Réécriture - 8
Heyyy ! On arrive à mon moment préféré de cette réécriture ! J'espre que vous l'aimerez aussi :D
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– Il avait pas de corps, donc il est enterré nulle part, grommela Aaron. Mais ils ont décidé de lui construire ce jardin. C’est une copie du vrai. (Sa voix baissa.) Mais en mal fait, et en beaucoup plus dangereux.
Les oreilles de Danaé battirent l’air avec nervosité, chassant les moustiques qui les harcelaient.
– Super, alors on le contourne, hein ! On est tous d’accord ?
Un sourire cynique retroussa les lèvres d’Aaron.
– On peut pas. Il est gigantesque, et j’te rappelle qu’on a plus rien à bouffer.
Danaé se mordilla un ongle.
– Je peux aller nous chercher des rations, lança Cornélia. Je peux faire des allers-retours entre le convoi et nous.
Aaron leva les yeux au ciel.
– Et tu feras ça pendant trois semaines supplémentaires ? Et tu transporteras aussi des carcasses entières pour nourrir les nivées qui nous accompagnent ? On a une hydre à nourrir, un éale, un zonure et une tarasque. C’est du gaspillage de ressources. Faut qu’on traverse ce putain de jardin ! Si on coupe droit vers le nord, on en a pour cinq heures à tout casser.
Cornélia serra les dents. On en revenait toujours à ce maudit problème de ressources. Aaron avait raison. Aegeus avait la mainmise sur les réserves du convoi, et il n’accepterait jamais de leur en prêter autant pour une stupide détour.
Des carnivores et des herbivores entassés ensemble, se répéta-t-elle. Qui doivent réussir à cohabiter ensemble. Qui doivent être nourris à leur faim.
– On doit s’attendre à quoi ? demanda Mitaine.
Aaron leur fit signe de s’armer et d’avancer.
– Peut-être à rien du tout. L’essentiel, c’est d’être discrets. Les créatures les plus dangereuses sont censées être endormies depuis des siècles, ou scellées dans des formes de contention.
– Comme les roues ? fit Gaspard en haussant les sourcils. Ou les serpents ?
– Ouais.
Tout le monde observa le même silence dubitatif. Beyaz, lui, vérifiait tranquillement le chargeur de son arme.
– Bon, finit-il par dire. On y va ?
Il ouvrit la marche, fort d’une détermination inébranlable. Les autres finirent par lui emboîter le pas. Gaspard, le visage étrangement sérieux, fit signe à Mitaine de rester derrière lui. Bien sûr, elle n’en fit rien et se paya le luxe de lever les yeux au ciel.
– Je vais me transformer. Ce sera plus sûr pour tout le monde.
En un instant, elle se mua en un énorme serpent de pierre, strié de cristaux et de pierres précieuses. Cornélia, elle, avait déjà revêtu sa peau de tzitzimitl et s’apprêtait à s’élancer dans le ciel.
– Essaie de te servir de tes yeux, cette fois ! lui jeta Aaron alors qu’elle disparaissait.
***
Cornélia fit de son mieux pour lui obéir, et tâcha de ne rien manquer en survolant ce fameux jardin. De jardin, en fait, il n’avait guère que le nom. Il évoquait plutôt un cimetière.
Il s’étendait à perte de vue dans les avenues de Sydney, formant un labyrinthe de structures métalliques déformées qui se dressaient vers le ciel. Cornélia finit par comprendre que ces structures symbolisaient des arbres. Ils avaient été assemblés à partir de poteaux électriques, de débris d’immeubles et de carcasses de voiture. Certains « arbres » portaient des centaines de miroirs ronds, qui lançaient des rayons de lumière entrecroisés dans les rues.
Des fruits, se dit Cornélia. Ça doit représenter des fruits.
D’autres arbres, gigantesques, étiraient leurs branches de métal au niveau des immeubles et portaient des roues de voiture en guise de fruits. C’était d’une tristesse à pleurer. Tous ses sens en alerte, Cornélia filait dans cette jungle d’acier sans jamais s’arrêter. Mais elle ne trouva rien de vivant. Mis à part le vent qui sifflait dans les « branches » et les faisaient osciller, rien ne bougeait dans ce labyrinthe. Sauf leur petit groupe, bien sûr. De loin, elle repéra la grosse silhouette de Mitaine qui sinuait entre les structures. Dans cet endroit, le grootslang ressemblait à une vipère qui se glisse dans un champ d’orties : souple et déterminé, parfaitement adapté à son milieu.
En allant quadriller le côté est, Cornélia repéra une sorte de clairière étrange, au centre de laquelle se dressait un arbre unique. Son « tronc » pourrissait de rouille jusque sur le sol. Même l’eau de la Strate avait viré au brun. Cornélia finit par se rendre compte que sous cette eau, la surface de la clairière était jonchée d’os et de cages thoraciques.
Charmant.
L’endroit sentait le fer à plein nez ; l’odorat sensible de la tzitzimitl le ressentait comme un bain de sang. Autour de l’arbre, sept roues d’or semblaient monter la garde, à moitié enfoncées dans le sol.
Des chérubins endormis. Et cet arbre sur lequel ils veillent… est-ce que c’est l’Arbre de la connaissance ? Celui par lequel Adam et Êve ont fauté ?
L’arbre ne semblait porter aucun fruit. Un oubli ? Ou une façon de rappeler que le seul fruit qui importait vraiment avait déjà été mangé ?
Dans tous les cas, Cornélia n’avait pas franchement envie de traîner dans les parages. Elle allait devoir guider le groupe pour qu’ils évitent cet endroit.
Mais alors qu’elle faisait demi-tour pour les rejoindre, un grand fracas résonna au loin. Accompagné des cris de ses coéquipiers.
***
Blanche les avait aperçus en premier. D’étranges feux follets qui vagabondaient lentement dans le jardin. Leur halo se reflétait sur les faux buissons hérissés d’aiguille et sur les vitrines muettes des magasins. Ils n’avaient pas l’air agressifs. D’ailleurs, leur vue ne l’effraya pas. Dès qu’elle les vit, elle sentit que c’était la mélancolie qui les animait. On aurait dit des spectres ou des âmes en peine.
– C’est quoi, ça ? chuchota-t-elle.
Dans le silence tendu qui régnait entre eux, on entendait seulement le bruit de leurs pas qui foulaient l’eau. Blanche avait la main posée sur le flanc de Pouet ; son pelage lui semblait moite à cause de l’humidité ambiante. Aaron s’arrêta brièvement, jeta un coup d’œil vers les feux follets. Il se détendit un peu en les apercevant.
– Rien du tout. C’est juste des vertus. Ils étaient au niveau des archanges dans la hiérarchie, mais ils sont pas dangereux. Ils sont que paix et amour, blablabla.
Pourquoi fallait-il que ce soit lui qui réponde ? Ils n’avaient pas échangé un mot depuis l’affaire du balcon. Depuis le baiser. Depuis la catastrophe. Blanche aurait dû se tourner plus clairement vers Gaspard, à côté d’elle, pour faire comprendre à qui elle voulait parler – et à qui elle ne voulait surtout pas parler.
Aaron s’écarta d’elle, comme s’il venait de capter ses pensées.
– Allez, va plus vite, la houspilla-t-il. Ils vont pas sonner l’alerte, vu qu’ils ont pas de voix, mais il y en a peut-être dans le coin qui sont moins sympa.
– Les pauvres… murmura Blanche.
Cette fois, elle se tourna franchement vers Gaspard.
– Eux aussi, c’est leur forme de contention ? Est-ce qu’on risque de les réveiller ou de les énerver comme les séraphins ?
Ils louvoyèrent entre d’immenses « arbres » torturés. Des câbles pendaient jusqu’au sol comme autant de lianes, formant des rideaux qui leur cachaient la vue.
– J’sais pas, fit Gaspard. Demande à Iroël, c’est lui l’expert.
À deux mètres sur leur gauche, Iroël haussa une épaule, visiblement pas décidé à répondre. Blanche les maudit tous les deux jusqu’au fond des os.
– Nan, lança la voix d’Aaron devant elle. Eux, ils ont toujours été comme ça. Il paraît qu’avant, ils pouvaient prendre forme humaine quand ils allaient sur Terre, mais maintenant, ils sont coincés ici.
Blanche jetait des coups d’œil à gauche et à droite, essayant de repérer les vertus. Ceux-ci avaient l’air intrigués par leur groupe. Sur leur passage, ils s’arrêtaient, avant de les suivre tout doucement. Ils ne produisaient aucun bruit en se déplaçant ; ils flottaient simplement au-dessus de l’eau. Lorsque Blanche écarta un rideau de câbles et se retrouva nez à nez avec l’un d’eux, elle se figea. L’esprit angélique ne bougea pas non plus. Alors, tout doucement, elle se pencha vers lui et tendit une main vers sa lumière. Ses doigts passèrent au travers. Ce n’était pas chaud. Ce n’était rien. C’était comme une ombre… mais une ombre faite de lumière.
– Bonjour, chuchota-t-elle.
Un remous parcourut le vertu – ou la vertu ? Était-il surpris ? Pouvait-il seulement l’entendre ? Son halo pâle se reflétait dans les prunelles de Pouet, qui le fixait avec curiosité. Lui aussi sentait qu’il n’y avait pas de danger. En fixant le centre du halo, Blanche crut discerner une forme effacée. Peut-être un visage… Ou plutôt une vague impression de visage. Elle pouvait lui donner la forme qu’elle voulait.
– Blanche ! râla Aaron en faisait irruption près d’elle.
Elle sursauta de frayeur ; le vertu disparut dans une étincelle.
– T’es chiant ! s’énerva-t-elle. J’étais presque en train d’établir la communication !
– Pourquoi on voudrait communiquer avec ces trucs-là ? De toute façon, ils sont à moitié morts !
Ils mirent plusieurs secondes à réaliser que tous les vertus des alentours avaient disparu. Avaient-ils été effrayés par leur éclat de voix ?
– Avancez, les jeunes, gronda la voix de Beyaz derrière eux.
Une nappe de brouillard commençait à monter du sol. À chaque pas, des lambeaux de brume tournoyaient autour de leurs chevilles. Ils continuèrent d'avancer, dans un silence de plus en plus lourd. Quand une ombre énorme émergea de la brume près de Blanche, elle faillit faire une crise cardiaque ; puis elle reconnut la Mouche. L’air placide, l’éale faisait grincer ses molaires sans cesser d’avancer. Cet endroit sinistre ne l’effrayait pas.
Bientôt, Blanche se prit les pieds dans absolument toutes les aspérités du sol. Des câbles qui serpentaient, des bouts de métal qui traînaient ; tout était vicieusement camouflé par la brume. Tous les sons lui semblaient assourdis. C’était comme si elle évoluait dans un autre univers. D’une main, elle se cramponnait à la crinière de Pouet. Il la poussait du bout du nez lorsqu’elle ralentissait trop. Bientôt, un point de côté lui transperça le flanc gauche
– Pause, finit-elle par haleter. Par pitié, j’ai juste besoin d’une minute de pause.
Elle s’appuya contre un « tronc » formé d’un morceau de charpente métallique enrobé de câbles d’acier. Il était glacial sous sa main, comme tout ce qui l’entourait. Elle sentit vaguement les autres membres du groupe s’arrêter près d’elle.
– On sait où on va, au moins ? souffla-t-elle. Et elle est où, Cornélia ?
– On monte droit vers le nord, répondit la voix assourdie d’Aaron. Et j’imagine qu’elle a pas encore vu de danger. C’est bon signe qu’elle soit pas là.
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