Chapitre 45 : L'impasse

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La messe avait été dite. Adam venait de me confier sa plus grande peur : souffrir à nouveau. Et ce qu’il pensait être à l’origine de cette douleur insupportable : l’amour. Voilà donc les raisons de ses changements d’humeur. Il luttait contre lui-même, contre ses sentiments, contre ses envies. J’étais persuadée que je ne le laissais pas indifférent mais comprenais qu’il ne voudrait jamais me l’avouer. C’était peine perdue.

Face à l’ampleur de la situation, mon projet tombait à l’eau. Je ne voulais pas seulement qu’il soit le premier, je voulais qu’il m’aime. Mais s’il se l’interdisait, c’était franchement mal barré.

Les sens en éveil, je le sentais respirer contre moi. Notre proximité m’apaisait autant qu’elle m’électrisait. Je voulais le toucher mais ne le pouvais pas. J’avais l’impression qu’il le voulait aussi mais ne le faisait pas. Nous étions à nous deux un paradoxe tout entier, effrayés par ce que nous ressentions l’un envers l’autre, mais soumis à une attirance qui nous dépassait. Malgré notre évidente attraction, ni l’un ni l’autre n’oserait faire le premier pas. Moi, par peur d’être refoulée et de me ridiculiser, ce qui aurait lieu indubitablement. Lui, par refus de céder à la tentation de goûter au fruit défendu.

Nous étions dans une impasse et pourtant, pourtant, je ne pouvais me résoudre à oublier mon projet. Pourquoi mon cœur refusait-il d’abandonner la partie alors qu'elle était, de toute évidence, perdue d’avance ?

— Adam ?

— Quoi ?

Je t’aime.

Non, ne le lui dis jamais. Jamais, jamais, jamais. Je ne devais pas, même si les mots n’attendaient que mon signal pour jaillir de ma bouche.

— Tu... tu as déjà aimé ?

Je l’entendis sourire. C'était impossible. Cependant, c'était bien le cas. Un son imaginaire et mélodieux qui réjouissait mon âme.

— J’aime mes parents, mon frère, mes potes, ma famille. Je ne suis pas un sans-cœur comme tu as l’air de le penser.

— Et... une fille, une femme ? Tu as déjà aimé ?

Il soupira longuement. Tout l’air de son corps semblait s’échapper de ses poumons. Lorsque ces derniers furent intégralement vidés, il reprit :

— Après ce que je viens de dire, il va de soi que la réponse est non. Et puis, tu n’es pas idiote, tu connais ma réputation...

Protégée par la pénombre dans laquelle nous baignions, j’avais l’impression de pouvoir tout lui demander, de pouvoir percer à jour ses secrets les plus intimes, les plus profonds, les plus sincères.

— Pourquoi toutes ces filles ?

— Pour oublier.

— Ça marche ?

— Non, s’esclaffa-t-il. Enfin, sur le coup, oui. Après, non.

Il se tourna vers moi. Son visage était face au mien, à présent, et même si je ne le voyais pas, je sentis son souffle balayer mes joues. Je crus, à cet instant, qu’il allait m’embrasser. Mon pouls accéléra violemment, aussi incontrôlable qu’un cheval fou se mettant à ruer.

— Je peux te poser une question ? chuchota-t-il.

Seigneur, allait-il le faire ? Allait-il réellement m’en demander l’autorisation et se lancer ?

Mon cœur s’agita de plus belle, complètement désordonné, en état d’alerte maximale. Mon sang palpitait dans mes veines, me donnant soudainement chaud.

— Oui.

— Tu l’aimais le type avec qui tu as perdu ta virginité ?

Ah.

Heu... Sauf à avoir une boule de cristal, répondre à cette question relevait de la plus grosse mythomanie. Autant cela ne me dérangeait pas de lui mentir à ce sujet pour le rassurer et l’approcher de plus près, autant m’inventer une vie ne me convenait pas du tout. Je ne voulais pas lui monter un char, surtout après ses confessions. J’avais le sentiment qu’il avait été honnête avec moi et cela me gênait profondément de ne pas en faire autant avec lui.

— Il était le garçon avec qui j’avais décidé de le faire pour la première fois, alors oui, je n’aurais pas pu le faire sans sentiments, c’est évident.

Et la marmotte, elle met le chocolat dans le papier d’alu...

— Pourtant, je ne t’ai jamais vue avec personne. C’est un mec du quartier ?

Heu...

— Adam, je n’aime pas parler de ça avec toi.

— Pourquoi ? s’offusqua-t-il. Tu m’as bien posé des questions indiscrètes !

— Pose-moi toutes les questions que tu veux mais pas celles-là.

Toutes celles qui te passent par la tête, en particulier celle où tu me demandes si tu peux m’embrasser.

— Tu regrettes de l’avoir fait, on dirait. Évidemment. Je suis sûr qu’il t’a convaincue de le faire alors que tu n’en avais pas envie et qu’il t’a larguée juste après. Je connais les mecs de ton âge, ils ne pensent qu’au cul. Ils seraient prêts à tout pour tirer leur crampe. Vous êtes trop naïves les filles, vous n’avez pas de plomb dans la cervelle. Il suffit que l’un d’eux vous conte fleurette pour que vous écartiez les cuisses. Et ensuite, vous regrettez, mais le mal est fait. Tu n’aurais pas dû le faire juste pour lui faire plaisir. C’est une décision importante. Tu aurais dû attendre d’être sûre qu’il s’intéresse à toi pour de bonnes raisons.

Tandis qu’il me sermonnait comme un curé morigénerait un pêcheur repentant, des larmes silencieuses coulaient le long de mes joues. Adam ne se rendait visiblement pas compte qu’il tirait à balles réelles.

Tout ce qu’il disait était vrai et faisait partie de mon projet, mais dans une autre dimension. Il était clair qu’à l’entendre, nous vivions dans deux mondes parallèles et qu’il ne m’inclurait jamais dans le sien.

Une dernière question me brûlait les lèvres. Avec courage, je ravalai mes larmes muettes et m’éclaircis la voix en me râclant la gorge.

— As-tu déjà dépucelé une fille ?

— Jamais de la vie ! s’insurgea-t-il aussitôt. Plutôt crever qu’être le premier.

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