Ma mère ne cessait de me surprendre. Lorsque vint l’heure de rendre la salle et d’aller se mettre au lit pour tous les invités d’Adam, nous y compris, elle était dans une forme olympique. Guillerette comme un pinson, bavarde comme une pie.

Je lui demandai si je pouvais passer la nuit ailleurs.

— Ailleurs ? répéta-t-elle, avec un air surpris mais joyeux.

Rapidement, son visage étonné laissa place à un grand sourire. J’avais beau être fatiguée d’avoir dansé une bonne partie de la soirée et de la nuit, mon esprit, aiguisé par la perspective de ma première fois, décelait un truc anormal chez elle. Elle semblait me cacher quelque chose. Je l’interrogeai sur son comportement inhabituel, persuadée qu’elle allait encore plus me dérouter.

— Si tu veux dormir chez Adam, je suis d’accord. En vérité, Anna, j’ai reçu moi aussi une invitation plaisante que j’aimerais ne pas refuser.

Devant mon air décontenancé qu’elle sache de qui il s’agissait avant même que j’ai pu l’en informer, elle continua :

— Étienne est en ville aujourd’hui. Dans un hôtel de luxe du centre. Il m’envoie un taxi si j’accède à sa requête.

— Sa requête ?

— Celle de passer le week-end avec lui.

Nous y voilà. Deux adolescentes d’une vingtaine d’années d’écart, qui étaient impatientes de retrouver leurs amants. Que la vie était drôle, parfois. En réalité, elle le devenait de plus en plus depuis que mes parents étaient séparés. Ma mère retrouvait une seconde jeunesse dans les bras de son premier amour et me laissait le champ libre pour aller me blottir dans ceux du mien. Elle me donnait son accord, mieux, sa bénédiction. Je me sentais soulagée de ne pas avoir à lui cacher la vérité. J’avais assez de mensonges à mon actif. Mais je ne comprenais pas comment elle avait découvert l’identité de mon coup de cœur d’adolescente.

— Comment as-tu deviné qu’il s’agissait d’Adam ? la questionnai-je, désireuse d’assouvir ma curiosité.

— Ma chérie... J’ai beau avoir l’air aveugle... je ne le suis pas. Tu pars on-ne-sait-où, avec on-ne-sait-qui, pour faire on-ne-sait-quoi et quand tu reviens, tu es dans un état épouvantable. Trois jours après, Adam se pointe la fleur au fusil avec un mot, alors qu’on ne vous voit jamais ensemble. Je l’ai pris entre quatre yeux celui-là.

Elle me raconta qu’elle y avait été au culot avec lui, affirmant que je lui avais révélé le nom de la personne avec qui j’avais fait ma virée nocturne. Adam s’était retrouvé au pied du mur, forcé d'expliquer la situation, malgré sa réserve habituelle. Face aux gros yeux menaçants de ma mère, il avait expliqué qu’il avait un faible pour moi mais qu’à cause de ses études, il allait devoir s’en aller. Néanmoins, il s’était confié sur ses espoirs, sur la possibilité que, peut-être, je ne l’oublierais pas, voire que je l’attendrais. Malgré sa colère de découvrir le pot aux roses, en lui tirant les vers du nez, ma mère avait trouvé sa déclaration touchante. Elle avait accepté de faire la messagère discrète, préférant faire comme si elle ne savait pas. Après tout, comme elle l’ajouta, cela ne la regardait pas.

J’étais déboussolée par toutes ces révélations qui pleuvaient sur moi comme autant de gouttelettes d’une pluie d’été bienfaisante.

Avant de partir à l’autre bout du monde, Adam avait espéré que je l’attendrais.

Puis, il avait guetté un message qui ne vint jamais. Déçu, il s’était résigné, sans pour autant « m’oublier » malgré ses conquêtes sudaméricaines.

Revenu en France, il s’était montré jaloux de Xavier et désormais, il avait envie de passer la nuit avec moi.

Je n’en revenais pas. Tout s’enchaînait si facilement.

Se pourrait-il qu’il soit amoureux de moi ?