Chapitre 3 : L'ange déchu
Adam pénétra dans l’église tel un ange déchu. Sa seule présence illumina l’obscurité de l’édifice. Un halo de lumière émanait de lui. Il capta tant mon attention que j’en oubliai le monde autour de moi. En une seconde, il devint mon épicentre.
Pourtant, je le connaissais déjà et il m’avait jusque-là laissée indifférente. Mais soudain, c’était comme si je le voyais pour la première fois. Ce matin-là, tout était différent.
Il était différent.
Déjà parce qu’il était très amoché. Non pas qu’il fût moche à la base, au contraire, il avait une belle gueule. Mais il était dans un sale état. C’était le seul à avoir survécu à l’accident. Un terrible accident de voiture dont il n’était pas ressorti indemne, loin de là. Une minerve encerclait son cou devenu invisible. Sa jambe droite était couverte d’une attelle en alu monstrueuse. Son visage était tuméfié. Un pansement barrait une partie de son front et un morceau de sa joue. Il avait des coupures de verre brisé partout. Sa peau était couverte de croûtes et d’hématomes. C’était vraiment très laid.
Mais putain, qu’est-ce qu’il était beau.
À cause de sa jambe invalide, il est arrivé porté par deux de ses amis. Un troisième avait monté son fauteuil roulant dans les escaliers. Un quatrième fût chargé de ses béquilles, au cas où. Tous le couvaient du regard, prêts à intervenir.
J’en aurais volontiers été mais j’étais sûre qu’à son âge Adam ne croyait plus aux pouvoirs des bisous magiques.
Pourtant, qu’est-ce que j’aurais aimé l’embrasser.
Cette pensée saugrenue me traversa quand je le vis remonter l’allée centrale en fauteuil, secondé par ses parents. Sa mère le poussait sur les inégales dalles de pierres. Son père la tenait car elle vacillait. Les deux meilleurs amis d’Adam, Xavier et Maxime, les encadraient tels deux vigies. Les autres avaient rejoint la foule des badauds.
Pardon, la foule des spectateurs. Car tout le monde le dévisageait comme une bête curieuse.
Pop-corn, messieurs, dames ?
Malgré ses yeux baissés, il devait être comme moi et sentir leurs regards indécents de vautours affamés se poser sur sa carcasse abîmée.
Des murmures montèrent de l’assemblée. J’entendis derrière moi une femme souffler à son mari :
— C’est le conducteur, le seul qui en a réchappé.
L’homme claqua la langue d’un air désapprobateur entre deux reniflements.
Adam avait été désigné coupable par la vindicte populaire.
J’étais écœurée.
Lorsqu’il arriva à côté de moi dans l’allée qui remontait la nef, j’eus envie de le toucher. De le prendre dans mes bras. De le caresser. Je ne sais pas pourquoi j’avais toutes ces envies en moi, mais tout foutait le camp dans ma vie alors plus rien ne m’étonnait. Ses yeux noirs étaient vides, insondables. J’imaginais sa détresse dans son regard fuyant.
Je remarquai qu’il ne pleurait pas. Ah ? Lui aussi, il réagit comme moi, me suis-je dit. Un sans-coeur ? Apparemment. Nous étions sans doute les deux seules personnes à ne pas s'émouvoir au milieu de cette assemblée qui dégoulinait de bons sentiments. Cela nous rapprochait, pensais-je bêtement. Je voyais là un lien qui nous unissait, y cherchais des raisons de croire à notre future complicité.
Adam ne me regarda pas en passant.
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