À table, j’appris qu’Adam restait parmi nous pour trois jours. Pourtant on ne le voyait presque jamais. Il avait sa propre salle de bain dans sa chambre et ne prenait pas ses repas en notre compagnie. Là ou pas là, cela ne changeait strictement rien, nous avions plus à faire à un fantôme qu’à un être humain. Il nous fuyait. Je ne comprenais pas pourquoi il était revenu.

Comme je n’avais pas encore décoléré de ses remarques infantilisantes, cette situation me convenait. Son arrogance et sa vanité d’ainé m’avait tellement gonflé que j’étais soulagée de ne plus y être confrontée.

Le soir, après dîner, je m’enfermai dans ma chambre pour lire. Je veillai à présent à ne pas mettre ma musique trop forte pour ne pas le voir faire à nouveau irruption. D’ailleurs, si avant son arrivée, il m’arrivait de laisser ma porte entrouverte, je m'assurai désormais de bien la fermer, juste au cas où. Quand bien même je ne l’intéressais pas, ses yeux baladeurs m’avaient laissé entendre qu’il n’aurait pas été contre se rincer l’œil à l’occasion.

Certes, voilà des mois que j’espérais ce genre d’attentions mais je voulais aussi beaucoup plus. Je ne voulais pas seulement offrir ma virginité à Adam Bellaji. Je voulais qu’il me fasse l’amour et surtout, qu’il tombe amoureux de moi. Je voulais tout avec lui, le physique et l’émotionnel, les sentiments prononcés dans l’alcôve et les sensations de nos corps enlacés.

Mais son comportement grossier m’avait grandement refroidi. S’il n’avait rien d’autre à me proposer pour le moment, je savais d’ores et déjà que cela ne fonctionnerait pas. Pour autant, abandonner mon idée me paraissait une folie. Il y avait quelque chose d’impensable à cela. J’avais eu cette pensée le jour des obsèques de nos frères et c’était ce à quoi je me raccrochai depuis des mois pour survivre à l’après. Alors, même si cela me paraissait plus compliqué que prévu, je ne pouvais me résoudre à laisser tomber ce projet. C’était la seule belle chose qui avait émergé de la tragédie que nous avions vécue. Tirer un trait dessus signifierait que la mort aurait gagné et m’aurait tout volé, mon frère, ma vie et mes rêves.

Même s’il m’avait déçue et énervée, je ne pouvais renoncer à Adam.

Un bruit dans sa chambre, mitoyenne à la mienne, me fit lever les yeux de mon livre, sur lequel je ne parvenais, de toute façon, pas à me concentrer. Le bruit laissa place à des murmures et quelques rires résonnèrent de l’autre côté de la cloison.

Je me levai et m’approchai du mur, collant mon oreille contre la tapisserie. Je retins mon souffle pour écouter. C’était lui et il n’était pas seul. Une voix féminine me parvint. Toutes mes capacités auditives furent déployées pour écouter ce qu’ils disaient. Je ne reconnus pas la voix de la cruche sans cervelle de la soirée mortifère de Sonia. Je perçus seulement des gloussements accompagnés de mouvements que je ne parvenais pas à identifier. Et puis, au bout de quelques minutes, j’entendis le bois du lit taper à plusieurs reprises contre la fine cloison, celle-là même contre laquelle j’avais l’oreille appuyée.

Adam baisait une inconnue de l’autre côté. Et j’avais l’impression qu’il essayait de me le faire savoir. Cela ressemblait à une vengeance après ce que j’avais osé lui balancer.

Elle se mit à gémir en rythme, sans discontinuer. Assise par terre, le visage enfoui entre mes mains tremblantes, je me mis à pleurer, ce qui ne m’était pas arrivé depuis l’annonce de la mort de mon frère.

Si Adam avait voulu me faire de la peine, il avait parfaitement réussi.

Cette fois, c’était officiel, mon cœur était bel et bien brisé.