Chapitre 60 : Les cicatrices

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Suite à ma remarque, je sentis Adam se tendre à mes côtés, mais plus de la bonne façon. J’avais voulu le réconforter, mais je n’avais fait qu’aggraver les choses. Je me morigénai intérieurement. Je le sentais s’éloigner de moi, seconde après seconde, même si j’étais encore dans ses bras.

Il me remit l’écouteur, et plongea son visage grave et soucieux dans mes cheveux, embrassant le sommet de mon crâne. Ce baiser sembla clôturer ceux qui nous venions d’échanger. Je l’imaginais se renfermer dans son monde silencieux, gorgé de démons perfides et de spectres effrayants. Et surtout de reproches. Sa peine m’affligeait, d’autant que je la partageais aussi, d’une certaine façon. Nous étions tous les deux plongés dans nos souvenirs douloureux, chacun de notre côté, coupés l’un de l’autre. Je comprenais sa tristesse et son impuissance, tout en étant persuadée qu’il devait arrêter de se torturer ainsi. Mais, à le voir soudain si sombre, je réalisai qu’il n’en avait pas l’intention.

Le pire était que cette souffrance le rendait encore plus beau et touchant. J’avais d’autant plus envie de me rapprocher de lui que je le savais fragile et vulnérable. Je ressentais le besoin de le consoler, de le protéger de lui-même et de ses pensées noires. Je n’avais pas la capacité de soulager sa peine, mais je pouvais lui donner de l’amour pour apaiser ses blessures encore vives. Mais la question à présent était de savoir si lui le voulait encore. Je pris l’écouteur de son oreille et retirai le mien dans la foulée.

— Je suis désolée.

Il tourna son visage vers le mien, surpris, et me fixa de ses yeux intenses.

— De ?

— Je ne voulais pas remuer le couteau dans la plaie.

— Tu ne l’as pas fait, Anna, rassure-toi.

Son visage se radoucit en disant cela. Il dût comprendre que sa froideur subite m’avait ébranlée.

— Si, je vois bien que je n’ai fait que te replonger là-dedans.

— Ne crois pas ça. J’aime parler des gars avec toi.

Il me confia qu’en dehors de ses parents, j’étais la seule personne qui ne le dévisageait pas de ce regard de chien battu quand il en parlait. Il ajouta qu’avec moi, les évoquer était naturel. De plus, il m’expliqua qu’il évitait ce genre de discussion avec « ses vieux », comme il les appelait, car il avait toujours peur de raviver les souvenirs du temps des jours heureux.

— Comme je viens de le faire avec toi... intervins-je, dépitée.

— Non, ce n’est pas pareil. Avec toi, leur souvenir reste joyeux, doux, tendre. Presque vivant. Je ressens plus de nostalgie que de souffrance. Quand tu m’as dit que tu trouvais mes cicatrices belles, cela m’a fait plaisir, car je les aime aussi. Mais c’est une des premières choses qui a inquiété mes vieux.

— Ah bon ?

J’étais étonnée de cette révélation et encore plus surprise quand il me raconta que ses parents avaient contacté un très bon chirurgien plasticien dès sa sortie de l’hôpital, pour s'assurer de pouvoir les faire disparaître. Ils avaient en effet eu peur qu’il soit marqué à vie. Adam avait refusé d'y toucher.

— Marqué à vie, je le suis, de toute façon ! dit-il avec un rictus. Avec ou sans mes balafres. Mais toi, tu sais ce qu’elles représentent pour moi et tu les trouves belles...

— Elles le sont, Adam, vraiment. C’est ton histoire, c’est qui tu es. Au même titre que tu as laissé une partie de ton visage ce soir-là, je pense que tu y as laissé une partie de ton âme aussi. Je sais cela. Je sais ta souffrance et tes regrets. Mais tu es là et bien vivant, et tu dois honorer leur mémoire en profitant de tous ces instants que la vie t’a octroyés. Pour célébrer la vie, pour toi, pour eux, pour... nous.

— Nous ?

— N... nous.

Il se pencha vers moi, les yeux illuminés d’un nouvel éclat. Son désir sembla revenir aussitôt. De toute évidence, il restait encore quelques braises que je m’empressai de rallumer.

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