Chapitre 64 : L’enfoiré

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Si mon dernier repas n’avait pas remonté si loin, je crois que je lui aurais vomi dessus. L’annonce me figea sur place. J’étais sonnée.

— Tu pars un an en Amérique Latine ? répétai-je, incrédule.

Il comprit à ma voix que je lui en voulais déjà et qu’il n’allait pas s’en tirer comme ça.

— Anna...

— Adam !

Mes cordes vocales vibrèrent en montant dans les aigus.

— Calme-toi s’il te plaît. T’énerver ne changera rien à la situation.

Me calmer ? Me calmer ? Mais il était sérieux ??

— Pourquoi ne m’en avoir rien dit avant ? repris-je, complètement à cran.

— Je te l’ai expliqué cette nuit. Je voulais te faire rêver pour ton anniversaire. Arrivé la fleur au fusil en t’annonçant mon départ, dans trois jours, aurait difficilement pu te faire bondir de joie.

Il le savait ! Bien sûr qu’il le savait. Il savait parfaitement que j’allais l’étriper de me faire un coup pareil. C’était du Adam tout craché !

— Je n’en reviens pas que tu me fasses ça, éructai-je avec aigreur. Surtout après ce qui vient de se passer. Après... après ce que tu m’as fait...

— Qu’est-ce que je t’ai fait, Anna, dis-le-moi !? Est-ce que je t’ai menti, est-ce que je t’ai promis quelque chose ?

Le mufle ! Ainsi avait-il tout prévu pour ne rien avoir à se reprocher ! On aurait dit un accusé débitant sa défense en énonçant les arguments prouvant son innocence.

— Mais... mais... mais cette nuit, c’était... magique ! Et tu savais que tout allait s’arrêter ensuite ! Tu aurais pu me prévenir !

— Ça aurait changé quoi à part te flinguer ton anniversaire ?

— Mais je m’en fous de mon anniversaire, rétorquai-je en sanglotant. C’est toi que je veux !

— Anna... de toute façon, toi et moi, c’est...

— C’est quoi ? m’impatientai-je en essuyant mes larmes.

— Compliqué. Et tu le sais très bien.

— Mais en quoi est-ce compliqué ?

Il se tut. Son silence me rendit folle. J’avais l’impression d’être plongée dans la quatrième dimension. Après l’intense bonheur que j’avais ressenti ces dernières heures, à ses côtés, j’eus le sentiment qu’une bombe venait d’exploser dans mon cœur, n’y laissant que fragments dispersés et plaies ouvertes et sanguinolentes.

— Vu ta façon de me caresser et de m’embrasser, ça y est, tu as dépassé le stade de ton foutu pacte de merde avec les gars du quartier, sur ta prétendue interdiction de coucher avec la sœur de quelqu’un.

— Techniquement, on n’a pas couché ensemble, asséna-t-il, sûr de lui.

Et c’est avec cette foireuse explication médico-légale qu’il escomptait me ramener à la raison ? Il allait me faire croire que mon orgasme, sous ses doigts, ça ne signifiait rien ?

— Donc cette nuit, ta main dans ma culotte, c’était quoi, un cours de cuisine ?

— Anna...

— Ce n’était rien pour toi, bien sûr ! Juste un jeu pour te divertir !

Outrée, je me mis à l’imiter avec toute la hargne dont j’étais capable :

— Tiens et si j’allais voir l’autre gamine pour essayer de la faire jouir et me prouver que je suis un dieu au plumard.... C’était ça ta mission ?

Tout penaud, il répondit à contrecœur, les yeux rivés au sol :

— Non, bien sûr que non, et tu le sais très bien.

Acculé à la roche, il était assis dos au mur, les bras croisés devant lui, et la tête basse. Sa posture trahissait sa culpabilité. Je le fustigeai du regard, abasourdie. Voyant qu’il ne bougeait plus, je me rhabillai en vitesse en reprenant mes vociférations :

— Mais c’était quoi alors ??? Ça faisait des mois que je ne t’avais pas vu et tu débarques comme un cheveu sur la soupe, tu m’emmènes vivre un moment merveilleux, tu me fais oublier mon nom et ensuite, quoi, tu te barres pendant un an ?

Il ne répondit pas. Son mutisme amplifiait ma colère.

— Tu m’écœures, Adam, tu me dégoûtes ! Tu es pire que le pauvre type d’hier soir qui a essayé de me baiser sur cette table de cagibi. Tu es même pire que l’autre cinglé qui m’a agressée dans le bois ! Et tu sais pourquoi tu es pire que ces deux grosses merdes ? Parce qu’eux n’ont fait que vouloir abuser de mon corps ! Mais toi, tu as abusé de mes sentiments ! Tu n’es qu’un enfoiré, Adam ! Je te déteste !

Je le plantai, là, avec ses plaids et ses oreillers, ses bougies et son thermos de café, et je sortis de la grotte en courant. Les rochers étaient glissants et je manquai à plusieurs reprises de me casser la figure, mais la rage qui m’habitait me faisait avancer coûte que coûte.

— Anna ! Attends-moi bordel !

Je remontai la falaise escarpée. À la lumière du jour naissant, tout était plus simple, et je sautai de pierre en pierre, tel un chamois surentraîné. Je l’entendais m’appeler au loin, tandis que je crapahutais sur la roche. Je ne me retournais pas une seule fois. Je pleurais vraiment à présent, réalisant peu à peu ce qu’il venait de m’annoncer.

Un an. Un an sans le voir, après cette merveilleuse nuit. Un an séparé de son corps alors qu’il venait à peine d’éveiller le mien. Pourquoi me faisait-il ça ? Qu’est-ce que je lui avais fait pour mériter un tel traitement, un tel manque de considération, un comportement aussi puéril et irrespectueux ? Il m’avait manipulée, il m’avait menti délibérément. Certes, ce n’était que par omission mais, tout de même, il l’avait fait sciemment et en toute connaissance de cause.

Je lui en voulais tellement.

Quel enfoiré.

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