Il détourna la tête. Cornélia se demanda s’il pleurait ; si sa fureur était un moyen de sauver les apparences. Deux vilaines estafilades lui barraient la tempe. Ses cheveux poissaient de sang et tout un côté de son visage était écarlate. Noyée dans tout ce rouge, son expression était illisible. Aaron s’approcha à son tour.

– Les gars, il faut bouger. On peut pas rester ici.

Blanche lui lança un regard meurtrier.

– Attends un peu !

Mais Beyaz se redressait déjà. Il prit une seconde pour recomposer son visage habituel, enfermant ses émotions à double-tour sous son regard d'acier et toutes ses cicatrices. Puis il dit lentement :

– De toute façon, elle aurait jamais pu remarcher. C’est bien ça que tu disais, Danaé ?

La faunesse hésita. Elle ne répondit pas. Alors le grand soldat conclut :

– Elle était déjà morte. Je l’ai tuée.

La licorne redressa le cou dans un geste douloureux. Ses yeux d’or, déjà troubles, cherchèrent la silhouette de Beyaz. Aaron dit lentement :

– Prends-la avec toi si tu veux. De toute façon…

De toute façon, elle ne va pas durer bien longtemps.

Derrière eux, les nivées s’approchaient doucement. Pouet posa ses yeux doux sur la licorne, puis sur Beyaz. Il baissa la tête. Était-il honteux d’avoir fui – et de s’être caché pendant la bagarre ?

Tu as bien fait, lui dit Cornélia. Si tu… Blanche et moi n’aurions pas supporté…

Elle ne parvenait pas à mettre de l’ordre dans ses pensées, mais peut-être avait-il compris quand même. Elles n’auraient pas supporté de le voir là, étendu dans l’eau, à la place de la licorne.

– J’vais pas la prendre, dit Beyaz. Ça sert à rien. C’est un poids mort. Depuis le début.

Il se détourna. La licorne cligna ses cils blancs quand elle se trouva hors de son ombre, exposée aux soleils brûlants.

– Tu vas pas la laisser là ! réagit Blanche. Elle mérite au moins…

Les mots moururent sur ses lèvres. Elle regarda Beyaz armer son pistolet mitrailleur. Lorsqu’il visa soigneusement, elle ne comprit pas tout de suite, comme si son cerveau n’arrivait plus à fonctionner.

La détonation, terrible, les fit tous sursauter.

La licorne s’immobilisa dans un dernier spasme, la tempe percée d’un petit trou rouge.

– Voilà, dit Beyaz. Problème réglé.

Blanche ne songea pas à essuyer les larmes qui coulaient sur ses joues. Ce fut Cornélia qui vint l'aider à se lever, puis la poussa à avancer. Aaron prit la tête du groupe. Ils se remirent tous en route, abandonnant une petite forme blanche derrière eux, seule dans le silence de la Strate.

Beyaz ne se retourna pas.

Par la suite, il ne redit jamais un mot de cet épisode ni de cette créature. Comme s'il avait laissé tous ses souvenirs à cet endroit précis, dans l'eau saumâtre mêlée de sang, pour qu'ils pourrissent le plus loin possible de lui.

***

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