Chapitre 52 : Le fil
Adam attrapa Aurélien par le cou et le vira manu militari hors du cagibi en l’insultant de tous les noms d’oiseaux à sa disposition. Il le colla contre le mur du couloir, fulminant de rage, mais se retint in extremis de lui coller une droite en plein visage. Il abaissa son poing levé en l’air et poussa le malotru hors de sa vue. Celui-ci ne demanda par son reste et partit en courant, dévalant les escaliers comme si la mort était à ses trousses.
Durant toute cette démonstration de virilité, je restais tétanisée dans la remise, la porte ouverte sur ce spectacle. J’étais toujours assise sur la table, à moitié déshabillée, quand Adam revint vers moi.
— Crétin ! conclut-il en éructant.
Lorsqu’il m’aperçut en culotte, il eut le réflexe de se retourner et j’en profitai pour sortir de ma torpeur pour me rhabiller à la hâte.
— C’est moi ou ça va devenir une habitude, cette histoire ? demanda-t-il nonchalamment, adossé au chambranle, comme si de rien n’était.
Il parlait de quoi ? De me sauver la mise ou de me retrouver en culotte ? Une seule pensée surgit en moi pendant que je terminais de remettre ces saletés de collants sans les effiler : comment était-ce possible ? Qu’il me tire d’un mauvais coup, passe encore, mais deux ? Avait-il un don d’omniscience dont je n’avais pas connaissance ?
— Adam...
— Lui-même.
— Qu’est-ce que tu fais là ?
Il éclata de rire.
— Comme d’hab’, je vole à ton secours.
Je soupirai en levant les yeux au ciel.
— Tu as des antennes ou quoi ?
— Non, juste un bon instinct.
— C’est-à-dire... ? Tu t’es levé ce matin avec une vision de moi sur le point d’être abusée par l’un des invités de ma copine de classe et tu t’es dit : Oh seigneur, non ! Je dois y aller pour lui éviter le pire ! C’est ça ?
— Pas exactement, mais tu n’en es pas loin, répondit-il, hilare.
— Éclaire ma lanterne.
Il entra dans le cagibi et referma la porte derrière lui. Bien qu’il ne tournât pas la clef, nous enfermer tous les deux, dans cet espace réduit, annonçait une discussion confidentielle. Cela me surprit de sa part. Les grands discours n’étaient pas son genre, pas plus que les conversations à cœur ouvert en toute intimité. Même si nous avions échangé quelques messes basses sur nos vies privées, dans sa chambre, au lendemain de mon agression, je connaissais son tempérament taiseux. Il n’était pas d’une grande propension à parler et à s’ouvrir facilement.
Cependant, j’avais toujours ressenti entre nous une connivence naturelle. Un lien secret nous unissait malgré nos vies qui, telles deux lignes parallèles, semblaient incapables de se rejoindre. Nous étions reliés malgré nous. Par la mort, mais aussi par la vie. Car nous étions vivants tous les deux et bouillonnants de jeunesse, encore au tout début de notre existence. Tout semblait œuvrer à nous séparer au quotidien, mais un fil conducteur invisible nous gardait étroitement accrochés l’un à l’autre.
Même si son attitude me déstabilisait, elle ne m’étonna pas plus que ça. Je le connaissais sans vraiment le connaître, et ce lien ténu nous rapprochait inexorablement.
Adam avait à présent envie de me parler seul à seule, à l’abri d’oreilles indiscrètes. Et j’étais prête à l’écouter, quoi qu’il eût l’intention de me révéler...
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