Chapitre 69 : Ouvrir les yeux
Je voulais creuser la question et lui en demander davantage sur ce fameux Étienne, qu’elle semblait n'avoir jamais oublié.
— Qu’est-il devenu, ce premier amour ?
— Après mon refus de quitter ton père et de partir avec lui, il a disparu de la circulation.
Elle me raconta que, des années plus tard, elle avait appris son mariage et l’arrivée de ses enfants. Il avait vécu un temps en Amérique, puis en Afrique, pour finir par revenir en Europe, il y a quelques années.
— Et maintenant ?
La curiosité me dévorait à présent, tant le personnage d’Étienne, le premier amour de ma mère, m’intriguait. Je réalisai avec étonnement qu’auparavant son nom n’avait jamais filtré dans notre foyer, et commençai à comprendre que mon père n’avait jamais dû être au courant. Pourtant, de son côté, il lui arrivait d’évoquer ses anciennes partenaires. Mais ce n’était jamais le cas de ma mère.
Elle garda le silence quelques instants, pesant mentalement le pour et le contre de ses révélations. Soudain, voyant son regard illuminé en repensant à cette personne, le doute m’assailli. Étienne avait-il ressurgi de cette autre époque, où il apparaissait comme une figure centrale de la vie de ma mère, dans un présent plus récent ? Mon cerveau réfléchissait trop vite, me suggérant des tas de propositions toutes plus improbables les unes que les autres. Lorsque l’idée me traversa l’esprit qu’Étienne était comme un point de départ et d’arrivée sur la frise chronologique de sa vie, je repris :
— Tu sais où il est ? Tu l’as revu ?
Énigmatique, elle me sourit en se mordant la lèvre. Je n’en croyais pas mes yeux. On aurait dit une gamine de quinze ans. On aurait dit... moi ! Elle hocha la tête, confessant enfin le but de toute cette conversation.
— Étienne était de passage il y a quelques mois. Je l’ai croisé « par hasard », mais le hasard existe-t-il, je me le demande...
Là, je repensai à ces deux fois où Adam m’avait sortie d’un mauvais pas, lui, et pas un autre. Lui, toujours lui, comme un pilier de ma vie.
— Il m’a offert un café, puis un dîner... j’ai appris qu’il avait divorcé, qu’il était toujours diplomate et désormais... célibataire.
— Mais, non ?! Tu... tu es retournée avec lui ?
Ma question sonnait tellement étrange à mes oreilles que j’aurais presque pu entendre le bruit d’un buzzer retentir pour m’indiquer la fausse route.
— On se voit un peu oui... Sans aller jusqu’à dire que je suis retournée avec... on a, en quelque sorte, renoué.
— Mais tu es mariée !
— Et ton père voit quelqu’un de son côté...
La réplique fit mouche. Je me tus, consciente de ma bêtise à la juger alors que tous les deux avaient pris la décision de se séparer.
— Anna, on ne comprend pas toujours ce qui nous arrive dans la vie et on passe beaucoup de temps à redouter le pire. Mais... pour ce qui est de l’amour, il faut écouter son cœur et se dire que tout est possible, malgré les difficultés. On croit parfois que la peine que l’on ressent va nous submerger et nous engloutir. Mais il peut arriver que tout se passe bien et que celui qui nous est destiné nous revienne, tôt ou tard.
Je la dévisageai, suspicieuse. Elle n’avait pas l’air en colère ou déçu, bien au contraire. Elle semblait en paix, confiante et pleine d’espoir. On aurait dit qu’elle avait un message à me faire passer. Pourtant, elle ne savait rien de ma vie, ni de mon histoire avec Adam, si tant est que l’on pouvait qualifier ainsi ce qui s’était passé dans la grotte.
D’ailleurs, que s’était-il vraiment passé dans la grotte, cette nuit-là, qui m’avait échappé ? Pourquoi avais-je le sentiment de ne pas avoir tout compris ? Pourquoi ne l’avais-je pas laissé parler ? Je réalisai l’ampleur de mon erreur et de mon aveuglement lorsqu’Adam m’avait avoué devoir partir en Amérique Latine. Je revis son regard attristé et son visage assombri, peiné par cette situation inextricable de devoir me quitter.
Adam avait essayé d’en discuter mais, dans ma fureur, je ne l’avais pas laissé en placer une. Je ne l’avais pas laissé s’expliquer...
Il était parti si loin sans pouvoir me dire ce qu’il avait vraiment sur le cœur.
Et je n’avais aucun moyen de le contacter...
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