Chapitre 68 : Un autre premier homme

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Ma mère me parlait rarement d’elle. Je connaissais des bribes de son enfance heureuse dans une petite ville de campagne, entourée de la nature et des animaux. Je savais son coup de foudre pour mon père, leur mariage précipité et l’arrivée de mon frère, trop peu de temps après leurs noces pour que cela soit conforme aux volontés divines des anciens, qui considéraient cette union comme le début de la vie sexuelle d’un jeune couple.

Mais je n’avais jamais entendu parler de l’avant. Avant mon père, celui qu’elle avait toujours présenté comme l’homme de sa vie. Je ne comprenais pas pourquoi elle tenait à s’en ouvrir maintenant, mais elle me raconta tout. Tout et compris les doutes qui l’avaient assailli jusqu’à la veille de son mariage, lorsqu’elle l’avait revu, lui, son premier amant, comme elle le qualifiait.

Je n’étais pas friande à l’idée d’en savoir plus sur la vie sexuelle de mes parents, ou du passé amoureux de ma mère, mais elle se concentra plus sur les sentiments que sur leurs ébats, alors je tendis l’oreille.

L’amour, disait-elle, était une chose étrange, qui nous apportait tant de joie et de souffrance à la fois. L’amour était fort et destructeur, déstabilisant et apaisant, violent et d’une douceur infinie. L’amour faisait faire des choses folles, comme prendre la décision de faire un enfant, pour créer un lien unique entre deux être qui jamais ne se romprait. Elle me confia qu’aujourd’hui, elle n’était plus sûre d’aimer mon père, avec lequel ils s’étaient perdus de vue au fil des années. Car l’amour, si solide et puissant soit-il, reste un fil délicat toujours prêt à se briser.

La mort de mon grand frère avait fini par détruire le leur, trop effiloché par les années. Lorsqu’elle me raconta ça, je repensais aux parents d’Adam qui, depuis l’accident, et malgré la dureté de cette épreuve, paraissaient plus unis que jamais. Elle me parla de loterie, de destin, de fatalité puis, dans la foulée, de miracle.

— De miracle ? répétai-je, étonnée.

— Oui, de miracle, ma chérie.

Je ne comprenais pas. Elle poursuivit en m’expliquant qu’à une époque, elle avait beaucoup souffert de sa décision de choisir entre mon père, avec lequel elle était fiancée, et son premier amant, qui était réapparu dans sa vie, alors qu’elle s’apprêtait à convoler en justes noces. Il s’appelait Étienne et avait été le premier homme jamais aimé, le premier homme jamais embrassé, mais aussi celui qui avait été à l’origine de son premier chagrin d’amour. L’ambitieux Étienne avait rompu lorsqu’il décida de partir à l’étranger pour continuer une carrière prometteuse de diplomate.

À cet instant, je pensai à Adam, partit un mois auparavant dans un autre pays, sur un autre continent, dans l’hémisphère opposé. Mon cœur se serra violemment dans ma poitrine. J’eus envie de pleurer mais me retint de justesse.

Étienne avait abandonné ma mère pour devenir celui qu’il rêvait d’être, avant de se rendre compte de son erreur, et de retenter sa chance, la veille de son mariage. Peine perdue. Ma mère avait préféré la sécurité et la stabilité d’un homme fiable à des promesses qui avaient déjà été rompues. Mais, elle semblait l’avoir regretté :

— J’ai été tellement en colère contre Étienne, lorsqu’il est parti pour se réaliser que je n’ai pas pu lui ouvrir mon cœur à son retour. Pourtant, si je m’étais écoutée, j’aurais peut-être compris qu’il ne pouvait y avoir que lui. Ton père, aussi merveilleux mari qu’il ait été, n’a jamais été celui que je désirais vraiment. Seule ma raison m’avait ordonné de l’épouser, par peur de souffrir à nouveau. Mon coup de foudre pour lui n’avait été mû que par le désespoir d’avoir perdu le seul homme à qui j’avais offert mon cœur. Mais... un premier amour, surtout quand il a été aussi fort, on ne l’oublie pas aussi facilement.

Même si je voyais où elle voulait en venir dans son discours, je ne comprenais pas pourquoi elle me racontait tout ça alors que, depuis mon retour de la grotte, je n’avais presque rien dit, et surtout pas à propos d’Adam. Pourtant, ses mots résonnaient en moi comme des bols tibétains dans le silence d’un temple. En filigrane, elle me parlait de mon histoire, à travers la sienne.

Et surtout, elle semblait savoir quelque chose que j’ignorais. Dans son discours, quelque chose m’échappait...

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