Chapitre 44 : La peur
— Tu sais que tu ne vis même plus dans le quartier, fis-je remarquer au passage.
Il avait déménagé six mois auparavant pour vivre seul dans ce chouette appartement assez éloigné de chez nous. Il avait expliqué à ses parents vouloir prendre son indépendance, voilà ce que ces derniers nous avaient rapporté lorsque nous étions venus prendre le café. Mes parents et les siens continuaient de se voir depuis ce tragique accident, soudés dans la peine et s’entraidant face à la perte de leurs enfants.
— Peu importe, un pacte est un pacte, contra-t-il.
Son ton était sans appel. Mais, tout obstinée que j’étais, je ne pouvais m’y résigner.
— Et si le mec est décédé, ça ne rend pas les choses caduques ? insistai-je, dépitée.
— Non, surtout pas !
Il s’esclaffa. Comme il était contre moi, cela me fit vibrer. Je ressentais toutes ses émotions, tous ses mouvements, et j’en tremblais, littéralement. Nous étions si proches dans ce grand lit et, cependant, j’avais l’impression qu’il était loin, inaccessible et fermé à doubles tours. Il argumenta qu’au contraire, la situation était encore pire, car il n’allait quand même pas salir la mémoire d’un de ses potes décédés, surtout pas le meilleur ami de son petit frère, mort également. Puis conclut sa diatribe sur ces mots :
— C’est une question d’honneur, de respect. Ça ne se fait pas, c’est tout.
Balivernes.
Je n’en croyais rien. En vérité, il avait déclaré cela comme s’il l’avait déjà envisagé, comme s’il y avait vraiment réfléchi. Cette idée me fit sourire, ce qu’il ne vit pas dans le noir encore opaque de sa chambre à coucher. J’adorais l’écouter parler... Il avait murmuré durant toute la conversation et sa voix de velours me berçait comme une mélodie apaisante, malgré les révélations aberrantes qu’il me faisait sur son foutu code d’honneur entre mecs.
— Je trouve ça complètement débile, tu sais.
— C’est normal, tu es une fille, tu ne vois pas les choses comme nous.
Sa remarque m’interpela. Hommes ou femmes, étions-nous si dissemblables ? Certes, les différences étaient majeures mais on paraissait pourtant vouloir la même chose : le bonheur, être heureux et en paix. Pas Adam ? Que recherchait-il à la fin ?
— Non, ce n’est pas ça, rétorquai-je de ma voix la plus calme. C’est juste que l’amour, ça ne se commande pas.
Je lui expliquai qu’on pouvait être attiré par quelqu’un en dépit de son statut, de son rôle, de son âge, que ce n’étaient là que des détails factuels dont le cœur ne tenait pas compte. J’ajoutai que lorsque l’on tombait amoureux, tout cela nous était bien égal car l’amour transportait, donnait des ailes et permettait de franchir les barrières, d’aller au-delà.
— C’est une grande force, Adam... mais aussi une grande faiblesse malheureusement...
Et je savais de quoi je parlais. Mon amour pour lui m’avait procuré autant de bonheur que de douleur. Pour autant, j’étais persuadée que cela valait le coup et espérais qu’il le pense aussi. Mes derniers mots semblèrent le faire cogiter. Je pouvais presque entendre ses pensées se bousculer dans sa tête. Ça moulinait grave là-haut.
— C’est parce que cela apporte beaucoup de joie que l’amour fait tant souffrir aussi, renchéris-je tandis qu’il ne disait plus rien.
— C’est pour ça que je ne suis jamais tombé amoureux et que je ne le souhaite pas. Je n’ai pas envie de souffrir encore. Cette fois, je n’y survivrai pas.
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