Je me revis ce jour-là, un an auparavant. Une fois ma mère sortie de ma chambre, j’avais ouvert l’enveloppe et lu le mot. Mes yeux s’étaient tellement remplis de larmes que je n’arrivais même plus à déchiffrer la note manuscrite. Une fois que j’eus fini de lire sa prose expéditive, j’avais chiffonné le papier avant de le jeter dans la corbeille.

Damned !

— Tu avais laissé une adresse ? pépiai-je, presque aphone.

Je déglutis avec difficulté. Je n’avais plus de salive, la gorge complètement asséchée. En revanche, mes yeux commençaient à se remplir d’eau salée.

— Oui, en dehors de toi et de mes parents, personne ne l’avait. Je ne leur avais bien évidemment pas dit que je te l’avais communiquée. Cela ne les regardait pas.

— Mais... quand tu as vu que je ne t’écrivais pas, tu pouvais m’appeler !

J’étais en colère. Contre lui, toujours, mais surtout contre moi-même et ma bêtise d’autrefois.

— Je croyais que ton silence signifiait que tu m’avais rayé de ta vie. Je ne pouvais pas t’en vouloir après ce qu’il s’était passé...

Il avait l’air sincèrement désolé. J’en étais toute chamboulée. J’essayais de garder mon self-control, mais le voir ainsi peiné me poignardait le cœur.

— Mais Adam... jamais de la vie...

Je me mis à pleurer réellement, le cœur retourné par ses révélations. Ainsi avait-il voulu garder le contact malgré ce qu’il était advenu entre nous au matin de notre merveilleuse première nuit. J’étais sous le choc, réalisant trop tard que je m’étais imaginée un scénario complètement faux.

— J’ai pensé à toi chaque putain de journée de l’année qui s’est écoulée, hoquetai-je.

— Ne pleure pas Anna, c’est fait, c’est fait.

Son rationalisme exacerbé me fendait l’âme. N’avait-il donc pas de cœur pour considérer toute cette histoire comme un simple acte manqué ? La situation était absolument dramatique, au contraire ! On avait perdu un an de nos vies !

— Sur le coup, j’ai pensé que c’était la meilleure solution, reprit-il calmement. J’avais peur qu’on se fasse plus de mal que de bien en entretenant une relation à distance.

Une relation ? J’avais bien entendu ? Adam Bellaji avait évoqué l’idée d’entretenir une relation avec moi ? On avait beau être enfin sur le même fuseau horaire, j’avais l’impression d’avoir été expédiée sur une autre planète, la planète des miracles.

— Une relation...

— Ça aurait été trop compliqué, de toute façon. Je ne voulais pas perturber tes études.

Ça, pour ne pas les perturber, ça ne les avait pas perturbées le moins du monde, bien au contraire. J’étais la première dans toutes les matières. Je bûchais mes cours les soirs et les week-ends, et ne m’octroyais que de brefs répits avant de me coucher en plongeant dans la lecture de mes romans. J’allais au cinéma une fois par mois et, de temps en temps, je bingeais une série, histoire de me changer les idées.

Mon premier chagrin d’amour avait laissé un tel vide en moi que j’avais dû trouver le moyen de le combler. Plonger la tête la première dans mes cours m’avait semblé la meilleure façon d’y arriver. Au moins, c’était utile pour avoir un excellent dossier pour les études supérieures que je voulais entamer après le bac.

Bien sûr, mes parents avaient paniqué et, après m’avoir privée de sorties pendant un mois suite à mon escapade nocturne avec Adam, ma mère avait ensuite regretté sa sévérité. Voyant que je ne sortais presque plus de la maison, elle m’avait presque suppliée de rejoindre mes camarades de classe ou ma meilleure amie. En vain, la plupart du temps. Plus grand-chose ne m’intéressait depuis que le rayon de soleil de ma vie s’était couché sur l’autre côté du globe.

Je reniflais, toujours en train de sangloter. Il me prit la main. Elle était glacée mais il l’enveloppa de ses deux mains chaudes. Je soupirai de dépit, de tristesse, d’épuisement... Il se râcla la gorge pour éclaircir sa voix enrouée par l’émotion de me voir si soudainement dévastée.

— Mais, poursuivit-il doucement, tu m’as vraiment manquée...