Chapitre 21 : Oiseau des champs
Plop ! Désolée de cette petite absence, j'ai eu besoin de prendre une petite pause sur ce texte. Ce chapitre a été trèèèèèèès difficile à écrire et je m'excuse d'avance s'il paraît de moins bonne qualité que les autres, j'ai pas réussi à faire mieux pour l'instant x) On rattrapera ça à la relecture. Je vous fais des bisouilles et vous souhaite une bonne lecture !
LE CHANT DE L'OISEAU SOLITAIRE
Chapitre 21 : Oiseau des champs
Les mois qui s'écoulèrent en compagnie de Foire Thonly et Favir furent les meilleurs depuis fort longtemps. La vie s'écoulait à un rythme paisible qui ne nécessitait ni de survivre, ni de courir au devant des ennuis. Je ne peux pas nier qu'ils furent de très bon enseignants : ils m'apprirent à travailler la terre, à planter, à cueillir des fruits dans les arbres sans les abîmer, ils abreuvèrent ma soif de connaissances sur le peuple nain et ils répondaient à mes questions sur le monde toujours avec un regard bienveillant et juste.
Les journées étaient longues et éreintantes, mais je ne m'en plaignais pas. J'avais un toit, j'avais de la nourriture et mes conditions de vie étaient bien supérieures à celles des autres habitants de Mornepierre. Je ne dirais pas que je vivais en plein rêve, mais que ce quotidien rassurant avait fini par me donner l'illusion d'être utile à cette société que je peinais difficilement à comprendre, comme en témoignait la situation politique de la ville.
Par malchance, Lenaïg, désormais surnommé "L'increvable", avait survécu à sa cure de flammes. Bien loin de le calmer, celle-ci ne fit qu'accroître un peu plus sa folie et puissance. Je ne l'avais croisé qu'une seule fois depuis ce que j'appelais "l'accident du bûcher", caché derrière les murs protecteurs d'une épicerie : il ne ressemblait plus du tout à l'homme grandiose qu'il avait été. Chauve, la peau noire et craquelée, à vif par endroits, il m'avait fait presque peine à voir. Il marchait difficilement à l'aide d'une canne, et même à plusieurs mètres de distance, je pouvais entendre sa respiration sifflante. J'avais entendu dire que son traitement lourd l'avait affaibli, ce qui expliquait sa maigreur extrême et l'impression qu'il avait vieilli de plusieurs dizaines d'années. Il ressemblait désormais aux cavaliers du démon représentés en gravure sur son église : des créatures squelettiques aux regards vides et aux doigts crochus. Malgré son état, sa "résurrection" avait entraîné la reprise des bûchers, plus nombreux que jamais.
La peste noire qui sévissait toujours sévèrement était désormais considérée comme une hérésie, comme un signe que le Dieu du soleil voulait punir ses pauvres victimes et tous terminaient dans les flammes. Mais cela n'endiguait pas le mal pour autant : les gardes, la foule des exécutions étaient de moins en moins nombreuse chaque semaine qui passait. Les malades se cachaient par peur des représailles, et à chaque fois qu'ils venaient assister aux spectacles macabres donnés sur la grand place, un sillon de nouveaux morts arrivait les jours suivants. La ville faisait peine à voir : les enfants ne couraient plus dans les rues, les marchés étaient interdits. Le peuple frémissait sous l'ombre imposante de ce fou que personne n'arrivait à arrêter, malgré deux tentatives supplémentaires d'assassinat par de braves hommes qui n'avaient pas pu renaître en oiseau de feu dans les flammes, eux.
Quant à moi, j'étais toujours activement recherché par la garde. J'appris à me méfier de tout le monde, à surveiller mes arrières et à écouter les murmures de la foule pour me protéger. Ma couleur de peau particulière devint vite un désavantage et un signe de reconnaissance. Plusieurs fois, les sbires de Lenaïg réussirent presque à me mettre la main dessus. Mais j'avais appris à me glisser dans des lieux improbables pour leur échapper, comme cette fois où j'avais dû rampé sous des toilettes publiques pour éviter une patrouille. Malgré tout, j'avais toujours réussi à leur échapper, malgré l'énorme fardeau emplumé que je me trimballais partout et que je peinais à maîtriser : l'eau aidait à garder les ailes rétractées, mais cette solution temporaire devenait un réel problème dès lors que je prenais du retard en ville.
Foire Thonly m'aida énormément à me faire des alliés. Puisque la ville mourait de faim, nous avions mis au point un petit rituel. Chaque nuit, il m'envoyait livrer des provisions aux femmes et aux enfants qui avaient fini par me surnommer Brimbis, "l'oiseau des flammes" dans le langage des elfes, autant pour ma protection que pour la leur. Même si mon aide leur était indispensable pour les plus démunis, mon visage était gravé sur les affiches placardées dans toute la ville et la récompense grimpait chaque semaine. Ainsi, je ne m'attachais pas trop à ces nouveaux "amis". J'avais parfaitement conscience que l'argent pour ma capture pourrait nourrir une famille pendant presque une année entière. Dans le besoin, je savais que je serais dénoncé tôt ou tard et j'y étais préparé.
J'avais une confiance aveugle en Foire Thonly et lui fit part un soir de mes inquiétudes et du fait que je ne voulais pas les mettre en danger son fils et lui si jamais j'étais finalement arrêté. Bien loin de s'apitoyer sur mon sort, il trouva une solution au problème : nous passâmes la semaine suivante à creuser un tunnel assez large, caché derrière la machinerie à vapeur, pour m'échapper hors de la ville au moindre problème. Il servit plusieurs fois avant ce qui ne tarderait pas à arriver, pour faire sortir des femmes enceintes et les personnes trop faibles pour survivre plus longtemps dans la ville.
Le vieux nain me traitait de la même manière que Favir, comme son propre fils, et je savais qu'il n'hésiterait pas une seconde à donner sa vie pour que je puisse partir quand bien même je tentais de l'en dissuader. Favir était plus réservé, mais nous avions fini par nous comprendre, à force de travailler ensemble. Je pouvais lui faire confiance, mais je n'y arrivais jamais totalement. J'avais beau savoir les nains trop fiers pour dénoncer, j'entendais bien ses réflexions passive-agressives en langue naine, murmurées à voix basse à mon passage. "Oaqaao ba kafjaop." crachait-il sans arrêt à mon encontre. Son attitude m'inquiétait, mais je préférais ne pas m'en formaliser pour éviter la paranoïa. Lorsque l'on est fugitif, elle devient notre pire ennemie. Et puis je ne voulais pas attirer d'ennuis à son père.
Dès que mon travail au champ m'autorisait un peu de temps libre ou que je n'étais pas poursuivi par les chiens de Lenaïg, j'apprenais le luth. Seul, le résultat était peu probant, mais ces rares moments de prise d'écart du monde me permettait de tenir quand le moral n'y était pas. Bien que j'essayais de garder la tête haute, les jours à vide arrivaient souvent. Je pouvais passer des nuits entières à pleurer sur mon sort, avant de regagner en optimisme pour faire bonne figure devant mes hôtes. L'instrument de bois parlait davantage pour moi et absorbait mes peurs, mes colères, ma tristesse pour les transformer en notes mélodieuses, graves, profondes qui vibraient jusqu'au fond de mon être.
L'hiver tomba sur Mornepierre avec plus d'avance qu'à l'habituelle. Les maigres récoltes emmagasinées par les habitants ne suffirent très vite plus à tous les nourrir. A la peste noire s'ajouta une famine dévastatrice. Même les nains, pourtant bien préparés, arrivèrent bientôt à la fin des réserves. La ville se vida presque entièrement pendant cette période interminable. Certains parvenaient à fuir vers d'autres horizons, les autres mouraient en silence ou sur les bûchers. Lenaïg sentait son règne se terminer, ainsi se coupa t-il du reste du monde : messagers interdits, étrangers exterminés... Jusqu'à ce qu'il tue la mauvaise personne.
En apparence, ce n'était qu'un petit nobliau égaré, mais lorsque les légions d'Isendorn arrivèrent aux portes de la ville pour demander le retour de l'héritier royal, tout le monde sut qu'il était allé trop loin. Au lieu de se rendre, le fou chercha à se barricader dans sa forteresse, et bientôt, la guerre fut dans les rues. Soldats et paladins transformèrent la ville en véritable champ de bataille, nous contraignant à une vie cloîtrée. A l'arrivée du printemps, la situation ne s'était toujours pas arrangée, mais les nains devaient reprendre la route. Alors nous décidâmes à notre tour de quitter cet enfer.
Nous décidâmes d'emprunter la sortie de secours de Foire Thonly pour quitter la ville. La route fut longue et dangereuse, teintée d'inquiétude et d'excitation à cet autre futur qui s'ouvrait à nous. Lorsque nous sortîmes enfin à l'air libre après deux jours de marche dans le noir, nous nous trouvions à la frontière de la forêt de Querod. L'heure des adieux était venu. Même si j'aurais aimé continuer ma route avec eux, je savais que je ne pourrais pas m'adapter à une vie chez les nains. J'avais déjà fait mon choix, et Foire Thonly le savait, ce qui rendit les séparations plus difficiles encore.
"Qu'est-ce tu vas faire maintenant ? me demanda Foire Thonly, la voix pleine d'émotions.
— Je ne sais pas, avouai-je. Aller là où mes pas me porteront.
— T'as l'tête dure et l'coeur vaillant, t'iras loin, gamin. On s'r'verra p'têtre l'automne prochain."
Il me fit l'accolade pendant longtemps avant de prendre la route avec son fils, qui m'adressa un timide signe de la main. De nouveau seul, je restai longtemps à regarder les barricades enflammées de Mornepierre au loin. Je l'ignorais, mais les troupes d'Isendorn avaient réussi à pénétrer la cathédrale et Lenaïg vivait ses derniers instants. Dommage. J'aurais beaucoup aimé assister à ça. Mais un tout autre futur s'offrait à moi.
Ma main effleura mon luth alors que je réfléchissais à la suite de mon périple. Il y avait une affaire que je n'avais pas terminé dans cette ville et elle avait un nom : Lorette. J'avais beau avoir essayé de me détourner d'elle, son image restait farouchement ancrée dans ma tête. Il n'était pas trop tard pour retourner dans la forêt, malgré les risques et le profond dégoût que m'inspirais cette étendue verte. Je me croyais capable de retrouver Méaaras et je comptais bien parvenir à mon but. Au fond de moi, je savais que je ne pouvais pas aller à Isendorn sans elle, alors même que je lui avais promis que je l'emmenerais voir la grande ville.
Je n'étais pas le héros des chansons populaires qui refusait de revenir sur ses pas par peur d'affronter le père, j'étais un jeune musicien à la chance pathétique et le ventre tordu par l'espoir. Peu importe ce qui m'attendait dans les ténèbres, je m'en fis la promesse : je retrouverais Lorette.
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