Chapitre 32 : Jamais très loin
La bande des jeunes était aux jeux en bois. Certains étaient assis sur l’un des deux bancs qui se faisaient face, d’autres se tenaient debout, à discuter. Ils avaient l’air de bien se marrer. On les entendait rire et s’invectiver en ricanant. Ils arboraient leur habituelle allure arrogante, mains dans les poches de leur pantalon de survêtement ou de leur jean. La plupart avait une casquette vissée en permanence sur la tête.
Pas Adam, qui était planté au milieu d’eux, comme un chef qui aurait convoqué les membres de son armée. Crâne rasé et barbe de plusieurs jours, il portait une tenue sombre qui seyait à sa peau mate. Même de loin, je pouvais voir à quel point il était beau.
Mathilde et moi traversâmes le terrain de basket, situé à l’opposé du lieu de leur meeting. Tout en marchant le plus lentement possible pour profiter du spectacle, nous les observions discrètement, comme une espèce à part qu’il fallait étudier à la loupe pour en comprendre le fonctionnement. Ils s’apostrophaient les uns les autres sans arrêt, se vannaient pour un oui ou un non. Pourquoi se chahutaient-ils toujours autant, à grands renforts de cris et de gros mots ?
Ces gamins, ces hommes en devenir, nous intriguaient.
Elle me proposa de s’asseoir sur le parapet d’un muret bordant le terrain de jeux des enfants. Je voulus refuser mais elle s’y installa sans attendre. Je n’allais pas la tirer par le bras pour continuer à avancer et nous ridiculiser. Nous nous mîmes à dégoiser comme à notre habitude, pour passer le temps, jetant des œillades furtives en direction de la troupe bruyante.
Soudain, de l’autre côté de la pelouse, Adam serra des mains et s’éloigna de son groupe d’un pas rapide. Je compris qu’il se dirigeait vers nous. Mon cœur commença à palpiter.
Il passa juste à côté et, contre attente, s'arrêta et me lança :
— Ça va, Anna ?
Pas un mot pour Mathilde, il n’avait salué que moi.
Il était posté devant nous mais ne regardait que dans ma direction. Il n’attendit pas la réponse avant de reprendre :
— J’ai un autre livre pour toi, si ça te dit.
J’étais tellement estomaquée que je hochai simplement la tête, espérant que cela suffirait. Il le sortit de derrière son dos. Le bouquin était coincé sous la ceinture de son jean. Il me le tendit et je l’attrapai avant d’en feuilleter rapidement le contenu. Des tonnes d’annotations me sautèrent au visage.
Oui, oui, oui !
Je refermai le livre et découvris enfin le titre. La Belgariade, un pavé de fantasy que j’avais déjà dévoré l’été dernier. Passionnant mais, à l’époque, je n’avais pas les commentaires de l’homme qui me rendait complètement chèvre et qui, à coups sûrs, allaient rendre ma lecture encore plus savoureuse.
— Déjà lu ?
— Jamais, mentis-je effrontément.
— Je te le laisse alors.
— Tu veux que je te redonne les deux autres que tu m’as prêté ? Ils sont à la maison.
— Nan, garde-les. Si j’en ai besoin, je sais où te trouver.
Dit comme ça, sa phrase ressemblait à une menace. Mais pour moi, c’était quasiment une déclaration.
Je suis vraiment complètement jetée.
Il nous quitta aussi vite qu’il était apparu et continua son chemin jusqu’à ce que son image s’efface complètement de notre champ de vision. Mathilde et moi restâmes bouche bée. Elle se tourna vers moi, silencieuse. Ses yeux ronds comme des soucoupes en disaient long sur sa surprise. J’étais dans le même état, fixant le bouquin entre mes mains, incrédule.
— Eh bien, contrairement à ce que l’on croyait, il sait que tu existes ! murmura-t-elle en me poussant de l’épaule. Moi par contre, je dois porter une cape d’invisibilité !
Nous rîmes.
Je mis une semaine à m’en remettre. Sauf qu’en étant tout à fait honnête, je ne m’en étais toujours pas remise.
Adam était comme ça. Aussi imprévisible qu’un ouragan dévastateur.
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